B. IUNG, Département de cardiologie, Hôpital Bichat, Paris
Les nouvelles recommandations de la Société européenne de cardiologie (ESC) sur le diagnostic et la prise en charge des cardiopathies chez les patients devant avoir une chirurgie non cardiaque ont été présentées et publiées en septembre 2014(1). Il s’agit d’un remaniement en profondeur des précédentes recommandations de l’ESC publiées en 2009, notamment en raison de la reconsidération du rapport bénéfice-risque des stratégies de cardioprotection médicamenteuse. Les recommandations nord-américaines ont été publiées également fin 2014 et sont concordantes sur la plupart des aspects(2).
La fréquence des complications survenant après une chirurgie non cardiaque est estimée entre 7 et 11 %, avec une mortalité entre 0,8 et 1,5 %, près de la moitié de ces complications étant d’origine cardiaque. Ces chiffres appliqués à la population de l’Union européenne conduisent à une estimation d’au moins 167 000 complications cardiaques par an dont 19 000 engageant le pronostic vital. La complication cardiaque la plus fréquente est l’infarctus du myocarde postopératoire précoce, dont le diagnostic peut être difficile car il s’agit le plus souvent de syndromes coronaires aigus asymptomatiques sans sus-décalage du segment ST. Les situations rencontrées sont très hétérogènes en raison de la variété des cardiopathies en cause et de la diversité des interventions chirurgicales. Les recommandations européennes proposent une démarche d’évaluation individuelle en 7 étapes adaptée aux caractéristiques du patient et au type d’intervention chirurgicale. En outre, il existe des recommandations spécifiques au type de cardiopathie, aux comorbidités non cardiaques et à la prise en charge des traitements médicamenteux périopératoires. Enfin, ces nouvelles recommandations, qui sont communes avec la Société européenne d’anesthésie, accordent une plus large par t aux techniques anesthésiques et à la surveillance péri-opératoire. Approche individuelle Degré d’urgence de la chirurgie non cardiaque Lorsque l’indication chirurgicale est urgente, celle-ci ne doit pas être différée afin d’effectuer des investigations à visée cardiologique. Le rôle de cardiologue consiste essentiellement à adapter le traitement et les modalités de la surveillance périopératoire. La cardiopathie doit être réévaluée en postopératoire. Cardiopathies instables ou sévères Lorsque l’indication chirurgicale n’est pas urgente, l’intervention doit être différée en cas d’angor instable, d’infarctus de moins de 30 jours et/ou d’ischémie, d’insuffisance cardiaque décompensée, de troubles du rythme sévères ou de valvulopathies sévères. La prise en charge doit concerner la cardiopathie en priorité. La planification de la date et des modalités de l’intervention de chirurgie non cardiaque reposera sur une approche multidisciplinaire adaptée au traitement médicament et/ou interventionnel de la cardiopathie. Évaluation du risque de la chirurgie non cardiaque Le risque de la chirurgie non cardiaque est classé en 3 groupes, selon que le risque de complications cardiovasculaires (décès ou infarctus) est estimé inférieur à 1 %, entre 1 et 5 % ou supérieur à 5 % (tableau 1). Cette classification a été remaniée par rapport aux recommandations de 2009. Le groupe des interventions à haut risque comprend toujours les gestes de chirurgie vasculaire à l’exception de la chirurgie carotide, mais également certaines interventions de chirurgie thoracique ou abdominale (pneumomectomie, transplantation pulmonaire ou hépatique, duodénopancréatectomie, cystectomie, etc.). La perspective d’une intervention à risque hémorragique élevé accroît également le risque de complications. Évaluation de la capacité fonctionnelle du patient En cas d’intervention à risque intermédiaire ou élevé, le risque de complications périopératoires est faible chez les patients qui ont la capacité d’effectuer des efforts d’au moins 4 METs, ce qui correspond à la montée de 2 étages ou à une marche rapide ou en côte. Dans ces cas, il n’est pas recommandé d’effectuer d’autres investigations à visée cardiovasculaire. La cardioprotection médicamenteuse doit être adaptée à la cardiopathie. Réévaluation du risque de la chirurgie non cardiaque Il est toutefois assez fréquent que la capacité d’effort des patients soit médiocre ou ne puisse être déterminée, notamment dans le cas de chirurgie orthopédique ou de pathologie non cardiaque entraînant une altération de l’état général. Dans ces cas, l’attitude doit prendre à nouveau en compte le risque de la chirurgie cardiaque. Pour une chirurgie à risque intermédiaire, la recherche d’une ischémie myocardique préopératoire peut être envisagée chez les patients présentant au moins 3 facteurs de risque selon le score de risque cardiaque révisé de Lee (tableau 2) (3). Évaluation des facteurs de risque de complication cardiaque périopératoire En cas de chirurgie à risque élevé, il est nécessaire d’effectuer une documentation d’ischémie myocardique si le patient présente au moins 3 facteurs de risque selon le score de Lee. L’échocardiographie et les biomarqueurs peuvent également participer à la stratification du risque. Indication et interprétation de la documentation d’ischémie myocardique En cas de chirurgie à risque élevé chez un patient présentant au moins 3 facteurs de risque