Spécificités des cardiopathies congénitales de l'adulte
P. AMEDRO, CHU de Montpellier
Le Printemps de la cardiologie
Toutes les études épidémiologiques ont constaté sur les deux dernières décennies une augmentation significative de la prévalence des cardiopathies congénitales à l’âge adulte (GUCH). Dans la majorité des pays développés leur prévalence égale désormais celle de la population pédiatrique. L’étude canadienne de Marelli, publiée en 2007 (tableau 1), montre que la prévalence des cardiopathies congénitales chez l’adulte a augmenté de 85 % entre 1985 et 2000, passant de 0,21 à 0,38/1 000 habitants, alors qu’elle ne passait que de 1,19 à 1,45 chez les sujets de moins de 18 ans.
Chez les enfants ( 18 ans) comme chez les adultes, la prévalence des cardiopathies congénitales (CC) est en augmentation, même si l’incidence à la naissance reste globalement stable, autour de 0,8 %. Plusieurs explications sont évoquées : performance du diagnostic prénatal (la France a été le premier pays à montrer l’impact du diagnostic prénatal sur l’incidence de l’hypoplasie du coeur gauche), dépistage échocardiographique précoce des CC mineures, progrès chirurgicaux (CEC chez le nouveau-né, programmes palliatifs de type coeur univentriculaire), âge maternel plus avancé, etc. En France, la cardiologie congénitale de l’adulte concernerait environ 200 000 patients. Dans la majorité des régions, une collaboration plus ou moins structurée est assurée entre cardiopédiatres, cardiologues, rythmologues, cathétériseurs, radiologues et chirurgiens cardiaques. Les véritables unités spécialisées sont toutefois très rares, contrairement aux pays anglosaxons qui ont anticipé le flux des GUCH. Ainsi, la transition vers l’âge de 18 ans entre la cardiopédiatrie et la cardiologie adulte est une étape cruciale où le malade ne doit pas être « perdu de vue ». Les meilleurs centres américains constatent cette fuite des malades une fois la période pédiatrique passée, pour des motifs variés. Le « catalogue » des cardiopathies congénitales est souvent indigeste pour le cardiologue « généraliste », car il représente pour lui une association de maladies rares éloignées de sa pratique quotidienne et peu évoquées lors de sa formation initiale. Pour diminuer cet obstacle on peut choisir de diviser les cardiopathies congénitales en : – CC simples, diagnostiquées et prises en charge de façon relativement proche chez l’enfant et l’adulte, – CC complexes qui nécessitent impérativement une prise en charge multidisciplinaire spécialisée. Nous traiterons ici trois exemples de CC en apparence simples : les CIA vieillies, les CIV vieillies et la tétralogie de Fallot opérée. Ces trois cardiopathies congénitales représentent à elles seules la majorité des problèmes rencontrés par un cardiologue « généraliste ». Les cardiopathies congénitales complexes ne seront pas traitées ici ; elles sont habituellement prises en charge, conformément aux objectifs du plan maladies rares, par les équipes pluridisciplinaires des centres de référence et de compétence, récemment labellisés en 2008. Les communications interauriculaires (CIA) « vieillies» La CIA de type foramen ovale perméable (FOP) peut être révélée par un accident vasculaire cérébral, des migraines, ou découverte fortuitement sur une échographie ; un FOP n’entraine pas d’hyperdébit pulmonaire, donc ne s’accompagne pas de souffle organique. On tente actuellement de mieux préciser les indications de fermeture par cathétérisme interventionnel. La CIA ostium secundum, ou de la fosse ovale, est centrale, respecte le septum primum et est de loin la plus fréquente, avec une prédominance féminine. Elle est rarement symptomatique chez l’enfant, s’accompagne typiquement d’un souffle systolique au foyer pulmonaire avec dédoublement du B2 ; chez l’adulte, le souffle s’atténue, et cliniquement tout est possible, en fonction du retentissement de cette CIA « vieillie » (insuffisance cardiaque, trouble du rythme auriculaire). La CIA secundum se ferme le plus souvent par cathétérisme interventionnel via une prothèse larguée sous contrôle ETO. Les indications de fermeture percutanée d’une CIA sont : - CIA ostium secundum sans extension vers la veine cave inférieure ; - diamètre étiré au ballonnet gonflable (« sizing ballon ») > 40 mm ; - rebord circonférentiel d’au moins 4 mm, sauf en avant et en haut, sous l’aorte ; - absence de proximité des valves auriculo-ventriculaires. En pratique, en cas de CIA très large ou sans rebord postérieur, la fermeture est effectuée par le chirurgien, souvent par thoracotomie postérieure. La CIA sinus venosus est très basse, près de l’abouchement de la veine cave inférieure (VCI), avec parfois un retour veineux pulmonaire anormal partiel de la veine pulmonaire supérieure droite dans l’abouchement de la VCI à l’oreillette droite. La cure est chirurgicale. Le TDM précise le retour veineux pulmonaire. La CIA ostium primum, très haute, au-dessus des valves auriculo-ventriculaires, fait partie des canaux atrio-ventriculaires et est en général diagnostiquée chez l’enfant. La cure est chirurgicale. La CIA de type « sinus coronaire » est exceptionnelle et constitue un piège diagnostique : il s’agit d’une déhiscence du toit du sinus coronaire qui communique avec l’oreillette gauche (OG) ; l’échographie de contraste est une aide au diagnostic. Chez l’adulte, en pratique, la