De tous temps s’affirment deux conceptions de la « création », soutenues généralement chacune par des camps parfois extrémistes ! Les uns, tournés vers le passé croient qu’il convient d’imiter les prédécesseurs, parce qu’ils ont atteint la perfection dans leur art, les autres, fixés sur le présent, pensent qu’il faut au contraire innover, trouver d’autres solutions qui correspondent à l’esprit de l’époque… Vaste et éternel débat que celui de la résistance du classicisme aux nouveaux paradigmes… et du concept de « progrès » dans l’art en général, et donc de celui de la médecine en particulier, si on la considère encore comme tel !
La stratégie de revascularisation de l’obstruction de la bifurcation de l’artère fémorale commune est un exemple on ne peut plus symbolique des guerres picrocholines qui agitent le microcosme des experts, opposant les tenants de la chirurgie traditionnelle et les nouveaux convertis à une prise en charge mini-invasive par angioplastie.
Observation 1 Bifurcation I/I/I de Medina Mr H. est un homme de 67 ans se plaignant d’une claudication ancienne à la marche du membre inférieur droit, survenant maintenant pour un périmètre de marche de 100 mètres (stade Rutherford 3). Une exploration par écho-Doppler évoque la présence d’un obstacle en regard de la bifurcation fémorale droite avec retentissement hémodynamique significatif (indice pression systolique : 0,5). Un angioscanner (figure 1) confirmera l’existence d’une sténose serrée de la terminaison de l’artère fémorale commune (AFC), étendue à l’origine de la fémorale superficielle (AFS) et de la profonde (AFP), avec un lit d’aval de qualité médiocre, limité à une seule artère péronière (type III de la classification de Gouëffic(1) et par analogie avec la classification coronaire de Medina(2), type I/I/I ; (figure 2). Après évaluation du rapport bénéfice-risque des différentes options thérapeutiques de revascularisation, le choix se porte sur une stratégie endovasculaire, d’angioplastie-stenting primaire selon la technique TAP (T and protrusion). Figure 1. Scanner avec reconstructions en mode surfacique (3D de surface SSD) (A), en rendu de volume (VRT) (B), et en projection d’intensité minimale (MIP) (C) montrant les rapports de la lésion avec le ligament inguinal et le muscle sartorius, la quantification et la localisation précise des lésions de la bifurcation fémorale droite, et les mesures des diamètres des différentes branches. Figure 2. Classification de Gouëffic (A) pour les lésions de l’artère fémorale commune et de Medina (B) pour lesbifurcations coronaires. La stratégie : choix de la technique TAP Une ponction échoguidée percutanée de l’artère fémorale commune gauche (à l’aide d’un kit type Pedal Access Cook et aiguille 21 G) sous anesthésie locale est suivie, après franchissement rétrograde de la bifurcation aortique de l’insertion d’un introducteur 7 F et 45 cm dont l’extrémité distale est positionnée à la terminaison de l’artère iliaque externe droite. Une injection confirme la lésion serrée de la terminaison de la FC s’étendant surtout vers la FS et à un moindre degré vers la FP (figure 3). Figure 3. Aspect angiographique de départ (type III Gouëffic, I/I/I Medina) avec la correspondance anatomique du scanner. Deux guides 0,014’’ type BM (Abbott), sont alors placés successivement dans la distalité de l’artère fémorale profonde et superficielle, manoeuvres suivies de la mise en place sans prédilatation d’un stent en acier inoxydable, expansif sur ballon, 7 mm x 25 mm de long (Dynamic, Biotronik), depuis la fémorale commune distale vers la fémorale superficielle proximale, couvrant l’ostium de la fémorale profonde (figure 4 A). Le guide de la fémorale superficielle est alors tiré pour franchir au retrait la maille la plus distale vers la fémorale profonde ; secondairement, le guide « piégé » de la profonde est retiré vers l’iliaque, puis repassé en J, au travers du stent, vers la superficielle. L’inflation d’un ballon de 4 mm en regard de l’ostium de la FP est d’abord pratiquée (figure 4 B), suivie d’un premier kissing par inflation simultanée de 2 ballons monorail TREK (Abbott) de 5 mm x 20 mm de long à 8 bars (figure 4, C et D). Le ballon placé dans le stent vers l’AFS est laissé en place (figure 5), puis après vérification de l’angulation optimale de la bifurcation (oblique homolatérale de 60°), un stent expansif en acier inoxydable sur ballon, monorail de 5 x 18 mm de long (Tsunami ® Terumo ) est positionné avec une courte protrusion dans le premier stent, située seulement sur le bord distal (ou inférieur) de la profonde, puis largué (technique du TAP-stenting) (figure 5 A). Le ballon est ensuite retiré jusqu’à la limite proximale du premier stent avant que l’inflation en kissing asymétrique des 2 ballons de 5 mm ne vienne conclure le geste (figure 5, B et C), soldé par un résultat considéré comme angiographiquement très satisfaisant (figure 6). Un système de fermeture mécanique type FemoSeal™ (Terumo) permet l’hémostase instantanée en regard du point de ponction fémoral gauche et la sortie du patient 2 heures après la fin de l’angioplastie ambulatoire est autorisée. Un contrôle écho-Doppler pratiqué en externe 48 heures plus tard confirme le bon résultat primaire précoce et l’absence de complication iatrogène au scarpa gauche. Un traitement par bithérapie antiagrégante (aspirine 75 mg et clopidogrel) est prescrit pour 6 mois avec relai par clopidogrel définitif seul. À 2 ans, le sujet est totalement asymptomatique avec un