La stimulation cardiaque permanente aura bientôt cinquante ans : la première implantation d’un pacemaker intracorporel fut réalisée en Suède en 1958. Pendant quatre décennies, la stimulation cardiaque a joué la carte de la simplicité technique : une sonde posée à l’apex du VD lorsqu’il fallait stimuler le ventricule, une sonde préformée en J placée dans l’auricule droit lorsqu’il fallait détecter et/ou stimuler l’oreillette. Ces sites traditionnels, d’accès aisé, ont donné satisfaction à une époque où l’on s’embarrassait peu de considérations hémodynamiques, ni de conséquences cliniques à long terme. La reconnaissance de phénomènes de remodelage électrique et/ou anatomique et fonctionnel, induits ou aggravés par la stimulation, parfois précoces (semaines ou mois), souvent plus tardifs (années, voire décennies), est récente.
La stimulation cardiaque permanente aura bientôt 50 ans L’utilisation des sites traditionnels est indiscutablement associée à un risque accru d’insuffisance cardiaque et d’arythmies, sans qu’on en connaisse toutefois l’incidence exacte. On commence seulement à mieux en cerner les facteurs prédictifs. Depuis une dizaine d’années, cette prise de conscience suscite des recherches très actives sur les sites de stimulation alternatifs autant dans l’oreillette que le ventricule. Ce court article se propose d’en faire la synthèse et d’en dégager les quelques certitudes acquises et les nombreuses incertitudes persistantes. Oreillette Site traditionnel L’oreillette est habituellement stimulée dans l’auricule droit (sonde passive ou vissée) ou la paroi latérale haute (sonde vissée). De tous les sites atriaux, la région de la crista terminalis est celle dont la stimulation a les effets électrophysiologiques les moins favorables, y compris sur cœur sain : • raccourcissement et dispersion accrue des périodes réfractaires ; • allongement et hétérogénéité des temps de conduction, aggravés après extrastimulus ; • vulnérabilité avec induction plus facile d’arythmies… Les perturbations de conduction peuvent aussi générer une désynchronisation mécanique avec retard de contraction de l’oreillette gauche et altération du synchronisme auriculo-ventriculaire dans le cœur gauche, à moins que le temps de conduction nodale s’allonge en conséquence. Ces désordres électriques et électromécaniques sont surtout notables en cas de cardiopathie figurée avec dilatation de l’oreillette gauche : cardiomyopathie hypertrophique, cardiopathie hypertensive, cardiopathies ischémiques… Mais l’incidence réelle et le risque pronostique de ces remodelages atriaux, induits ou aggravés par la stimulation auriculaire en site traditionnel sont encore ignorés. Sites alternatifs Trois sites ont été évalués en pratique clinique : deux sites septaux et l’oreillette gauche via le sinus coronaire. Le septum interatrial peut être stimulé dans sa partie haute et antérieure au-dessus de la fosse ovale ; ce site, probablement optimal, peut être de repérage difficile sans l’aide de l’échocardiographie transœsophagienne. La portion postéroseptale est d’accès plus aisé après avoir placé une sonde de référence dans le sinus coronaire. La zone d’intérêt se situe sur les lèvres de l’ostium (Saksena) ou à son voisinage immédiat dans le triangle de Koch (Padeletti). La stimulation est assurée par une sonde vissée, avec des performances électriques (seuil, recueil endocavitaire) voisines de celles observées dans les sites traditionnels. La resynchronisation électrique est immédiatement visible sur l’ECG de surface, avec une onde P stimulée très brève, plus courte que l’onde P intrinsèque, à l’inverse de la stimulation atriale haute. Parallèlement, les études endocavitaires ont montré une homogénéisation des temps de conduction et des périodes réfractaires. Ce bénéfice électrophysiologique évident a-t-il un impact sur la prévention des arythmies atriales à moyen-long terme ? Cela est probable, mais non encore prouvé. De petites études, dont certaines randomisées, (Bailin, Padeletti) suggèrent que comparée à la stimulation atriale droite haute, la stimulation septale en l’un ou l’autre site réduit la « charge » d’arythmies paroxystiques et le risque de survenue d’une fibrillation atriale permanente chez des patients implantés pour dysfonction sinusale. Toutefois la taille et la méthodologie de ces essais ne permettent pas d’établir de conclusion. Il est donc trop tôt pour recommander les sites septaux comme sites préférentiels pour la stimulation atriale permanente, mais il est probable que l’évolution des pratiques se fera dans ce sens d’autant que le bénéfice électrophysiologique s’accompagne d’un bénéfice hémodynamique par amélioration du synchronisme auriculo-ventriculaire dans le cœur gauche, du moins en cas de stimulation double-chambre (Hermida). L’oreillette gauche peut être stimulée au niveau de sa paroi postéro-latérale via le sinus coronaire en utilisant soit des sondes passives spécialement préformées (Daubert), soit des sondes actives, vissées dans la paroi du sinus. La fiabilité technique est moins bonne (risque plus élevé de déplacement et d’élévation de seuils) que celle de la stimulation septale, et le bénéfice électrophysiologique ne semble pas supérieur. L’intérêt est essentiellement hémodynamique dans des situations qui réclament un synchronisme auriculo-ventriculaire optimal dans le cœur gauche, en particulier certaines cardiomyopathies hypertrophiques obstructives. Une