Syndromes coronaires aigus : faut-il passer au fondaparinux ?
D. HIMBERT, hôpital Bichat, Paris
L’un des enjeux du traitement des syndromes coronaires aigus est d’améliorer l’efficacité clinique des antithrombotiques tout en limitant leur risque hémorragique, qui constitue un facteur pronostique majeur à court et à long terme. Le fondaparinux est un pentasaccharide synthétique, inhibiteur sélectif du facteur Xa, à longue demi-vie et forte biodisponibilité, déjà utilisé pour la prévention des événements thromboemboliques veineux en orthopédie. Les données actuelles concernent surtout les syndromes coronaires aigus sans sus-décalage de ST. Elles proviennent de l’étude OASIS-5 et suggèrent, malgré certains biais méthodologiques, qu’il apporte un bénéfice clinique net (efficacité + sécurité) supérieur à celui du traitement de référence, l’énoxaparine. Les résultats de l’étude OASIS-6, attendus pour 2006, devraient indiquer s’il en est de même pour l’infarctus du myocarde avec sus-décalage de ST, face à un placebo ou à l’héparine non fractionnée. Le fondaparinux pourrait devenir le chef de file des antithrombotiques utilisés dans les syndromes coronaires aigus.
L'efficacité des antithrombotiques Les progrès accomplis au cours des dernières années dans la prise en charge des syndromes coronaires aigus (SCA) sont dus en grande partie à ceux des traitements antithrombotiques, utilisés en association aux autres traitements ayant démontré leur efficacité dans ce contexte (bêtabloquants, aspirine, inhibiteurs de l’enzyme de conversion) et souvent aux interventions de revascularisation, fibrinolyse intraveineuse et angioplastie coronaire. Malgré ces progrès, l’évolution des SCA, avec ou sans sus-décalage de ST, reste marquée par un risque trop élevé de décès et de récidives ischémiques. Surtout, l’augmentation de l’effet antithrombotique s’accompagne d’un prix à payer, qui est l’augmentation parallèle du risque hémorragique. Or, il est maintenant bien établi que ce risque hémorragique rend compte d’une part importante de la mortalité précoce au décours des SCA et qu’il représente aussi un paramètre pronostique à long terme. La prise en charge de ces complications pose de nombreuses et difficiles questions dans le contexte de coronaropathie instable, et en particulier les seuils d’hématocrite au-delà desquels les transfusions sont utiles ou délétères restent sujets à controverses. Dans ces conditions, le principal objectif pour l’avenir est de continuer à améliorer l’efficacité des traitements antithrombotiques (en réduisant encore la mortalité et les récidives ischémiques), tout en limitant, parallèlement, leur risque de saignement, donc d’arriver à dissocier l’effet antithrombotique du risque hémorragique. C’est de ce point de vue que doit être évalué le fondaparinux, pour savoir s’il doit devenir le traitement antithrombotique de référence des SCA. Qu’est ce que le fondaparinux ? Le fondaparinux est un pentasaccharide synthétique, inhibiteur indirect et sélectif du facteur Xa. Cet effet anti-Xa passe par sa liaison à l’antithrombine qui induit un changement de conformation de celle-ci et bloque la génération de thrombine. Quand l’inhibition du facteur Xa est obtenue, le fondaparinux est libéré et disponible pour une nouvelle liaison avec d’autres molécules d’antithrombine (figure 1). Figure 1. Fondaparinux : inhibiteur synthétique du facteur Xa. Avantages théoriques du fondaparinux Comparativement à l’héparine non fractionnée (HNF) et aux héparines de bas-poids moléculaire (HBPM) : • il s’agit d’une molécule entièrement synthétique ; • il n’interagit pas avec les plaquettes et n’est donc pas susceptible d’induire des thrombopénies comme l’héparine ; • sa demi-vie est plus longue que