CIA « vieillie » pose deux problèmes : - anatomique : la CIA est plus difficile à diagnostiquer que chez l’enfant ; cliniquement, le souffle au foyer pulmonaire diminue et échographiquement la voie sous-costale est difficile, alors que chez l’enfant elle permet une visibilité parfaite de tout le septum interauriculaire, des veines caves et des veines pulmonaires supérieures. Deux signes indirects sont à rechercher impérativement : un ventricule droit (VD) non dilaté et un mouvement normal du septum interventriculaire permettent d’éliminer quasiment toujours une CIA à shunt significatif. L’ETO est donc plus souvent réalisée chez l’adulte alors que, chez l’enfant, elle n’est effectuée que lors d’une fermeture par cathétérisme interventionnel. L’analyse des pressions pulmonaires est impérative, ainsi que la fonction VD. - hémodynamique : l’indication de fermeture d’une CIA « vieillie » est plus compliquée et doit être réfléchie. Schématiquement, on distingue 3 situations (tableau 2) qui correspondent à l’histoire naturelle de l’HTAP dans les shunts gauchedroite. – Dans le groupe 1, le shunt G- >D est significatif : l’échocardiographie est l’examen de référence pour évaluer ce shunt : VD dilaté (VDd/VGd = 1/2 à 1), Qp/Qs > 2, PAP élévées par hyperdébit pulmonaire (loi de Poiseuil : PAPm = Qp x RVP + POG) ; le plus souvent, les PAP sont de l’ordre de 1/3 à 1/2 des pressions systémiques soit, en pratique, des PVD par le flux d’insuffisance tricuspide entre 40 et 60 mmHg. Ici, l’indication de fermeture de la CIA est consensuelle, d’autant plus si elle est symptomatique. – Dans le groupe 3, ou syndrome d’Eisenmenger, l’HTAP est fixée. Après plusieurs décennies d’hyperdébit pulmonaire par le shunt G->D, le « shear stress » a entrainé des lésions endothéliales sur l’arbre artériel pulmonaire. Comme pour l’HTAP idiopathique, apparaissent une prolifération des cellules musculaires lisses, une augmentation de la matrice extracellulaire et une thrombose intravasculaire ; ces phénomènes perturbent l’équilibre vasodilatation/vasoconstriction pulmonaire et prolifération/antiprolifération (figure 1) et aboutissent à l’augmentation des RVP, de façon autonome par rapport au shunt. À un stade avancé, ce shunt s’inverse, le patient devient alors cyanosé. Figure 1. Physiopathologie de l’HTAP dans les shunts G->D. La CIA fonctionne comme une soupape de sécurité lorsque RVP > RVS pour assurer un débit systémique. Sans CIA, comme pour l’HTAP primitive, cette situation hémodynamique n’est pas viable. Ainsi les patients « Eisenmenger » ont une médiane de survie supérieure à celle des autres causes d’HTAP. La physiopathologie de l’HTAP issue des shunts G->D rejoignant celle de l’HTAP primitive (Celermajer et al. Circulation 1994 ; Rabinovitch et al. Lab Invest 1986), ces malades peuvent bénéficier des mêmes thérapeutiques (bosentan, sildénafil), mais le bénéfice à long terme reste à démontrer. – Le groupe 2 constitue une « zone grise », entre ces deux situations extrêmes et caricaturales des groupes 1 et 3. Plusieurs questions se posent : HTAP de débit ? HTAP réversible ? RVP trop élevées ? CIA à fermer ? Ici le cathétérisme cathétérisme cardiaque est indispensable : mesure des pressions et résistances vasculaires pulmonaires, calcul du shunt (par le principe de Fick, la mesure du débit par thermodilution n’étant pas fiable dans les shunts), test de vasoréactivité (NO, O2). Si les RVP indexées sont 6 UWood/m 2 et que le rapport des résistances RVP/RVS est 0,35, la CIA peut être fermée. La réversibilité au test de vasoréactivité est définie par une baisse des PAPm d’au moins 10 mmHg avec des PAPm qui deviennent 40 mmHg et un débit qui est conservé ou augmenté. En cas de doute, il convient de ne pas fermer la CIA. C’est dans ces situations exceptionnelles que peuvent être effectuées des biopsies pulmonaires : l’étude histologique permet, dans des centres d’anatomopathologie spécialisés, de grader (classification de Heath-Edwards) le niveau de l’HTAP en associant plusieurs critères (hyperplasie musculaire, prolifération intimale, dilatation, nécrose, etc.) ; au-delà du grade III, l’évolution vers un syndrome d’Eisenmenger est presque inéluctable et la fermeture du shunt est contre-indiquée. Certains évoquent la possibilité de traiter ces patients de la « zone grise » par les nouvelles molécules agissant sur le remodelage vasculaire pulmonaire (type bosentan) afin de passer du groupe 2 au groupe 1, mais cette vision séduisante est peut être utopique. Les communications interventriculaires « vieillies » (CIV) Il est très rare qu’une CIV soit révélée à l’âge adulte car le souffle est souvent intense, typiquement systolique et irradiant en rayon de roue. Là encore, le cardiologue devra préciser l’anatomie et l’hémodynamique de cette CIV. La classification anatomique de 1980 proposée par RH Anderson décrit les CIV en observant le septum interventriculaire par le ventricule droit. Les CIV musculaires sont complètement entourées de septum interventriculaire musculaire ; à la naissance, elles représentent les deux tiers des CIV. Elles sont souvent trabéculées, centrales ou apicales et de petite taille. Lorsqu’elles sont multiples, apicales, on parle de « fromage de gruyère ». Elles se ferment souvent spontanément. Les CIV périmembraneuses représentent un
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