C. MOUNIER-VÉHIER(1), Pour le groupe d’experts : J. AMAR(1), J.-M. BOIVIN(1), T. DENOLLE(1), J.-P. FAUVEL(1), G. PLU-BUREAU(2), V. TSATSARIS(2), J. BLACHER(1) 1. Société française d’hypertension artérielle, Paris 2. Collège national des gynécologues et ob
Selon un des derniers rapports du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire, portant sur les différentes causes de décès en France, les maladies cardiocérébro-vasculaires arrivent en tête chez les femmes ; 1 femme sur 3 en décède chaque année (16). Plus spécifiquement, les hypertensions de la grossesse, fréquentes, identifient un sous-groupe de femmes à haut risque cardiovasculaire (RCV) à court et à long terme (1,6-8,10,17,18). Pourtant, force est de constater que la prise en charge de ces femmes à risque reste insuffisante à ce jour (6,8,19,20). La survenue d’une hypertension lors de la grossesse, même s’il s’agit d’une pathologie fréquente (une grossesse sur 10 en moyenne), perturbe encore l’organisation des soins. Il n’y a pas de parcours de soins formalisé en France où le rôle de chaque professionnel de santé impliqué est bien précisé, en tenant compte aussi du terme de la grossesse. Cela explique que les décisions soient parfois prises avec retard. En pratique, les prises en charge seront différentes selon que la femme est déjà connue hypertendue, qu’il s’agisse d’une nouvelle grossesse avec des antécédents vasculaires gestationnels ou qu’il s’agisse d’une jeune femme primipare jusqu’alors normotendue. Les questions des praticiens sont récurrentes sur les modalités du traitement antihypertenseur pendant la grossesse, la cible tensionnelle, la place des mesures ambulatoires, les modalités de suivi, la prescription de l’aspirine, la gestion du post-partum (allaitement, contraception, bilan à prévoir). De plus, le lien entre prééclampsie et devenir cardiovasculaire reste peu pris en compte dans le suivi à distance de ces femmes à risque. La recherche des antécédents obstétricaux doit désormais faire partie de l‘interrogatoire usuel de toute femme à risque. La gravité potentielle des HTA gravidiques, pour la mère et pour l’enfant, le risque de récidive sur une grossesse ultérieure, ainsi que le risque pour la mère de développer à distance une hypertension artérielle chronique ou une autre complication cardiovasculaire nous incitent à uniformiser nos pratiques médicales. Dans cet objectif, la Société française d’hypertension artérielle et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français ont élaboré 22 recommandations pour aider les professionnels à améliorer la prise en charge des HTA de la grossesse. Les messages sont clairs, simples et pratiques. Ils concernent à la fois le diagnostic, les traitements, la prééclampsie et le post-partum avec des innovations de soins comme le carnet de suivi, la consultation d’information et d’annonce après l’accouchement et la consultation préconceptionnelle. L’idée forte de ce consensus est d’accompagner tous les professionnels de santé impliqués dans le parcours de soins de la grossesse tout en étant aussi compréhensible pour le grand public. Cette mise au point permettra aux lecteurs de Cardiologie Pratique d’actualiser leurs connaissances sur les principales données de la littérature qui ont permis l’écriture de ce 1 er consensus français sur « HTA et grossesse ». Les modalités de prise en charge obstétricales de la prééclampsie modérée à sévère ne seront par contre pas abordées dans cet article mais elles sont accessibles sur le site
www.sfhta.org. Le texte long des recommandations avec l’argumentaire a récemment été soumis à la revue Presse Médicale, Elsevier Masson, Paris. Éclairage physiopathologique La prééclampsie est une complication fréquente de la grossesse pour laquelle il n’y a pas de traitement curatif hormis l’arrêt de la grossesse et dont l’enjeu est la fois maternel et fœtal. La prééclampsie est la traduction tardive (le plus souvent au troisième trimestre) d’une dysfonction placentaire précoce, d’origine multifactorielle. Les principaux facteurs de risque de la prééclampsie associent : âges maternels extrêmes, grossesses multiples, nulliparité, antécédent personnel de prééclampsie, antécédents familiaux de prééclampsie, hypertension chronique, origine africaine, précarité, maladie rénale, maladies rhumatologiques et auto-immunes (syndrome des anticorps des antiphospolipides…), mère ayant eu un petit poids à la naissance, résistance à l’insuline, obésité, diabète préexistant, syndrome infectieux, thrombocytémie, exposition limitée au sperme paternel et grossesses secondaires à une insémination artificielle ou à un don d’ovocyte ou d’embryon (21,22). Dans sa forme classique, la maladie placentaire se développe ainsi en plusieurs phases successives (23). Initialement le remodelage des artères spiralées du myomètre est incomplet, responsable d’une baisse de la perfusion maternelle vers le placenta qui devient hypoxique et en stress oxydant. Ce placenta « ischémique » va libérer des substances inflammatoires dans la circulation maternelle (radicaux libres, lipides oxydés, cytokines, sVEGFR-1). Il s’en suit une