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Pourquoi des discordances d'interprétation, notamment dans les recommandations ?
F. DIÉVART, Clinique Villette, Dunkerque

On peut lire dans l’argumentaire de ses recommandations de l’Afssaps de 2005 sur les valeurs cibles de LDL proposées en fonction de la situation clinique du patient : « Ces valeurs ont pour but d’aider les cliniciens à prendre des décisions thérapeutiques. Les valeurs de la LDL-cholestérolémie retenues comme objectifs thérapeutiques ne sont pas des valeurs expérimentales définies par des essais d’intervention ni par des analyses coût-bénéfice.
Elles ont été fixées consensuellement ».
A titre d’exemple, remarquons qu’à ce jour, aucun grand essai d’intervention n’a concerné des hommes 50 ans ou des femmes 60 ans, parmi lesquels se recrutent les patients sans facteur de risque dans la définition donnée. Le seuil de 2,20 g/l (5,7 mmol/l) de LDL cholestérol résulte donc d’un compromis qui, en pratique, conduit au traitement médicamenteux des hypercholestérolémies familiales pour lesquelles la concentration sanguine de cholestérol total excède généralement 3 g/l (7,7 mmol/l) et/ou celui du LDL cholestérol dépasse 2,20 g/l (5,7 mmol/l). » Les valeurs proposées sont donc des valeurs consensuelles et non des valeurs reposant sur des faits établis et prouvés comme le voudrait dans l’absolu la rédaction d’un texte de recommandations. Proposées pour aider les cliniciens à prendre des décisions thérapeutiques, les recommandations sont une aide à la prescription, ces recommandations reconnaissent implicitement qu’elles ne peuvent être opposables à une pratique qui serait divergente. En revanche, elles fournissent un mode opérationnel de la prise en charge des dyslipidémies et le mot compromis y figure en toutes lettres. Dans les lignes qui suivent seront mis en lumière quelques éléments conduisant des faits établis à leur interprétation et à la promulgation de recommandations puis à la prise de décision. Pour ce faire, j’emprunterai plusieurs paragraphes de l’excellent livre « Comprendre et Communiquer la Science » de Jean Crête et Louis M. Imbeau (éditions De Boeck Université, 1996, Belgique) avant de faire quelques commentaires. Lien entre le LDL, les maladies cardiovasculaire et la pratique quotidienne Comme il a été rapporté plus avant, l’épidémiologie a montré, par approches successives, qu’il existe un lien fort, puissant et direct entre la valeur du LDL cholestérol à un moment donné et à l’échelle d’une population, et le risque d’avoir un infarctus du myocarde dans les années qui suivent. Cette relation entre LDL et risque coronarien a plusieurs particularités : – cette relation est universelle, en termes relatifs : elle s’applique à tout individu, quels que soient l’âge, le sexe, la valeur des autres paramètres lipidiques, la situation clinique ; – elle ne connaît pas de seuil, dans la limite des valeurs étudiées: en d’autres termes, le risque cardiovasculaire relatif associé à une valeur donnée de LDL est toujours moindre que celui associé à la valeur juste au-dessus et toujours supérieur à celui associée à la valeur juste inférieure ; – elle n’est pas prédictive pourtant au niveau individuel: pour une valeur donnée, quelle qu’elle soit, elle permet de dire qu’un patient a un risque plus grand d’infarctus que si cette valeur était plus basse, mais elle ne permet pas d’affirmer que ce patient sera victime d’un infarctus du myocarde de façon certaine dans les « x années à venir » ; – cette non-prédictivité est déroutante car, de façon complémentaire, pour un même niveau de LDL-cholestérol, le risque d’avoir un infarctus du myocarde dans une période de temps donnée, peut être extrêmement différent pour deux sujets, car il dépend de multiples autres facteurs. Ainsi, si la relation indique un risque relatif, le risque absolu (qui n’est pas prédictif à l’échelle individuelle) ne peut être apprécié que si le LDL est incorporé dans une échelle d’évaluation du risque comprenant plusieurs autres paramètres. Et même encore, à même valeur de LDL cholestérol et à risque absolu différent, le patient ayant le risque estimé comme le plus élevé n’a qu’une probabilité plus grande d’avoir un infarctus du myocarde comparativement à celui estimé d’avoir un risque plus faible, et pourtant c’est parfois ce second patient qui sera vu plus précocement en soins intensifs pour un SCA. Là, ce n’est plus seulement le médecin qui est amené à se poser des questions, ce sont certains patients peu enclins à comprendre les faits scientifiques et médicaux sous l’approche probabiliste et statistique. En effet, combien de patients disent encore « je ne comprends pas » : – « j’ai fait un infarctus et pourtant on m’a toujours dit que je n’avais pas de cholestérol »; – « mon médecin me dit de ne plus fumer et pourtant, d’abord il fume, ensuite mon voisin de 84 ans qui fume n’a jamais fait d’infarctus alors que mon autre voisin de 42 ans qui ne fume pas a, lui, fait un infarctus ». Certains médecins et patients avouent aussi ne pas comprendre pourquoi, alors que tous les facteurs de risque sont contrôlés, les traitements adaptés prescrits et suivis, il survient un infarctus. À cela plusieurs réponses complémentaires : – la meilleure prise en charge possible des facteurs de risque ne peut s’adresser, d’une part, qu’aux facteurs de