selon le score de Lee, l’attitude dépend de l’étendue de l’ischémie documentée par les investigations non invasives. Si l’ischémie est peu étendue (inférieure ou égale à 4 segments sur 16), la chirurgie non cardiaque peut être effectuée en optimisant le traitement médicamenteux péri-opératoire. Si l’ischémie est étendue (≥ 5 segments sur 16), il convient d’envisager une coronarographie préopératoire en vue d’une éventuelle revascularisation myocardique. Le risque de complications péri-opératoires est particulièrement élevé dans ce sous-groupe de patients, ce qui peut conduire, dans certains cas, à récuser l’indication de chirurgie non cardiaque si celle-ci est à visée fonctionnelle. En cas de revascularisation myocardique, ces modalités doivent être discutées individuellement, en prenant notamment en compte l’impact du traitement antithrombotique périopératoire sur la chirurgie non cardiaque ultérieure. Cardiopathies spécifiques Cardiopathies ischémiques L’indication d’une documentation non invasive de l’ischémie myocardique doit être discutée selon le risque de la chirurgie et le profil de risque du patient selon le score de Lee (tableau 3). La recherche d’une ischémie myocardique n’est pas recommandée en cas de chirurgie à faible risque, quelles que soient les caractéristiques du patient. Elle peut être envisagée (classe IIb) en cas de chirurgie à risque intermédiaire et elle est recommandée (classe I) en cas de chirurgie à risque élevée si les patients présentent 3 facteurs de risque ou plus selon le score de Lee. La documentation d’ischémie n’est pas nécessaire si la capacité fonctionnelle du patient est bonne (> 4 METs). La scintigraphie myocardique d’effort (ou sous dipyridamole) et l’échocardiographie de stress sous dobutamine sont les deux examens privilégiés. Leurs sensibilités et spécificités sont voisines, proches et supérieures à celle de l’ECG d’effort. Le choix entre ces deux méthodes dépend en partie des ressources locales. *Score de Lee (voir tableau 2). Les indications des traitements médicamenteux périopératoires ont été sujettes à d’importantes modifications par rapport aux recommandations de 2009, surtout en ce qui concerne les bêtabloquants dont le rapport bénéfice-risque a été réévalué à la suite de métaanalyses et d’études observationnelles et de l’absence de prise en compte des études Decrease dont la fiabilité a été mise en doute (4,5). L’introduction des bêtabloquants en période préopératoire n’est plus qu’une recommandation de classe IIb dans les situations suivantes : chirurgie à haut risque et au moins 3 facteurs de risque du score Lee (incluant la chirurgie à haut risque), cardiopathie ischémique connue ou ischémie documentée. Les bêtabloquants ne sont pas recommandés en cas de chirurgie à faible risque, et ils doivent toujours être introduits au moins une semaine avant l’intervention avec une titration préalable adaptée à la fréquence cardiaque et à la pression artérielle. En revanche, la poursuite des bêtabloquants en période périopératoire demeure formellement indiquée (classe I) quelle que soit l’indication du traitement bêtabloquant. Chez les patients antérieurement traités par statine, leur poursuite est recommandée (classe I) et leur initiation en préopératoire est restreinte aux patients devant avoir une chirurgie vasculaire (classe IIa). En cas de cardiopathie ischémique avérée, stable ou instable, les indications de coronarographie et de revascularisation myocardique doivent suivre les recommandations correspondantes, ce qui conduit souvent à différer la chirurgie non cardiaque (tableau 4). En dehors d’un contexte instable, les indications de revascularisation reposant uniquement sur la documentation d’une ischémie préopératoire sont limitées aux patients ayant une ischémie étendue. En cas de revascularisation par angioplastie, il est nécessaire de différer la chirurgie non cardiaque d’au moins un mois après implantation d’une endoprothèse nue et 6 mois après implantation d’une endoprothèse active de nouvelle génération. La réalisation de la chirurgie non cardiaque dans les 6 semaines suivant une revascularisation percutanée est en effet associée à une augmentation des complications ischémiques périopératoires. Toute décision de revascularisation préopératoire doit donc prendre en compte les modalités et la chronologie de la chirurgie non cardiaque. CCS : Canadian Cardiovascular Society. La gestion des traitements antithrombotiques périopératoires a également fait l’objet de modifications importantes dans les dernières recommandations de l’ESC, notamment à la suite de l’étude POISE 2, qui n’a pas montré de bénéfice à l’introduction ou à la poursuite périopératoire des antiagrégants plaquettaires, alors que le risque hémorragique était augmenté (6). La poursuite des antiagrégants demeure nécessaire chez les patients à haut risque vasculaire, en particulier après revascularisation myocardique. Dans les autres cas, la poursuite ou l’interruption d’un traitement par aspirine doit être individualisé, notamment en fonction de risque hémorragique de l’intervention. Insuffisance cardiaque Il peut être nécessaire de différer la chirurgie non cardiaque afin de stabiliser l’état du patient et d’optimiser le traitement médicamenteux périopératoire, surtout en cas d
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