Place du cardiologue dans le syndrome d'apnées du sommeil
F. de ROQUEFEUIL, Hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt
Le cardiologue, partant de la physiopathologie du syndrome des apnées obstructives du sommeil (SAOS) et des connaissances acquises durant les 10 dernières années sur les conséquences cardiovasculaires de cette pathologie, se doit d’être un acteur de sa prise en charge à deux niveaux :
• celui du dépistage : une étude rapide de la prévalence dans les deux sens (du SAS dans les pathologies cardiovasculaires, des pathologies cardiovasculaires dans le SAS) permet de s’en convaincre rapidement,
• celui de l’évaluation du risque cardiovasculaire d’un patient apnéique diagnostiqué.
Mais pour nous convaincre il faut pouvoir répondre à deux questions clés : - le SAS est-il un facteur de risque cardiovasculaire ? - traiter le SAS permet-il d’améliorer le pronostic des patients atteints d’une pathologie cardiovasculaire ? Malgré la persistance de nombreuses inconnues, la réponse à ses deux questions est oui. Rappel physiopathologique Le SAOS se définit par la survenue au cours du sommeil d’une interruption ou d’une réduction du flux nasal de 50 % au moins s’accompagnant : - d’une désaturation de 4 % caractérisant les apnées (A) et les hypopnées (H) ou, - d’un micro éveil (ME), qui peut survenir après une simple limitation de débit (LDD). La sévérité de cette pathologie s’évalue sur : • l’index d’apnées-hypopnées horaire : IAH avec, selon sa valeur, la possibilité de définir un SAOS : - minime (IAH > 5-15/h), - modéré (16-30/h), - sévère (> 30/h) ; • le niveau de désaturation : index de désaturation horaire, saturation moyenne nocturne, Nadir de désaturation (cutoff 82 %) ; • l’existence ou non de signes cliniques (asthénie, somnolence diurne, nycturie, etc.). Parallèlement à cette évaluation du SAOS, le cardiologue aura en tête l’évaluation du niveau de risque cardiovasculaire de son patient, sachant qu’il sera particulièrement attentif devant un SAS diagnostiqué chez un coronarien : la survenue d’une hypoxie intermittente nocturne répétitive est à éviter sur un myocarde « ischémique ». C’est en abordant la physiopathologie de la cascade des effets cardiovasculaires du SAS que cette « affirmation » prend tout son sens. Le sommeil « normal », notamment le sommeil lent profond (SLP), s’accompagne de modifications cardiovasculaires importantes avec chute du tonus sympathique, de la fréquence cardiaque, de la tension artérielle et du métabolisme. Le patient porteur d’un SAOS aura des modifications paroxystiques inverses : après chaque arrêt respiratoire, il aura une négativation des pressions intrathoraciques (avec souvent un reflux gastro-œsophagien…), un ME (asthénie diurne, sommeil non récupérateur, etc.), une activation du système sympathique (tachycardie,vasoconstriction nycturie, etc.), une désaturation, plus ou moins profonde, suivie d’une réoxygénation (angor spastique ou non, ischémie myocardique nocturne, troubles du rythme), l’ensemble entraînant à la longue une adaptation chronique du système cardiovasculaire (hyperactivité sympathique, altération des baroréflexes, élévation tensionnelle, remodelage vasculaire). Cette pathologie prédispose, par ses effets vasculaires, à une athérosclérose précoce, mais également en cas de facteur confondant (présence d’autres facteurs de risque et/ou atteinte d’organes cibles) à une évolutivité particulière de la maladie athérothrombotique en l’absence de prise en charge du SAOS. De nombreuses études expérimentales ont été effectuées avec ce qui paraît être le stimulus le plus important, à savoir l’hypoxie intermittente (HI). Chez la souris : survenue en cas de diète enrichie en cholestérol d’une athérosclérose rapide de l’aorte ascendante, qui n’apparaît pas en l’absence d’HI. Chez des volontaires sains, on observe également une augmentation de l’index de masse myocardique et l’apparition rapide de troubles métaboliques à type de résistance à l’insuline. Acteur du dépistage : pourquoi ? La prévalence du SAOS dans la patientèle cardiologique (figure 1) est très supérieure à celle de la population générale : on observe dans la population générale une prévalence de 4-6 % versus 46 % chez l’hypertendu tout-venant, 50 % chez l’insuffisant cardiaque, 60 % en prévention secondaire d’un accident vasculaire cérébral (AVC), 30 % minimum chez le coronarien stable (au décours d’un syndrome coronaire aigu (SCA). Certaines études évoquent une prévalence > 50 %). Figure 1. Prévalence des SAS dans les maladies cardiovasculaires. L’existence d’un SAS augmente le risque relatif d’AVC et d’IDM de 3,1, ce qui situe le SAS en 3e position juste derrière le tabagisme (RR 9,8) et le diabète (RR 4,2) mais devant l’HTA (1,9) et la dyslipidémie (1,8) (Pecker 1999 Eur Respir J, figure 2). Figure 2. Facteur de risque cardio-vasculaire (AVC, IDM). Le SAS augmente la morbi-mortalité cardiovasculaire parallèlement à son degré de sévérité (Marin, Lancet 2005). Le SAS sévère traité par PPC efficace bénéficie d’une réduction de morbi-mortalité tout à fait significative. Dans une étude prospective essentielle, Marin a comparé, pendant 10 ans, l’évolution de 5 groupes de sujets : témoins, ronfleurs, SAOS modérés, SAOS sévères non traités et SAOS sévères traités par PPC avec une évaluation des événements cardiovasculaires mortels (IDM et AVC) et non mortels (IDM, AVC et SCA). L’étude montre, de manière très significative, que les apnéiques sévères non traités ont une surmortalité cardiovasculaire et une sur-morbidité comparativement au groupe témoin alors que la mise sous ventilation nocturne des SAOS sévères leur permet de rejoindre le risque de morbi-mortalité des simples « ronfleurs » (figure 3). Figure 3. Etude observationnelle sur 10 ans. 2 certitudes : une morbi-mortalité augmentée et une efficacité du traitement . Acteur du dépistage : avec quels outils ? L’interrogatoire du patient reste un moment phare de la décision, redouté car chronophage, il peut être facilité par le préremplissage en salle d’attente d’un questionnaire adapté comportant les items à rechercher : somnolence diurne invalidante (échelle d’Epworth > 10) ; présence de ronflements associés ou non à une obstruction nasale chronique (antécédents de fractures de nez, de sinusite chronique, terrain atopique), asthénie et/ou céphalées et/ou bouche sèche au réveil, nycturie (HTA nocturne), pyrosis (négativation des pressions intrathoraciques). Une question toute simple mais ayant une grande valeur d’orientation, concerne le délai d’endormissement : « en quelques minutes » pour un SAS sévère. L’examen clinique apprécie la tension artérielle (TA), la fréquence cardiaque (FC), le poids, la taille, avec calcul de l’IMC (facteur de risque confondant majeur), le périmètre abdominal (PA) et le tour de cou (TC), qui sont les 6 constantes à noter, avec, bien sûr, une étude rapide de la morphologie faciale (recherche d’une déviation de cloison nasale évidente, présence ou non d’une rétromandibulie, sources de rétrécissement de la filière oropharyngée postérieure). La recherche d’une atteinte d’organe cible associée, sera la troisième étape de la démarche, à la fois diagnostique et thérapeutique. La prise en charge ultérieure sera guidée par le niveau de sévérité du SAS, le niveau de désaturation, l’existence ou non d’une asthénie diurne, mais également l’existence d’une HTA, d’un antécédent d’AVC ou de troubles du rythme, la présence de souffles artériels périphériques, témoignant d’une artériopathie, d’une insuffisance cardiaque et d’un trouble de la régulation du métabolisme glucidique (insulinorésistance, syndrome métabolique, intolérance au glucose, diabète). Le cardiologue va utiliser les outils à sa disposition lui permettant de déterminer le niveau de risque cardiovasculaire : - l’ECG bien sûr, - l’enregistrement de la TA sur 24 h : la MAPA occupe une place importante ; elle va permettre de mettre en évidence une HTA diastolique éventuellement méconnue, de confirmer l’existence d’une hypertonie sympathique, et de rechercher un aspect non dipper quasi pathognomonique du SAOS ; - les autocontrôles de TA sont intéressants car il permettront de montrer des chiffres de TA au réveil souvent plus élevés que les chiffres de TA du soir, ce qui est un élément d’orientation ; - un bilan sanguin comporte un dosage de la glycémie à jeun, un bilan lipidique (cholestérol total, HDL, LDL, triglycérides) et une étude de la fonction rénale ; - restent la pratique d’un test ischémique (recherche d’une coronaropathie méconnue ou d’une évolutivité coronarienne), d’une échocardiographie Doppler (recherche d’une dysfonction ventriculaire systolique ou diastolique), et d’un écho-Doppler des troncs supraaortiques (évaluation du degré d’athérosclérose périphérique ) qui ne seront pas systématiques, mais laissés au choix du cardiologue selon le niveau du risque cardiovasculaire du patient, mais aussi selon l’existence de signe d’appel en prévention primaire ou secondaire, il s’agit du choix et de l’obligation du cardiologue. Pathologies par pathologies, quelles sont les particularités à connaître ? Sur l’HTA et le SAS : - la prévalence importante de SAS chez les hypertendus ; - la relation quasi linéaire entre le degré de gravité de l’HTA et l’index d’apnées-hypopnées (Young : le risque relatif de développer une HTA se situe entre 1,5 et 2,2 après indexation sur les facteurs confondants, l’obésité notamment) (figure 4) ; - la fréquence d’une HTA méconnue, notamment diastolique, chez les apnéiques diagnostiqués ; - la présence d’une hypertonie sympathique associée (qui dans certains cas peut prendre l’aspect d’une relative résistance aux bêtabloquants) ; - l’aspect non dipper sur la MAPA ; - l’existence d’une HTA résistante (cf. les recommandations de l’HAS. sur la recherche d’un SAS dans ce contexte ; - l’HTA du matin (parfois facilement mis en évidence par les autocontrôles) ; - l’incidence positive du traitement (baisse de 1,69 mmhg sur HTA moyenne sous PPC). Figure 4. Syndrome d’apnées du sommeil et HTA. Relation de type « Effet-dose » entre SAS et HTA. Sur le syndrome métabolique (SM) et le SAS : - les déterminants sont les mêmes pour ces deux pathologies ; - il existe une relation linéaire entre IAH et IMC ; la perte de poids est un des traitements du SAS dont l’efficacité n’est pas discutée ; - le SAS a un effet spécifique sur la distribution de la graisse viscérale (étude de Vgontas, Sleep Med Rev 2005), avec une relation linéaire entre l’IAH et l’index de masse viscérale (figure 5) ; - le rôle important des adipocytes, dans le développement d’une insulinorésistance chez les apnéiques. Figure 5. HTA avec obésité. Syndrome d’apnées du sommeil
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