risque connus et, d’autre part, qu’aux facteurs de risque modifiables. Ainsi, pour un homme, même s’il est orphelin et enfant de la DASS, s’il devient transsexuel, et s’il ment quant à sa date de naissance afin de se rajeunir, cela ne changera rien quant aux poids de l’hérédité, du genre et de l’âge qui pèsent sur lui ; – le risque absolu est de fait le risque moyen de survenue d’un événement donné dans une période de temps donnée et dans une population partageant des caractéristiques communes. Il n’indique pas le risque spécifique et précis d’un patient ; un patient ayant un risque absolu très faible peut quand même être victime de l’événement donné alors que le patient ayant un risque très élevé peut quand même ne pas en être victime : l’évaluation du risque absolu est un calcul probabiliste permettant d’évaluer un niveau de risque, mais pas de prédire avec certitude la survenue d’un événement ; – l’homme n’est pas immortel… L’exemple de la circulation routière Une longue pratique de la rééducation fonctionnelle m’a souvent fait utiliser un exemple simple que la plupart des patients comprennent assez facilement pour expliquer la démarche probabiliste et ses incertitudes : celui du risque d’accident de la route en fonction de la vitesse de la voiture. En prenant l’exemple de la conduite en ville, il est facilement perçu que plus la vitesse d’une voiture sera élevée, plus son risque d’accident sera important. Pourtant, ce n’est pas parce qu’elle roule très vite qu’elle aura obligatoirement un accident, et ce n’est pas parce qu’elle roule très lentement qu’elle n’en aura pas. Même à l’arrêt, un accident peut survenir : une autre voiture qui la percute, un arbre qui tombe… mais la probabilité est plus faible voire très faible, sans être nulle toutefois. Par ailleurs, et toujours en ville, soit deux voitures, l’une a des pneus neufs et correctement gonflés, un conducteur non fatigué et n’ayant pas bu d’alcool et l’autre voiture à des pneus usés, sous-gonflés et un conducteur qui sort d’une nuit blanche avec 1 gramme d’alcool dans le sang. Il est aisé de comprendre que, à vitesse égale, la première voiture a un risque d’accident plus faible que la seconde. Il en est de même pour la démarche probabiliste concernant le LDL : – le risque d’infarctus augmente proportionnellement au taux de LDL, mais une valeur très élevée n’est pas synonyme d’infarctus assuré et une valeur basse d’avoir une vie sans infarctus ; – pour un même niveau de LDL, le risque d’avoir un infarctus du myocarde est fonction de nombreux autres paramètres. Ces deux éléments confirment la théorie lipidique de l’athérogenèse. La théorie lipidique de l'athérogenèse La théorie lipidique de l’athérogénèse repose sur deux hypothèses qui ont parfois été opposées alors qu’elles sont complémentaires : – les lipoprotéines riches en cholestérol suffisent à induire ou favoriser la progression des lésions athéromateuses via une augmentation (directe ou indirecte) du taux d'incorporation des lipoprotéines dans la paroi artérielle ; – l'interaction des lipoprotéines avec d'autres systèmes déclencherait la formation ou la progression de lésions. Par exemple, elle augmenterait l'agrégation plaquettaire ou endommagerait les cellules endothéliales. Dans un modèle, le cholestérol est l’acteur quasi exclusif, en supposant qu’il existe une valeur au-dessus de laquelle il devient pathogène ; dans l’autre modèle, il n’est qu’un cofacteur du développement de l’athérome. Ces deux théories ne s’excluent pas puisqu’il apparaît que la cholestérolémie est un acteur principal de l’athérogenèse mais que la valeur qui rend compte de sa pathogénicité dépend de nombreuses autres variables. La théorie lipidique et/ou les caractéristiques de la relation entre LDL cholestérol et risque coronarien suscitent donc deux questions pratiques : – peut-on parler d’hypercholestérolémie et/ou de valeurs normales de la cholestérolémie ? – jusqu’où peut-on être sûr qu’une valeur très basse de LDL n’est pas associée à un autre risque quelconque, en d’autres termes quels sont les risques associés à des valeurs extrêmement basses de LDL ? La réponse à cette seconde question fera l’objet d’un article spécifique proposé plus loin dans cette intégrale. La notion d’hyper-cholestérolémie En prenant acte des données épidémiologiques, le terme « hypercholestérolémie » ou « normocholestérolémie » paraît être un non-sens, un faux concept ou plutôt un concept « relatif ». L’exemple de l’âge Il existe une relation linéaire (mais avec un discret effet de courbe en J lié la mortalité néonatale) entre l’âge et le risque de décéder tout comme entre le LDL et le risque d’infarctus du myocarde. Mais, dans ce second cas, il a été créé les mots d’hypercholestérolémie et de cholestérolémie normale alors que, dans le premier cas, il n’est pas fait notion d’un « âge normal » ou d’un « hyperâge ». Si un sujet ne peut avoir, au sens large, un âge normal, il est toutefois possible de dire qu’il est plus ou moins jeune, plus ou moins âgé et, par analogie, il est possible de dire qu’une valeur de cholestérolémie est plus ou moins basse, plus ou moins élevée. Comment définit-on alors le plus ou moins ? En fonction de valeurs arbitraires qui peuvent varier avec le temps. Ainsi, il est évident qu’au 19e siècle, un homme de
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