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Usage de cannabis récréatif : marqueur de risque ou facteur causal d’infarctus du myocarde ?
Jean-Marc PERNÈSa, Guillaume DURAND-VIELb, Pôle cardiovasculaire interventionnel(a) (PCVI 92) et Unité de soins intensifs cardiologie(b), Hôpital Privé d’Antony

M. G. est un homme de 29 ans adressé directement en salle de cathétérisme dans un contexte de syndrome coronaire aigu (SCA) et d’un sus-décalage du segment ST dans les dérivations antérieures sur l’ECG effectué à H5 d’une douleur thoracique constrictive persistante, l’ensemble signant le diagnostic d’infarctus ST+ (STEMI). Cet épisode douloureux persistant succédait à une phase de douleurs identiques et intermittentes survenues dans les 3 jours précédents.
L'interrogatoire révèle une consommation ancienne et importante de cannabis, majorée ces derniers jours avec une dernière prise 3 heures avant l’installation de la dou- leur permanente ; M. G. consommait jusqu’à 30 « joints » par jour depuis l’âge de 15 ans, mais avait réduit ces dernières années, à 5 joints par jour. Un tabagisme chronique (15 paquets années) est associé, sans prise reconnue de cocaïne, ancienne ou récente. La coronarographie met en évidence une occlusion de l’IVA moyenne et la présence de thrombus « frais » s’étendant également dans une importante collatérale diagonale (figure 1). Le reste du réseau coronaire épicardique est strictement sain (figure 2). Figure 1. Thrombus dans la diagonale et l’IVA moyenne, occluse. Figure 2. Réseau coronaire sain. La mise en place directe et sans prédilatation de deux stents, respectivement dans l’IVA et la diagonale, permet de rétablir un flux normal, TIMI 3, dans ces deux artères (figures 3 à 5). L’évolution immédiate est simple avec un taux de troponine US à 31 000 ng/l, une akinésie apicale et une fraction d’éjection à 45 %. Le cannabis est la drogue illicite la plus consommée dans le monde, en Europe et en France (1) . Son principal composé psychoactif est le delta-9 tétrahydrocannabinol (THC), classé comme stupéfiant. Il est souvent considéré par les usagers comme sans danger pour la santé et si les effets psychiatriques et neuropsychiques du cannabis sont depuis longtemps largement décrits (2), les effets somatiques du cannabis fumé, notamment cardiovasculaires et neurovasculaires ne sont rapportés que depuis peu. Les premiers cas de complications touchant la sphère cardiovasculaire ont été décrits dans les années 1960 et les publications se sont multipliées depuis les années 2000, essentiellement sous forme de cas cliniques et de revues de littérature, alors que peu d’études épidémiologiques ont été réalisées. Au vu du développement de la littérature scientifique sur le sujet et à l’occasion d’un cas clinique symbolique d’infarctus chez un jeune consommateur, il est judicieux de dresser un état des lieux des connaissances sur les risques de survenue d’infarctus du myocarde (IDM) potentiellement engendrés par la consommation du cannabis et ses dérivés synthétiques, posant ainsi la question de la réalité d’un lien de causalité entre son usage et le déclenchement d’IDM qui, s’il n’est pas démontré, est fortement suggéré par l’existence d’une relation temporelle entre la survenue de cet événement et la prise de cannabis. Figure 3. Guides, alternativement dans la diagonale et l’IVA. Figure 4. Mise en place des stents IVA et diagonale. Figure 5. Résultat final. Cannabis : de quoi parle-t-on ? Papier, textile, corde, huile, protéines, isolant, biocarburant, parpaings, etc., le chanvre est une plante d’une polyvalence unique dans le règne végétal, mais le chanvre industriel ne se fume pas ! En effet, le Cannabis sativa contient à l’état naturel trop peu de THC, la substance psychoactive euphorisante, pour produire un quelconque effet. Le cannabis, nom latin du chanvre, ou chanvre récréatif, est en fait du Cannabis sativa sélectionné sur des générations pour concentrer le THC à des valeurs supérieures à 1,5 % ( 0,2 % en moyenne pour le chanvre industriel). Les feuilles, fleurs et tiges du cannabis produisent plus de 500 composés distincts répartis en 18 classes chimiques différentes et hébergent plus de 100 différents phytocannabinoïdes. Les principaux phyto-cannabinoïdes semblent être le delta-9-tétrahydrocannabinol (Δ9-THC, THC), le cannabinol (CBN) et le cannabidiol (CBD), bien que l’abondance relative de ceux-ci et d’autres phyto-cannabinoïdes varient en fonction des hybridations entre les 3 variétés connues de Cannabis ( sativa, indica et ruderalis). Le Δ9-THC est de loin le cannabinoïde le plus étudié et est à l’origine de nombreux, si ce n’est de la plupart des effets physiques et psychotropiques du cannabis. D’autres phytocannabinoïdes (tels que le CBD, le CBC et le CBG) sont présents en moindre quantité dans la plante et ont peu de propriétés psychotropiques, voire aucune(3). Le cannabis fait l’objet d’utilisations très diverses : sous forme de chanvre, il est cultivé pour des usages industriels (textile, papeterie, isolation, alimentation animale, etc.), principalement en Chine, en Europe et au Canada. Il peut également être produit de façon légale pour des usages médicaux, usages remontant à plusieurs millénaires (il était alors utilisé pour ses