dysfonction endothéliale maternelle généralisée expliquant les signes cliniques de la maladie dont l’HTA n’est qu’un des nombreux symptômes. En l’absence de prise en charge, la prééclampsie s’aggrave jusqu’à l’accouchement avec des complications maternelles (éclampsie, insuffisance rénale, œdème pulmonaire, HELLP syndrome : hémolyse intravasculaire, cytolyse hépatique et thrombopénie, décès maternel) et périnatales (mort foetale in utero [MFIU], prématurité, décès postnatal, séquelles de la prématurité). Le seul traitement curatif de la prééclampsie est l’arrêt de la grossesse avec l’extraction de ce placenta ischémique. En résumé, la prééclampsie est une maladie diffuse de l’endothélium maternel, d’origine placentaire, spécifique à la grossesse, et disparaissant après l’accouchement avec des complications à court terme pouvant engager le pronostic vital de la mère et du fœtus (figure 1). Figure 1. Physiopathologie des HTA de la grossesse. CIVD : coagulation intravasculaire disséminée ; HTA : hypertension artérielle ; HTAG : HTA gravidique ; HELLP : Hæmolysis (hémolyse) Elevated Liver enzyme (cytolyse hépatique) Low Platelet count (thrombopénie) ; HRP : hématome rétroplacentaire ; NO : oxyde nitrique ; PA : pression artérielle ; PE : prééclampsie ; PGI2 : prostacyclines ; RCIU : retard de croissance intra-utérin ; SA : semaine d’aménorrhée ; SAS : syndrome d’apnée du sommeil ; TXA2 : thromboxane A2. Classification des HTA de la grossesse De nombreuses recommandations ont été édictées depuis 10 ans. Si les recommandations les plus anciennes n’utilisaient que la pression artérielle diastolique (PAD) pour définir une HTA préexistante, les définitions les plus récentes utilisent les niveaux de pression artérielle systolique (PAS) et diastolique. Les définitions des différentes présentations cliniques des HTA au cours de la grossesse varient sensiblement selon l’origine des recommandations. En tenant compte de ces publications antérieures, le consensus français propose des définitions qui se veulent consensuelles. Ainsi, l’hypertension artérielle lors de la grossesse ou dans le post-partum immédiat (période couvrant les 6 semaines qui suivent l’accouchement) est définie par une PAS ≥ 140 mmHg ou par une PAD ≥ 90 mmHg. L’ HTA est légère à modérée si la PAS est comprise entre 140 et 159 mmHg ou si la PAD est comprise entre 90 et 109 mmHg. L’HTA est sévère quand la PAS est ≥ 160 mmHg ou si la PAD est ≥ 110 mmHg. L’HTA au cours de la grossesse pourra se présenter sous l’un des 3 aspects cliniques suivants : hypertension artérielle chronique (préexistante à la grossesse ou constatée avant la 20 e semaine d’aménorrhée [SA]) ; hypertension artérielle gestationnelle sans élévation pathologique de la protéinurie (constatée après la 20 e SA) ; prééclampsie définie par une HTA (contrôlée ou non ; chronique ou non) associée à une protéinurie pathologique découverte après la 20 e SA. La prééclampsie est sévère lorsqu’elle est associée à au moins l’un des critères suivants : - une HTA sévère ; - une atteinte viscérale définie par au moins l’un des critères suivants : • une oligurie 500 ml/24 h, ou une créatininémie > 135 mol/l, ou une protéinurie > 3 g/24 h, • un œdème aigu du poumon, • une douleur en barre épigastrique persistante, • un HELLP syndrome (hémolyse intravasculaire, cytolyse hépatique et thrombopénie), • des signes neurologiques persistants (troubles visuels, céphalées, réflexes ostéo-tendineux vifs et polycinétiques, convulsions), • un hématome rétroplacentaire. L’éclampsie est définie par une crise convulsive tonico-clonique dans un contexte de pathologie hypertensive de la grossesse. Il faut souligner que les classifications américaines plus récentes (24) font rentrer dans le terme prééclampsie la survenue d’une atteinte organique, même en l’absence de protéinurie significative (protéinurie 0,3 g/24 h). La prééclampsie est précoce lorsqu’elle survient avant 34 SA. Dans ces cas, la problématique sera à la fois la mise en balance des risques maternels, en cas de poursuite de la grossesse et des risques périnataux, en cas de prématurité induite. Une prééclampsie modérée peut être aussi complètement asymptomatique : c’est la mesure systématique de la pression artérielle et de la protéinurie qui en fera le diagnostic. Comme dit précédemment, la prééclampsie est sévère si elle s’accompagne de signes cliniques témoignant d’une souffrance viscérale aiguë. Les anglais (NICE) recommandent d’éduquer les femmes sur les signes évocateurs de prééclampsie sévère afin qu’elles consultent rapidement (25). Ceux-ci associent les céphalées sévères, les troubles visuels (flou visuel, flash devant les yeux), les douleurs sous-costales, les vomissements ou encore une transpiration excessive et subite du visage, des mains et des pieds. Il ne faut pas oublier non plus que le post-partum est une situation potentiellement instable où l’hypertension peut apparaître ou s’aggraver. L’hypertension de novo du post-partum est plus fréquente entre le 3 e et le 6 e jour après l’accouchement. Une prééclampsie peut aussi survenir dans le post-partum immédiat. L’hypertension de