contrôle écho-Doppler concluant à l’absence de resténose. Figure 4. Les quatre premières étapes de la technique T and protrusion (TAP). Figure 5. Les trois étapes suivantes du T and protrusion (TAP). Figure 6. Résultat angiographique final. Observation 2 Type I/I/0 de Medina Mme G. est une femme de 76 ans, obèse (IMC > 35) qui se plaint depuis de nombreuses années d’une claudication invalidante du côté gauche (stade Rutherford III). L’écho-Doppler conclut à la présence d’une sténose serrée de la bifurcation fémorale gauche, associée à des lésions sous-jacentes de la fémorale superficielle avec un IPS à 0,7. Une indication de traitement endovasculaire est retenue par abord percutané du scarpa droit. L’angiographie initiale confirme la présence d’une atteinte de la bifurcation fémorale commune, surtout étendue vers la superficielle, a priori sans atteinte significative de l’origine de la fémorale profonde (classée Medina I/I/0) (figure 7). Un introducteur 6 F, 45 cm (Biotronik), est placé jusqu’à la terminaison de l’iliaque externe gauche après franchissement de la bifurcation aortique. Figure 7. Angiographie avec lésion de la fémorale gauche (type III Gouëffic, I/I/0 Medina). La stratégie : choix de la technique Re-POT Un guide Connect™ 0,018’’ (Abbott) franchit la lésion complexe vers l’AFS, puis l’inflation d’un ballon de 5 mm x 40 (Armada, Abbott) est réalisée (figure 8 A) avant l’insertion d’un stent expansible sur ballon (Dynamic, Biotronik) 7 mm x 38 mm de long, dans la FC, couvrant l’ostium de la profonde (figure 8 B). Ceci est suivi de l’expansion de la portion proximale du stent de la FC située en amont de l’ostium de la FP, par un ballon de 8 x 20 mm de long, selon le principe du POT (proximal optimazing technique) (figure 8, C et D). Le guide de la FS est retiré puis franchit la maille la plus distale du stent vers la FP (figure 8 E), permettant l‘inflation en regard de l’ostium de la FP, d’un ballon de 7 mm (figure 8 F), alors qu’un 2 e guide de 0,014’’ a été replacé dans l’AFS pour réaliser dans la foulée un 2 e POT de la FC (même ballon, 8 mm) (figure 8 G), pour un résultat final jugé excellent. Aucune inflation de deux ballons en kissing n’est pratiquée, ni de mise en place d’un 2 e stent vers l’AFP, le résultat étant estimé comme satisfaisant (figure 8 H). D E F G H Figure 8. Les différentes étapes de la technique re-proximal optimizing technique (POT) (A-H). À 3 ans, la patiente est asymptomatique, un contrôle écho-Doppler confirme la pérennité du résultat primaire avec un IPS à 0,9 et un angioscanner à 3 ans (uniquement une acquisition au temps portal) fait dans le bilan de douleurs abdominales, confirme le succès persistant du montage, sans resténose ou altération physique du stent (figure 9). Figure 9. Scanner au temps portal à 3 ans. Reconstructions en projection d’intensité minimum (MIP), SSD, et en rendu de volume (VRT) confirmant le bon résultat secondaire du montage, sans altération du stent ou resténose. Revascularisation des lésions de l'AFC : une variante de la querelle des "anciens" et des "modernes" En quelques années la revascularisation endovasculaire (angioplastie avec stent) est devenue la stratégie de première intention pour la grande majorité des patients souffrant de symptômes d’artériopathie chronique obstructive des membres inférieurs. En dépit de l’élargissement anatomique de ses indications, l’option angioplastie s’est heurtée longtemps à l’un des derniers bastions de résistance représenté par les lésions de l’artère fémorale commune et sa bifurcation. La chirurgie ouverte de réparation, l’endartériectomie, réalisée pour la première fois par Dos Santos en 1947, demeure dans l’esprit de ses zélateurs le gold standard inamovible, estimant la technique comme simple et sûre (perméabilité à 2 ans entre 85 et 100 %). L’argument principal des solipsistes de la variante endoluminale du traitement est le caractère jugé mobile de la zone en question sous-tendant le risque de fracture ou d’altération physique du ou des stents avec le danger de compromettre la faisabilité d’un traitement chirurgical traditionnel ultérieur. Pourtant, les niveaux de preuve médicale soutenant cette conviction intuitive, en particulier sur sa sécurité, sont assez pauvres, avec des taux de complications rapportés dans des séries ou registres prospectifs ou rétrospectifs, non négligeables (21 % pour A. Cardon (3), dont 18 % mineures, 5 % pour J.L. Kang (4) de complications majeures justifiant une reprise chirurgicale et 9 % de mineures), parmi lesquelles les dysesthésies postchirurgicales, fréquentes, sont possiblement sous-estimées. Les résultats sur les complications de l’endartériectomie fémorale issus d’un registre plus récent (taux de morbimortalité observé dans plus de 1 800 interventions faites entre 2005 et 2010 : 15 % , dont 3,8 % de mortalité et 8 % de retard de cicatrisation, survenant pour respectivement 30 et 80 % des cas après la sortie de l’hôpital)(5), conduisent d’ailleurs les auteurs à conclure que l’innocuité de cette chirurgie devrait être relativisée et l’intervention reconsidérée comme plus aussi « bénigne » que par le passé… Par ailleurs, cette notion de zone hypermobile attachée à la FC est battue en brèche par les travaux de J.F. Lopez (6) qui a démontré avec son équipe le caractère quasi fixe de l’artère, lors de la flexion de la hanche, entre les deux points les plus mobiles où l’on constate un mouvement de torsion sur l’axe du
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