qualités antalgiques, antispasmodiques et anti-inflammatoires en Chine, en Inde et au Moyen-Orient), qui s’étaient perdus au fil du temps avant de connaître un regain d’intérêt à partir des années 1990. Enfin, il fait l’objet d’usages non médicaux dits « récréatifs » — légaux ou plus souvent illégaux—, pour ses propriétés psychoactives : il est alors le plus souvent fumé, sous forme d’herbe (marijuana) ou de résine (haschich) avec du tabac. Le cannabis a été utilisé comme substance euphorisante depuis au moins 4 000 ans et demeure aujourd’hui la drogue illicite la plus populaire au monde. Selon le World Drug Report de 2020 (4), on estime que 192 millions de personnes ont consommé du cannabis en 2018, soit environ 5 % de la population mondiale, cette proportion étant encore plus élevée en Amérique du Nord, avec 43 % des petits américains de moins 12 ans avouant une utilisation dans l’année 2019. Depuis 2012, deux pays (Uruguay et le Canada) et 33 états américains sur 50 ont dépénalisé, légalisé et régulé la culture, la vente, la détention et la consommation de cannabis pour les adultes, à des fins récréatives, après en avoir autorisé l’usage à des fins médicales. Ainsi, en 2021, dans le troisième pays le plus peuplé du monde, plus d’un quart des habitants expérimentent un régime légal autorisant la consommation de cannabis à titre non médical pour les adultes (soit 92 millions de citoyens) (5). En 2014, 17 millions de personnes âgées de 11 à 75 ans ont expérimenté, forcément illégalement, le cannabis au cours de leur vie, en France métropolitaine, dont 4,6 millions en ont consommé dans l’année, 1,4 million en font un usage régulier (au moins 10 fois dans le mois) et 700 000 en consomment tous les jours (6). L’usage au cours des 12 derniers mois concernait surtout les plus jeunes : 38 % chez les jeunes de 17 ans, 28 % chez les 18-25 ans et 11 % chez les 18-64 ans. Les premiers sont 9 % à en faire un usage régulier (7). Parmi les usagers au cours des 12 derniers mois, 21 % présentaient un risque élevé d’usage problématique de cannabis. En 20 ans, le marché des drogues en France a connu des mutations considérables. La première consiste en la diversification importante des produits proposés sur fond de fortes progressions des consommations. Entre 2000 et 2017, chez les 18-64 ans, les usages dans l’année de cannabis ont fortement augmenté, passant de 8 à 11 %, ceux de cocaïne étant multipliés par plus de cinq, passant de 0,3 à 1,6 %, tandis que ceux d’ecstasy sur la même période étaient multipliés par cinq (de 0,2 à 1 %). Apparus en France aux alentours de 2008, les nouveaux produits de synthèse (NPS) constituent un ensemble hétérogène de substances, potentiellement infini. Les cannabinoïdes de synthèse (CS) constituent la famille de NPS dont la cible potentielle, les usagers de cannabis, apparaît la plus large. L’expérimentation des CS concernait en 2014 jusqu’à 4 % des 18-34 ans (6). À partir du milieu des années 2000, le dispositif TREND commence à faire état du développement de pratiques, notamment chez les usagers intensifs de cannabis, tendant à privilégier l’herbe ( jugée plus naturelle) au détriment de la résine considérée comme un produit « bas de gamme » de qualité médiocre (8). Si la fin des années 2000 a marqué en France la fin du cycle hégémonique de la résine, la production marocaine s’est adaptée en fabriquant des produits plus puissants grâce à l’introduction de variétés hybrides à teneur élevée en THC (9). Ainsi, entre 2010 et 2019, le taux moyen en THC de la résine saisie en France a presque triplé, passant de 10,5 à 28,2 % (10). Cette forte hausse des taux de THC pose question quant aux risques induits. Effets physiologiques du cannabis récréatif sur le système cardiovasculaire Pour bien comprendre l’impact du cannabis sur le système cardiovasculaire, il est impératif d’intégrer le fonctionnement du système endocannabinoïde (SEC). Le SEC est un ancien système de signalisation lipidique ubiquiste, conservé au cours de l’évolution, que l’on retrouve chez tous les vertébrés, lequel semble jouer un très grand rôle de régulation dans tout le corps humain (11). Le SEC participe à la régulation d’un nombre très vaste de processus physiologiques et physiopathologiques, dont le développement du système nerveux, la fonction immunitaire et cardiovasculaire, l’inflammation, l’appétit, le métabolisme et l’homéostasie énergétique, la digestion, le développement osseux, la densité osseuse, la plasticité synaptique et l’apprentissage, la douleur, la reproduction, la maladie psychiatrique, le comportement psychomoteur, la mémoire, les cycles de veille et de sommeil ainsi que la régulation du stress, de l’état émotionnel et de l’humeur (12). En outre, tout porte à croire que le dérèglement du SEC contribue à de nombreuses maladies chez l'humain et engendre notamment de la douleur, de l'inflammation, des troubles psychiatriques. Le SEC est principalement composé des récepteurs de cannabinoïdes 1 et 2 (CB1 et CB2), des endocannabinoïdes (dérivés d’acide arachidonique, synthétisés « sur demande », en réponse à un potentiel d'action dans les neurones ou en réponse à un autre type de stimulus biologique), des enzymes de
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