Fémorale et paclitaxel Après l’Iliaque et l’Odyssée… la dernière tragédie grecque
Jean-Marc PERNÈS, PCVI 92, Hôpital Privé d’Antony
Kostantinos Katsanos est grec, radiologue vasculaire interventionnel à Patras, sans doute à ce jour l’un des hommes les plus honni par les actionnaires des grandes multinationales pharmaceutiques et le digne épigone des Eschyle, Sophocle et autres Euripide, eu égard à sa contribution remarquée aux Grandes Dionysies 2018… Sa dernière « oeuvre » s’inscrit en effet dans la plus pure lignée des grandes tragédies hellènes, mêlant passions, hubris et… pharmakon, ce remède et poison de la Grèce antique, dont le patronyme lui-même, paclitaxel, ne déparerait pas à l’illustre galerie des guerriers d’Homère !
ACTE I : DED ET DÉCÈS Le premier acte se joue le 18 décembre 2018 sous le titre glaçant de : Risk of death following application of paclitaxel-coated balloons and stents in the femoropoplieal artery of the leg: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials(1). Il s’achève sur la révélation d’une surmortalité significative à 5 ans dans le groupe des patients traités pour des lésions obstructives de l’artère fémorale superficielle (AFS) par des Drug Eluting Devices (DED), ballons et stents « actifs » (DEB et DES) au paclitaxel (PTX), comparativement au ballon simple. Ces conclusions sont issues d’une métaanalyse de 28 études randomisées (4 432 patients), montrant à 1 an l ’absence de différence en termes de mortalité, mais une surmortalité déjà apparente à 2 ans pour les 12 études disponibles avec ce recul chez 2 316 patients (7,2 %/3,5 % pour le groupe contrôle ; p 0,05). Cette surmortalité augmente à 5 ans (863 patients) pour les 3 études avec le même suivi : 14,7 %/ 8,1 %, soit un Risk Ratio (RR) de 1,98, un risque absolu majoré de 7,2 %, un risque relatif de 93 %, et donc un risque de décès concernant 1 patient sur 14. Les auteurs soulignent également une relation linéaire entre la dose de PTX présente sur le DED et le décès. Les conclusions de l’article sont sans équivoque : il existe une surmortalité tardive liée aux DED, celle-ci semble dose dépendante, même si les auteurs conviennent des limitations de la métaanalyse, en particulier sa réalisation à partir des données brutes des publications et non des données individuelles (patient level data), le mélange des deux types de matériel (DEB et DES) et surtout l’absence d’explication causale à cet excès de mortalité imputé au paclitaxel. La surprise est totale Le suspect jouissait en effet à ce jour d’une solide et honorable réputation : rappelons que le PTX est approuvé depuis 1992 par la Food and Drug Administration (FDA), dans le traitement chimiothérapique des cancers, en particulier du sein et des ovaires, sous le nom de Taxol®, agent cytotoxique à haute dose, 50 à 100 ng/mg ; 200 à 300 mg sont délivrés à chaque administration, prolongée sur 3 à 24 heures, souvent répétée. Le paclitaxel utilisé en chimiothérapie est non aqueux et nécessite d’être solubilisé dans un solvant, généralement du Cremaphor ®, dérivé d’huile de castor (sans Pollux, l’autre Dioscure). Ces valeurs sont très nettement supérieures à celles objectivées dans les études cliniques pivot avec les DED, autour de 1 mg en moyenne, mais pouvant atteindre 20 mg pour le traitement des lésions les plus longues, voir 70 mg dans des registres de vraie vie pour les occlusions fémorales très longues. Enfin, les quantités de PTX libéré sont nettement moindres pour les DES (0,1 à 3,5 mg) que pour les DEB (1 à 21 mg), les anciens DES coronaires n’en contenant que 200 μg. Et pour bien positionner le curseur du rapport bénéfices/ risques de l’usage des DED, il convient de s’imprégner du fait que l’épée de Damoclès est suspendue au-dessus de la tête (et non des jambes…) de patients traités pour claudication (stade 2 ou 3 de Rutherford), liée à des lésions anatomiques modestes (TASC A et B : soit sténose et occlusion 15 cm), et dont l’évaluation du traitement dans ces études randomisées se fait en comparaison du ballon nu, le POBA (plain old balloon angioplasty) des auteurs anglo-saxons, que plus aucun angioplasticien n’utilise seul depuis les calendes… grecques. Dans ces conditions, le bénéfice en termes de TLR, est certes intéressant à 2 ans, avec un RR à 0,55 (soit une réduction de TLR de l’ordre de 50 % en faveur des DED), mais nettement moins fringuant à 5 ans, avec un RR dans la métaanalyse des études randomisées avec ce recul, de 0,8, soit une réduction d’environ 20 % de gestes de revascularisation sur la lésion cible. On imagine aisément à ce stade de l’histoire, les contorsions sémantiques nécessaires pour obtenir un consentement libre et éclairé du patient… ACTE II : SÉRENDIPITÉ OU ANALYSE RATIONNELLE DES ALARMES PAR NOTRE STOÏCIEN ? Avant de détailler les réactions, assez grégaires, voire pavloviennes, engendrées par ce pavé jeté dans la mare, souvenonsnous, au moins pour les plus anciens des lecteurs de Cath’Lab, d’un épisode presque analogue, qui ébranla, en son temps, les certitudes de la communauté cardiologique interventionnelle : les résultats des deux métaanalyses( 2,3) à l’ESC de Barcelone en 2006 suggérant une surmortalité liée aux stents actifs au sirolimus… mais pas au paclitaxel (stent Taxus™, Boston Scientific). Il s’en suivi une brutale chute des implantations aux États-Unis, moins marquée en France où la réglementation