autre indication pratique, moins exceptionnelle, est l’oreillette droite non stimulable avec une oreillette gauche qui demeure électriquement et mécaniquement fonctionnelle. La stimulation atriale multisite combinant un site atrial droit et le sinus coronaire (stimulation biatriale : Daubert), ou deux sites dans l’oreillette droite (Saksena), a connu un certain succès dans les années 90. Deux études randomisées de petite taille (Symbiapace et DAPAF) ont montré une tendance favorable sur les récidives d’arythmies soutenues chez des patients avec troubles de conduction intraatriaux de haut degré et arythmies atriales réfractaires. Ces techniques n’ont pas connu le développement clinique espéré en raison de leur relative complexité, d’un niveau de preuve demeuré insuffisant et de la compétition de la stimulation septale (même si cette dernière n’est pas mieux validée). Elles mériteraient d’être plus largement réévaluées, au moins chez les patients avec troubles de conduction intraatriaux. Ventricule Site traditionnel : l’apex du ventricule droit Stimuler le ventricule droit au niveau de l’apex est la facilité ; en effet, rien n’est plus aisé que de franchir la tricuspide et de pousser la sonde vers la pointe. De plus, la position est stable et les caractéristiques électriques sont habituellement excellentes. Dès lors, pourquoi chercher la complexité de sites alternatifs ? La stimulation apicale est profondément antiphysiologique car elle inverse la séquence d’activation et de contraction du ventricule, générant un asynchronisme inter- et intraventriculaire. Les cœurs sains adultes semblent assez bien s’accommoder de ces contraintes, encore que nous manquions d’études de suivi à très long terme. Cela ne semble pas être le cas des cœurs immatures (nouveau-nés et enfants) et des cœurs adultes malades, où le risque de développement d’une dysfonction systolique du ventricule gauche et d’insuffisance cardiaque est élevé. Ce phénomène de remodelage négatif a été particulièrement bien démontré dans deux situations : les blocs auriculo-ventriculaires congénitaux (Thambo) et les cardiopathies ischémiques à fonction ventriculaire gauche (VG) altérée (étude DAVID). Il n’y a en fait qu’une situation pathologique où la désynchronisation imposée peut avoir un effet favorable : la cardiomyopathie hypertrophique obstructive (CMO). En retardant l’épaississement du septum basal et en diminuant le mouvement systolique antérieur de la mitrale, la stimulation apicale réduit le gradient intraventriculaire et peut améliorer les symptômes. Le niveau de preuve est toutefois modeste, même si la stimulation reste le seul traitement de la CMO évalué dans des essais randomisés (études PIC et M-PATHY). Les recommandations internationales ne lui ont accordé qu’une classification de niveau II-b, insuffisante pour en faire un traitement de référence. Il garde néanmoins une place de seconde intention, ou de première intention chez les sujets âgés. Sites alternatifs La recherche du site optimal de stimulation ventriculaire en pratique courante et la correction des désynchronisations spontanées ou induites par la stimulation conventionnelle ont suscité un très vif intérêt pendant la dernière décennie. Il n’est pas prêt de s’éteindre ! Les sites alternatifs dans le ventricule droit ont pour objet de prévenir et non de corriger le remodelage de désynchronisation. C’est donc la définition du site optimal pour le patient tout-venant qui est concernée. Trois sites ont été évalués : - l’infundibulum (face latérale), d’accès facile avec une sonde vissée, mais de faible intérêt clinique. Plusieurs études contrôlées en cross-over (Victor, Mehra, Bourge) ou en bras parallèles (Stambler) n’ont pu montrer de supériorité sur les symptômes, la capacité d’effort, la fonction VG et les événements cliniques par rapport à la stimulation apicale de référence. La seule différence se voit à l’ECG avec une normalisation de l’axe de QRS, mais sans modification de sa durée ; - le septum, plus difficile à identifier pour le stimuliste, apparaît beaucoup plus intéressant (figure 1). Deux petites études randomisées en cross-over (Tse, Victor) ont récemment montré que, comparée à la stimulation apicale, la stimulation septale prévenait la détérioration de la fonction VG dès 3 mois chez des patients à fraction d’éjection (FE) initialement basse ( 45 %), plus tardivement chez des patients à FE initialement normale. Des études complémentaires sont nécessaires pour évaluer le réel impact clinique de ce remodelage ventriculaire inversé. Il est possible qu’avec une technique de localisation mieux définie, le septum soit prochainement reconnu comme site optimal de stimulation ventriculaire pour le patient tout-venant ; - la stimulation « hisienne » est un idéal difficilement accessible. Il s’agit en réalité d’une stimulation septale de voisinage (Desmukh, Ochetta) à l’aide d’une électrode vissée, guidée par le repérage du His (ECG endocavitaire). Les QRS stimulés sont fins ou peu élargis (120 ms en moyenne) avec un axe normal. Les études électromécaniques ont confirmé qu’elle n’engendrait pas de désynchronisation ventriculaire et qu’elle préservait, voire améliorait, la performance ventriculaire gauche. Cette méthode, encore peu évaluée, a des limites techniques, en particulier des seuils de stimulation 2 à 3 fois plus élevés que la stimulation apicale ou septale
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.