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Trucs et astuces pour comprendre et interpréter les essais cliniques
M.-D. DRICI, Service de Pharmacologie-Toxicologie Médicales, CHU de Nice

Le Printemps de la cardiologie
Généralités La lecture d’articles médicaux indépendants est incontournable pour améliorer nos pratiques professionnelles. Les différents types d’articles rencontrés nous permettent : – D’étancher notre curiosité comme les « cas cliniques » ou les « lettres » ; – De nous instruire afin de faire le point dans un domaine précis comme les « revues générales » ; – D’appliquer les principes de médecine basée sur les preuves (evidence-based medicine) avec les « articles originaux ». Dans tous les cas, ces articles apportent souvent des informations pertinentes concernant notre pratique quotidienne et leur lecture régulière est impérative. Il existe plusieurs approches de lecture des articles médicaux, essentiellement par « grilles », qui correspondent en fait aux « grilles d’écriture » requises par les revues à comité de lecture qui les acceptent. Il n’en existe toutefois pas d’universelle, et c’est à chacun de nous de développer une démarche personnelle de lecture correspondant à nos besoins. Quelques bases sont néanmoins incontournables. L’immense majorité des articles d’evidence-based medicine est composée selon le schéma classique I.M.R.A.D. correspondant à une Introduction claire, au Matériel, Méthodes et Patients, aux Résultats, et à la Discussion. L’ensemble de ces éléments (sauf la discussion) figure déjà dans le protocole à l’origine de la recherche ayant abouti à la publication. Points essentiels d’un article, figurant au protocole de recherche Introduction et objectif de l’étude Tout article débute par un rationnel qui intéresse le médecin, et doit être correctement exposé pour donner lieu à une hypothèse de recherche. L’existence d’une telle hypothèse doit être évidente à la lecture. Il faut donc, sauf dans quelques rares cas, éviter les articles qui reposent sur une observation pure d’un groupe de patients pris « au fil de l’eau », sans hypothèse de travail claire, car ces articles témoignent d’interprétations abusives, souvent portées a posteriori. L’hypothèse de travail découle directement du rationnel observé dans l’introduction de l’article, et aboutit dans les dernières lignes de l’introduction, à établir un objectif clair et pertinent. Il est impératif que cet objectif clinique soit atteint par une méthodologie adaptée. Méthodologie adaptée Pour un objectif donné, une seule réponse est attendue, et un seul essai est réalisé. Le critère principal de jugement et sa mesure Cet objectif est basé sur la mesure d’un critère principal de jugement. Si la fréquence d’apparition du critère de jugement est faible (mortalité globale dans l’hypertension de grade 1 par exemple), le critère peu être composite (agrégation de plusieurs critères comme la mortalité cardiaque, les AVC, les hospitalisations, etc.) ce qui permet d’en augmenter la fréquence d’apparition et de diminuer le nombre de sujets nécessaires pour réaliser l’objectif. Dans tous les cas un seul critère de jugement principal doit être choisi. Le nombre de critères secondaires doit être limité à son minimum car leur interprétation n’aboutit qu’à de nouvelles hypothèses de travail et non à des conclusions fermes et définitives. Ainsi, seule la conclusion portant sur la mesure du critère principal du jugement est valide et interprétable. Ce critère doit être cliniquement pertinent, il doit correspondre au problème posé, et doit être mesuré de manière fiable, reproductible, et standardisée, ne serait-ce que pour permettre à différents investigateurs dans des centres géographiquement éloignés, ou au même investigateur à plusieurs temps différents, d’aboutir à une mesure fiable dans tous les cas (hypertension artérielle par exemple). Etude prospective, contrôlée, randomisée, en insu Interpréter une étude rétrospective correspond à peu près à cette affirmation triviale dont on perçoit les limites : « tous les gagnants de la loterie ont acheté un billet ! ». S’il est facile dans ce cas de comprendre que l’inverse n’est absolument pas vrai, ce peut être beaucoup plus délicat dans un article scientifique ou qui se veut tel. L’étude doit donc être prospective. Elle doit être aussi contrôlée, c’est-à-dire qu’une partie des patients bénéficiera du nouveau traitement alors qu’une autre partie bénéficiera d’un traitement classique. S’il n’en existe pas, la comparaison fera appel à un traitement placebo. Une exemple est celui du traitement de l’hypertension du sujet très âgé dans l’étude HYVET© : le bénéfice du traitement de l’hypertension artérielle du sujet très âgé n’ayant pas été prouvé jusqu’alors, l’étude prospective d’une association antihypertensive contrôlée par du placebo a conclut de manière définitive à l’intérêt d’entreprendre ou de continuer à traiter les sujets hypertendus très âgés. On peut toutefois se poser la question : qui aurait arrêté le traitement antihypertenseur d’un sujet âgé ? Mais il s’agit là de la pertinence de l’hypothèse de travail et non de la rigueur de la méthodologie. Plutôt qu’établir des comparaisons « avant-après », il est essentiel d’avoir une étude contrôlée car beaucoup de pathologies évoluent au cours du temps, et différents aléas (effet Hawthorne, régression à la moyenne, effet placebo, effet nocebo, biais divers, etc.) peuvent être à l’origine de ce qui est attribué a priori comme à l’efficacité d’un traitement. Il est nécessaire que les traitements dont vont bénéficier les patients des groupes soient tirés au sort ou randomisés (de l’anglais random : hasard) et non choisis en ouvert délibérément par le praticien. Seul le hasard peut distribuer de manière équitable les biais potentiels dans les deux groupes. Afin de limiter les biais d’interprétation qui peuvent provenir des patients (convaincus de recevoir un traitement efficace s’il le reconnaissent), mais aussi des médecins (une toux sera plus volontiers attribuable à un IEC qu’à un antagoniste calcique si le médecin connaît le traitement attribué), les techniques de l’insu, voire du double-insu, sont indispensables. Ni le patient, ni le médecin ne savent quel traitement est reçu et le critère de jugement mesuré est donc indemne d’appréciation subjective par l’une ou l’autre des parties. Auparavant, il aura été nécessaire de définir très spécifiquement la maladie étudiée (existence d’une forme clinique particulière par exemple), les critères d’inclusion et de non-inclusion des patients (ceux que l’on ne peut inclure dans un essai n’en sont pas exclus : ils n’y participent tout simplement pas !) ainsi que les critères d’exclusion (retrait du consentement informé par exemple). Il est indispensable de décrire les traitements médicaux que les patients recevront, avec justification des doses, en particulier des traitements servant de contrôle. Par exemple, un des médicaments référence utilisé dans l’angor comme dans l’hypertension est la dose de 50 mg d’aténolol. Cette dose, même si elle est fréquemment employée, n’est pas optimale pour le traitement de l’angor, et discutable dans celui de l’hypertension artérielle. Toute comparaison d’efficacité d’un nouveau traitement contre cette dose contrôle sera à relativiser, en particulier si les conclusions de l’article concluent au miracle ! La lecture soigneuse de la justification du choix de dose est très importante, de même que la comparaison avec ce que nous faisons en cabinet ou à l’hôpital. Il est très rare que nous utilisions en pratique les doses de statines qui ont démontré leur efficacité dans la prévention secondaire cardio-vasculaire et personne ne connaît le bénéfice des doses plus faibles qui nous sont habituelles et qui pourtant ont un coût pour notre système de santé. Les traitements associés, les traitements interdits, ainsi que les effets indésirables éventuels et leur méthode de recueil doivent apparaître à la lecture de l’article. Par exemple à la question : « Est-ce que vous tolérez bien le traitement ? », les patients répondent très souvent oui. Si la question est maintenant dirigée : « Avez-vous quelquefois des maux de tête ? » Il est très probable que des effets indésirables vont apparaître. C’est aux différences des méthodes de recueil que l’on doit les fréquences d’apparition de toux lors de l’utilisation d’IEC qui sont parfois de 3 % à près de 40 % selon l’article ! D’où l’intérêt du caractère prospectif de l’étude et du double insu. Globalement la méthodologie utilisée doit découler des objectifs, et non l’inverse. Analyse statistique À la fin de la section Matériel et Méthodes/Patients apparaît l’analyse Statistique. Elle est dans tous les cas prédéfinie avant le début de l’étude avec des pré-requis solides et une planification parfaite. Le point primordial dans cette analyse est celui du calcul du nombre de sujets nécessaires pour mener à bien cet essai et en tester l’objectif principal. Le calcul du nombre de sujets nécessaires est absolument indispensable si on veut extrapoler les résultats de cette étude à une population beaucoup plus large de patients présentant les mêmes caractéristiques, donc à votre patientèle ! Ce nombre se calcule en fonction de quatre éléments : – Le risque statistique accepte de dire qu’un traitement est supérieur à un autre alors que ce n’est pas le cas : établi internationalement à un maximum de 5 %, il correspond au fameux « p 0,05 ». C’est le risque alpha. Le risque de ne pas conclure à une différence qui existe est lui aussi important à considérer. C’est le risque béta que l’on choisit entre 5 et 20 % habituellement. Il est généralement exprimé sous forme de « puissance statistique » : 1-béta. Ainsi un essai dont la puissance est de 90 % permet de dire qu’on n’accepte que 10 % de chances de « passer à côté » d’une différence si vraiment elle existe. – La différence que l’on attend entre les deux traitements : plus elle est importante, moins il faut de sujets pour le prouver. Par exemple, la méningite tuberculeuse était spontanément mortelle avant l’apparition des antibiotiques. Il a suffi du premier cas de survie avec la streptomycine pour en prouver l’efficacité.
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