en vigueur limitait les autorisations aux lésions à risque de resténose (taux de pénétration à l’époque autour de 50 %), et une prise de conscience des manquements de l’époque sur l’évaluation de la sécurité et des imperfections des prises en charge. De nouvelles dispositions plus drastiques et efficaces seront mises en place, la chevelure du Kairos ayant été saisie à temps… La 2e et la 3e génération s’habille de limus Fort heureusement, l’impact a finalement été mineur car la révolution technologique était en marche et allait se télescoper favorablement avec la catastrophe qui se profilait… ce sera l’arrivée, quasi contemporaine de ces publications, des stents de 2e, puis plus tard de 3e génération, caractérisés par l’amélioration substantielle de leur plateforme métallique, la nature du polymère (adaptée, biodégradable ou absent), le choix exclusif des limus, qui seront ainsi innocentés des griefs d’imputabilité de surmortalité, au détriment du paclitaxel, certes exempté de tout soupçon d’empoisonnement, mais irrémédiablement sacrifié sur l’autel de la prévention de la resténose, du fait de l’affirmation d’une plus faible action inhibitrice sur l’hyperplasie intimale. On peut aussi s’interroger sur les motivations qui ont poussé la recherche dédiée à la pathologie périphérique à faire le grand écart avec les conclusions cardiologiques, soit l’exclusivité du PTX comme agent d’élution (pourtant abandonné pour les coronaires), au détriment des limus (délibérément ignoré pour les membres inférieurs). Le péché originel tient peut-être à ce vent mauvais porté par l’étude SIROCCO(4), qui a éparpillé les limus loin des jambes ! Publiée en 2006 (décidément une annus horribilis pour les artères…), elle sonne le glas pour un bon moment des DES, en montrant à 2 ans un taux identique (et faible) de resténose (23 %/21 %) dans les deux sous-groupes randomisés (48 sujets/47 avec lésions type TASC C de l’AFS), stent actif (Smart™ au sirolimus, Cordis) et stent nu (Smart™ au nitinol, Cordis), avec, ironie de l’histoire, une mortalité assez rédhibitoire dans le groupe sirolimus : 7/47 versus 2/47 ! Et SYNTAX arriva De cette période agitée et à jamais engloutie de la génération Taxus™, il subsiste néanmoins quelques zones d’ombre, que n’a pas manqué de relever le solipsiste du Péloponnèse : ainsi dans la célèbre étude SYNTAX qui « randomisa » 800 patients tritronculaires et/ou avec une atteinte du tronc commun entre chirurgie de revascularisation et angioplastie-stenting (Taxus™)(5). Le suivi à 5 ans des patients non inclus dans l’étude, mais suivis dans deux registres, car ne répondant pas aux critères d’inclusion (patients accessibles aux 2 techniques), a révélé selon M. Milojevic une mortalité dans le registre PCI (198 sujets non techniquement opérables) de 30 % contre 12 % des 647 patients du registre chirurgical (non dilatables), avec une différence de mortalité cardiovasculaire (12 %/4,7 %) et, selon les termes mêmes des auteurs de l’article, de manière inexplicable, non cardiovasculaire (14,9 %/5,3 %). Par ailleurs, G. Stone, dans l’analyse du suivi à 5 ans des sujets des divers programmes cliniques TAXUS(6) (I à V comparant stent nu et stent au paclitaxel avec près de 1 400 patients dans chaque groupe), a noté, après 1 an, une divergence des courbes de survie entre 1 et 5 ans (décès 6,7 %/4,5 % ; p = 0,01), liée à un excès significatif d’infarctus (3,8 %/2,3 % ; p = 0,03) et non significatif d’autres causes de mortalité cardiaque (3,5 %/2,5 % ; p = 0,15). D’autres signaux d’alarme ont également éveillé l’attention du protagoniste, du deutéragoniste et du tritagoniste ainsi que de leurs copains dans leur travail d’enquête. En premier lieu, le constat d’une association plus fréquente de décès d’origine cardiovasculaire, mais également infectieuse, gastro-intestinale et pulmonaire à 3 ans dans l’étude IN-PACT SFA (DEB), et à 2 ans dans l’étude ZILVER-PTX (DES). Ensuite plus tardivement, dans l’agitation des vérifications des diverses databases secondaires à la publication du brûlot de K. Katsanos et al., la découverte d’une inversion malencontreuse des chiffres de mortalité à 5 ans sur les figures publiées dans Circulation en 2016(7) : 10,2 % pour le DES et 16,9 % pour le ballon nu (p 0,03), alors qu’il fallait lire le contraire, c’est-à-dire une augmentation significative des décès à 5 ans dans le groupe stent PTX, surmortalité estimée selon les auteurs et la formule consacrée, sans relation avec la procédure ou le système d’élution médicamenteuse… Mais, ce qui a sans doute aussi mis la puce à l’oreille de nos chevaliers blancs dans la décision de conduire une métaanalyse de cette nature, a été la décision d’interrompre prématurément l’étude randomisée IN.PACTDEEP( 8) qui comparait, dans deux groupes de patients présentant une ischémie critique, l’emploi de DEB au PTX/ballon nu après revascularisation endovasculaire de lésions des axes jambiers (infrapoplités ou below the knee). Cet arrêt a été motivé par le constat à 1 an d’un taux élevé d’amputation dans le groupe paclitaxel/ballon nu (8,8 %/ 3,6 %), produisant un premier électrochoc dans la communauté des spécialistes des thérapeutiques endovasculaires, avec comme conséquence, une réflexion de fond sur l’origine possible de cet état de fait. Microembolisations de cristaux de paclitaxel
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