celle de l’HNF et des HBPM, permettant une administration quotidienne unique par voie sous-cutanée ; • il n’est pas métabolisé, sa biodisponibilité est complète et il ne subit pas de liaisons plasmatiques non spécifiques. Son effet anticoagulant est donc plus prédictible et n’impose pas de surveiller les paramètres de la coagulation. Les données cliniques actuelles Celles-ci concernent surtout la maladie veineuse thromboembolique : • en prévention après chirurgie orthopédique des membres inférieurs, trois études randomisées de phase III (Ephesus, Pentamarks et Penthifra) ont conclu à la supériorité du fondaparinux sur l’énoxaparine ; une quatrième étude (PENTHATLON 2000) a seulement montré une tendance non significative en faveur du fondaparinux. Les taux de saignements majeurs étaient identiques dans les groupes fondaparinux et énoxaparine. Le fondaparinux (Arixtra ®) a obtenu l’autorisation de mise sur le marché pour la « prévention des événements thromboemboliques veineux en chirurgie orthopédique majeure du membre inférieur ». • En traitement curatif, les résultats des études MATISSE DVT comparant le fondaparinux à l’énoxaparine, et de MATISSE PE, le comparant à l’HNF, sont en attente. Fondaparinux et SCA sans sus-décalage de ST L’étude PENTUA (phase II) a inclus 1 134 patients randomisés en deux groupes de traitement de 3 à 7 jours : soit du fondaparinux à 4 posologies différentes (2,5 à 12 mg/j), soit de l’énoxaparine. Sur le critère primaire de jugement, combinant décès/infarctus/récidives ischémiques à 9 jours, une différence en faveur du fondaparinux à la dose de 2,5 mg/j a été observée (30 vs 40 % pour l’énoxaparine, p = 0,04). L’incidence des saignements a été faible ; aucun saignement majeur n’a été observé dans les groupes fondaparinux 2,5 mg et énoxaparine. L’étude OASIS-5 a randomisé 20 078 patients dans les 24 premières heures d’un SCA ST- vers un traitement par fondaparinux (2,5 mg par jour, en sous-cutané) ou par énoxaparine (1 mg/kg 2 fois par jour) pendant 2 à 8 jours. Le critère primaire d’efficacité combinait décès/infarctus/récidives ischémiques à 9 jours. Le critère primaire de sécurité était le taux de saignements majeurs à 9 jours. Résultats de l’étude OASIS-5 Sur le critère primaire d’efficacité, les taux sont identiques dans les deux groupes (5,8 % pour l’énoxaparine, 5,9 % pour le fondaparinux), les courbes sont superposables et le fondaparinux remplit les critères de non-infériorité par rapport à l’énoxaparine. En revanche, on constate une importante différence sur le critère de sécurité, avec une réduction de 47 % des saignements majeurs dans le groupe fondaparinux (2,1 vs 4,0 % dans le groupe énoxaparine, p 0,0001). Les transfusions sont beaucoup moins fréquentes dans le groupe fondaparinux (3,4 vs 4,4 %, p 0,0001). Le bénéfice clinique net du fondaparinux par rapport à l’énoxaparine – combinaison des résultats d’efficacité et de sécurité – est important (figure 2), défini par un rapport de risque de 0,82 (intervalle de confiance à 95 % : 0,74-0,90, p 0,00001). Alors que la différence portant sur le critère de sécurité s’observe dans les tout premiers jours, les courbes d’efficacité divergent avec le temps et aboutissent à une supériorité du fondaparinux à 1 mois. La réduction de mortalité à 1 mois dans le groupe fondaparinux est directement expliquée par la plus faible incidence des saignements : sur les 57 décès supplémentaires dans le groupe énoxaparine, 39 (68 %) leur sont attribués. À 6 mois, la différence d’efficacité est encore plus marquée et tous les critères suivants : décès, décès/infarctus, accident vasculaire cérébral, décès/infarctus/accident vasculaire cérébral, sont significativement réduits dans le groupe fondaparinux (figure 3). Figure 2. MICHELANGELO : OASIS-5. Figure 3. OASIS-5 : critère de jugement principal Décès/IDM/Ischémie réfractaire à 9 jours. - Pour S. Yusuf, investigateur principal de l’étude, le bénéfice du fondaparinux est observé dans tous les sous-groupes, quels que soient les types d’hôpitaux (avec ou sans salle de cathétérisme) et de prise en charge (conservatrice ou invasive). - Le traitement de 1 000 patients par du fondaparinux à la place de l’énoxaparine préviendrait 10 décès, 4 accidents vasculaires cérébraux et 25 saignements majeurs. Enfin, le coût du fondaparinux est inférieur à celui de l’énoxaparine. Son rapport coût/efficacité serait donc indiscutablement meilleur. Critiques d’OASIS-5 Plusieurs critiques ont cependant été opposées à l’enthousiasme suscité par ces résultats. La dose élevée d’énoxaparine (1 mg/kg), non adaptée à l’âge ni à l’activité anti-Xa, a pu expliquer, du moins en partie, et en priorité chez les sujets âgés, l’excès d’hémorragies observé dans ce groupe. De même, la dose d’HNF ajoutée lorsqu’une angioplastie était réalisée au-delà des 6 heures suivant l’administration de l’énoxaparine (100 U/kg sans anti-IIb/IIIa, 65 U/kg avec anti-IIb/IIIa) peut être considérée comme trop élevée, supérieure à celle habituellement utilisée en pratique courante, ce qui a pu contribuer à augmenter encore le risque hémorragique dans ce groupe. Un risque accru de thromboses sur cathéter au cours des interventions coronaires percutanées a été observé dans le groupe fondaparinux (1,3 vs 0,5 % dans le groupe énoxaparine). Parallèlement, une légère augmentation du risque de décès et d’infarctus a été observée dans ce groupe, jusqu’à ce qu’un amendement au protocole de l’étude autorise l’administration d’une petite dose d’HNF chez les patients sous fondaparinux avant une angioplastie. Fondaparinux et infarctus myocardique aigu avec sus-décalage de ST L’étude PENTALYSE (phase II) a randomisé 326 patients traités par rtPA dans les six premières heures d’un infarctus du myocarde ST + vers un traitement par fondaparinux pendant 5 jours ou par HNF pendant 2 à 3 jours. Une coronarographie a été faite à 90 minutes et à 6 jours. À 6 jours, une tendance en faveur d’une diminution du risque de réocclusion de l’artère de l’infarctus a été observée dans le groupe fondaparinux (0,9 vs 7 %, p = 0,06). Les revascularisations y étaient aussi moins fréquentes (39 vs 51 %, p = 0,05). Le risque d’accident hémorragique grave, intracrânien ou nécessitant une transfusion, a été identique dans les deux groupes. L’étude OASIS-6 (figure 4) est un essai international randomisé de phase III, dont l’objectif est de comparer l’efficacité et la sécurité du fondaparinux par rapport à un traitement témoin dans un large spectre de patients ayant un infarctus du myocarde ST +. Il comporte deux strates de randomisation : • la strate 1 concerne les patients n’ayant pas d’indication reconnue à l’HNF (fibrinolyse par agent non fibrino-spécifique, ou aucun traitement de reperfusion) ; le fondaparinux y est comparé à un placebo ; • la strate 2 concerne les patients ayant une indication reconnue de l’HNF (thrombolyse par un agent fibrinospécifique, ou angioplastie primaire) ; le fondaparinux y est comparé à l’HNF. Figure 4. OASIS-5 : critère de jugement principal: saignements majeurs à 9 jours. Les critères primaires de jugement portent sur l’évaluation de l’efficacité du fondaparinux par rapport au témoin (placebo ou HNF) dans la prévention des décès et récidives d’infarctus à 9 jours et de sa sécurité vis-à-vis des saignements majeurs à 9 jours. La population de l’étude est de 10 000 patients. Ses résultats devraient être connus en 2006. Faut-il passer
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