Aller au contenu principal
TwitterFacebookLinkedinPartager

HTA

Publié le  Lecture 11 mins

À quelle heure administrer les antihypertenseurs ?

P. BOUTOUYRIE, Pharmacologie, université Paris-Descartes, HEGP, Inserm U970, Paris

L’hypertension artérielle (HTA) est le facteur de risque le plus fréquent, intéressant plus de 10 millions de Français, et pourtant plus de la moitié ignorent leur maladie(1). Elle reste le facteur de risque modifiable entraînant le plus grand nombre d’événements cliniques(2) : accidents vasculaires cérébraux, cardiopathies ischémiques, insuffisance cardiaque et insuffisance rénale.

Le traitement de l’HTA est l’une des grandes avancées thérapeutiques du XX e siècle, cependant le contrôle tensionnel à l’échelle des populations est encore insuffisant, avec à peine 50 % des patients contrôlés à moins de 140/90 mmHg (1). Les causes de ce mauvais contrôle sont multiples. Au premier rang se situe l’inertie thérapeutique, phénomène par lequel les thérapeutes et les patients « scotomisent » les chiffres tensionnels élevés et ne procèdent pas aux adaptations thérapeutiques pourtant nécessaires. Bien que complexes, les déterminants de cette attitude irrationnelle sont liés à la fois à une mauvaise perception du risque bien réel de l’hypertension, qui paraît hypothétique et lointain dans le temps, alors que celui des effets indésirables des médicaments est perçu comme très probable, et proche dans le temps. La variabilité de la pression artérielle, elle aussi bien connue, a longtemps été perçue comme un obstacle au bon diagnostic de l’hypertension, alors qu’elle participe au risque. Parmi les autres facteurs de mauvais contrôle, on peut citer : - la mauvaise observance ; - la résistance réelle et l’insuffisance des classes pharmacologiques actuelles, des stratégies thérapeutiques disponibles ;- l’épuisement de la motivation des médecins et des patients. La chronothérapie consiste à choisir le moment opportun pour administrer un traitement afin d’optimiser son efficacité et/ou de limiter ses effets secondaires (3). L’HTA étant éminemment variable, soumise à des rythmes biologiques intenses à court, moyen et long terme (4), il était extrêmement tentant d’appliquer les concepts de chronothérapie pour optimiser la prescription des antihypertenseurs sur la réponse tensionnelle (5). Nous aborderons dans ce document tout d’abord les sources de la variabilité tensionnelle et de la réponse au traitement, les données existantes de chronothérapie, enfin comment la variabilité de la PA et de sa réponse au traitement peut influencer le pronostic des patients. Rationnel de la chronothérapie de l’HTA La PA est un paramètre extrêmement variable à différentes échelles de temps, allant de la seconde à la vie entière (4,6-7). Elle varie au cours du cycle cardiaque. Elle est minimale en fin de diastole (pression diastolique, PAD), et maximale en systole lors de la contraction cardiaque (pression systolique, PAS). L’amplitude de la variabilité au cours du cycle cardiaque est la pression pulsée (PP), qui augmente de manière disproportionnée passé 50 ans, traduisant l’augmentation de la rigidité artérielle. La PP est un facteur de risque indépendant de morbi-mortalité (8-10). Elle varie à court terme, au cours du cycle respiratoire et est déterminée par le tonus parasympathique. La pression baisse lors de l’expiration lente, et augmente lors de l’inspiration. Le tonus sympathique induit une variabilité à plus basse fréquence dont l’amplitude est de 10 à 20 mmHg, pour un rythme de 0,05 à 0,15 Hz (1 pulsation pour 10 sec environ) (6,7). L’importance de la balance sympatho-vagale a été montrée voici près de 15 ans en termes de morbidité et de mortalité chez les patients en post-infarctus (11). L’activation sympathique liée au stress de la mesure est généralement considérée comme la cause de l’HTA dite blouse blanche (12). Variabilité nycthémérale et risque cardiovasculaire Le plus puissant rythme synchronisateur de la PA est le rythme nycthéméral (3), c’est le principal phénomène expliquant les possibilités de chronothérapie. La PA est maximale le jour et minimale la nuit (13,14). Cela est partiellement expliqué par les variations du tonus sympathique et parasympathique, l’activité, par les sécrétions hormonales (cortisol, système rénine-angiotensine-aldostérone), la position, la prise de nourriture (14) (figure 1). Heure du pic fonctionnel des grands systèmes Figure 1. Chez l’hypertendu, plusieurs profils de variabilité nycthémérale ont été décrits : - le profil normal (dit dipper), avec une baisse en moyenne de 10 à 20 % de la PAS la nuit ; - et un profil à haut risque (non dipper) où la PA ne baisse pas la nuit ( 10 %) (15,16) (figure 2). Les profils de variabilité nycthémérale Figure 2. Les profils nycthéméraux de pression sont associés au risque cardiovasculaire (17). Les patients ayant le risque le plus faible sont les dippers extrêmes, ceux ayant le risque le plus élevé les dippers inverses. Un objectif potentiel de la chronothérapie est de préserver, restaurer, voire accentuer le cycle nycthéméral normal. Un aspect important des profils ambulatoires de la PA est sa remontée matinale rapide, ce d’autant qu’elle est élevée le jour et basse la nuit (figure 2). Cette période est particulièrement vulnérable. Les variations rapides de PA sont associées à la survenue d’accidents cardiovasculaires graves (infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux), lesquels sont justement plus fréquents et plus graves en début de matinée (réveil) et en début d’après-midi (remontée tensionnelle post-sieste et postprandiale). Une remontée trop rapide de la PA le matin est associée à un risque d’événement cardiovasculaire accru (18). L’incidence plus élevée des événements cardiovasculaires la nuit et le matin correspond à l’existence de cycles nycthéméraux marqués pour les grands systèmes physiologiques. Nous avons déjà mentionné le système nerveux autonome, il en va de même pour tous les systèmes de régulation cardiovasculaire : peptides natriurétiques, système rénine-angiotensine-aldostérone, thrombose et hémostase, pour n’en citer que quelques-uns (14) (figure 1). Un objectif essentiel de la chronothérapie de l’HTA est de profiter de l’existence de ces cycles pour limiter la remontée tensionnelle trop rapide le matin. Variabilité à long terme • Variabilité saisonnière La PA est plus basse en moyenne pendant la saison chaude que pendant la saison froide. L’amplitude peut atteindre 8 à 10 mmHg pour la systolique à l’échelle des populations (19). L’explication la plus souvent retenue est une baisse de la volémie par perte d’eau et de sel due à la transpiration, et l’effet presseur du froid. Cela est important pour anticiper la modulation du traitement antihypertenseur, notamment diurétique, pendant les périodes de chaleur importante afin de limiter les effets indésirables : hypovolémie, insuffisance rénale, hypotension orthostatique. • Variabilité intervisite La PA est éminemment variable d’une visite à l’autre, c’est le cauchemar des cliniciens. Cette variabilité est d’origine multiple, elle cumule la variabilité endogène physiologique, exogène (activité, stress, diététique, traitements), et méthodologique (erreur de mesure, biais d’échantillonnage). Pendant de nombreuses années, toutes les tentatives ont été faites pour la diminuer en multipliant les mesures et en limitant l’interaction avec le thérapeute (MAPA, automesure) (15,16). Récemment, plusieurs articles ont mis en évidence que cette variabilité de la PA intervisite était associée à un sur-risque d’événement cardiovasculaire (14,20), montrant ainsi que la labilité des chiffres tensionnels était associée au risque et représentait bien plus qu’un artéfact de mesure. Antihypertenseurs et écoulement du temps Les antihypertenseurs se distinguent par des cinétiques d’action variée entre elles et au sein de la classe elle-même : - les vasodilatateurs : antagonistes calciques, IEC, antagonistes de l’angiotensine II, alpha-bloquants, vasodilatateurs directs, ont un effet hypotenseur direct et rapide par vasodilatation des artérioles de résistance ; - les bêtabloquants ont une action rapide sur la PA à travers leur effet sur la baisse de l’inotropisme cardiaque, alors que leur effet sur l’inhibition de la rénine est de cinétique plus longue ; - enfin, les diurétiques ont une action biphasique, une baisse immédiate liée à la réduction de la volémie, et une action retardée de quelques semaines par des mécanismes complexes. À cette cinétique de l’effet pharmacodynamique s’ajoute la pharmacocinétique propre de chaque molécule. Cette fois-ci, il n’est pas possible de généraliser par grande classe pharmaco-thérapeutique, chaque molécule ayant ses propres caractéristiques. Par exemple, pour la classe des IEC, la cinétique combine les données ADME (absorption, diffusion, métabolisme, excrétion), et la cinétique de liaison à l’enzyme ; le captopril a la demi-vie la plus courte, alors que le trandolapril a une action prolongée. Ces données conditionnent les modalités d’administration (1 à 3 fois par jour) (21). Ces propriétés peuvent être mises à profit pour établir des schémas de traitement spécifiques pour certains patients. Il faut toutefois savoir que l’effort industriel a porté sur la conception de médicaments couvrant l’ensemble du nycthémère, et que peu de molécules à demi-vie courte sont actuellement disponibles. Les agences de régulation demandent de démontrer l’efficacité des traitements antihypertenseurs 24 heures après la dernière prise (effet vallée, trough en anglais). Cela avait conduit les firmes pharmaceutiques à proposer des dosages très élevés pour espérer maintenir un effet vallée significatif malgré une pharmacocinétique parfois défavorable, ce qui entraînait un effet au pic parfois trop important. La MAPA permettant d’observer directement la cinétique d’action du médicament, on a proposé le rapport vallée/pic pour affiner l’évaluation du profil nycthéméral d’activité du médicament. Ce rapport est exprimé en pourcentage. Il est considéré comme correct s’il est > 60 % (22), le rapport idéal étant proche de 80 à 100 %. Il faut toujours interpréter le rapport vallée/pic en fonction de l’effet absolu de baisse de PA. En effet, un traitement peu efficace peut avoir un rapport vallée/pic correct (23). Effet des médicaments sur la variabilité intervisite Rothwell et coll. ont pu montrer que les différentes classes pharmacologiques ont un effet différent sur la variabilité inter-visite. Les antagonistes calciques réduisant la variabilité inter-visite (24), alors que les

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :