Gilles BARONE-ROCHETTE*/** et coll., service universitaire de cardiologie, Pôle Thorax et Vaisseaux, CHU de Grenoble
La prise en charge des patients porteurs d’une occlusion chronique totale coronaire (CTO) est un sujet très discuté actuellement. Cependant, les règles que nous devons appliquer à cette forme de présentation clinique sont issues pour la plupart des classiques bases scientifiques que nous connaissons de la maladie coronarienne stable. La stratégie étant dans un premier temps de faire le diagnostic de la maladie coronaire avec mise en évidence d’une CTO puis d’évaluer la sévérité de la maladie coronaire pour en adapter la prise en charge thérapeutique. Pour ces différentes étapes, l’imagerie va tenir une place importante et la difficulté pour le clinicien sera au final de choisir la technique d’imagerie la plus adaptée au contexte clinique. Nous distinguerons deux situations cliniques dans notre exposé : les patients sans et avec atteinte de la fraction d’éjection ventriculaire gauche systolique (FEVG).
Patient sans altération de la fraction d’éjection systolique (FEVG > 50 %) Dans le cas d’un patient sans altération de fraction d’éjection systolique, la mise en évidence d’une CTO normalement ne doit se faire qu’après avoir suivi l’algorithme classique de prise en charge de la maladie coronaire stable. À la suite de son évaluation clinique, le patient avait au moins une valeur prédictive prétest intermédiaire de présenter une maladie coronaire entraînant la réalisation d’un test d’ischémie, de préférence un test avec épreuve d’effort couplé à une imagerie, comme le soulignent les recommandations européennes (1). De ce fait, lorsque la CTO est mise en évidence, le coronarographiste doit avoir à sa disposition la quantification de l’ischémie en fonction du territoire. Y a-t-il un test d’ischémie préférable ? Plusieurs tests sont à la disposition des cliniciens, comme l’échographie d’effort ou dobutamine, la scintigraphie myocardique d’effort ou sous stress pharmacologique (SPECT), la tomographie par émission de positon (TEP), l’IRM de perfusion ou dobutamine. Le scanner cardiaque de perfusion et la CT-FFR étant du domaine de la recherche. Les dernières métaanalyses montrent une supériorité diagnostique des nouvelles technologies telles l’IRM de perfusion et la CT-FFR (2). Cependant, il ne faut pas confondre les performances diagnostiques des tests et la capacité des tests à évaluer l’étendue de l’ischémie myocardique. Car c’est bien l’étendue de l’ischémie qui va déterminer notre prise en charge. Les patients avec une ischémie étendue devront bénéficier d’une coronarographie et d’une revascularisation si elle est appropriée, ces derniers étant considérés comme à haut risque cardiovasculaire (1). Retenons donc que tout test diagnostique de la maladie coronaire stable doit permettre une quantification de l’ischémie myocardique. Une ischémie modérée à sévère étant définie en scintigraphie myocardique (SPECT) par une ischémie > 10 % de la surface du ventricule gauche, 3/17 segments pour l’échographie de stress ou dobutamine et > 4/32 segments pour l’IRM de perfusion. Il faut noter que la quantification de l’ischémie en IRM par les séquences de premier passage utilisant 3 coupes en saturation récupération peut donner une surface de couverture sub-optimale du ventricule gauche. Ce problème est résolu grâce à l’utilisation de séquences dites whole heart mais non encore disponibles sur toutes les machines (3). Notons également que la notion de supériorité de la revascularisation sur le traitement médical optimal (OMT) chez les patients avec une ischémie modérée à sévère est issue de données observationnelles venant surtout de la SPECT (4). Nous attendons les résultats de l’étude randomisée ISCHEMIA (NCT01471522) qui permettront, nous l’espérons, de confirmer ces données. Si les données randomisées évaluant la supériorité de la revascularisation face au OMT sont en attente dans l’angor stable, il en est de même pour les patients avec CTO. EURO-CTO(NCT01760083) est une étude randomisée comparant la revascularisation par angioplastie (PCI) des CTO face à un OMT, mais qui cherchera à montrer la supériorité sur la qualité de vie à un an et la non-infériorité sur la mortalité toutes causes et l’infarctus non fatal à 3 ans. On regrettera un design sans une hypothèse de supériorité sur un critère dur, mais dans le cadre de la maladie coronarienne stable, cela nécessiterait plus que les 450 patients prévus ici. Une analyse secondaire médico-économique sera des plus intéressantes. DISCISION CTO (NCT01078 051) est l’autre étude randomisée attendue dans le contexte de CTO comparant la revascularisation par PCI face à un OMT. Cette fois-ci, l’hypothèse est une supériorité de la revascularisation avec un critère primaire composite (mortalité toutes causes, infarctus du myocarde et AVC non fatal et toute revascularisation sur 3 ans). Principalement réalisée en Asie, elle devait inclure 1 284 patients. Arrêtée pour des problèmes de recrutement, 815 patients ont été finalement inclus et une non-infériorité a été montrée récemment entre les deux groupes (ACC mars 2017). Y a-t-il une place pour l’imagerie anatomique ? Qu’en est-il d’une stratégie utilisant le scanner coronaire en premier lieu après l’évaluation clinique ? Celle-ci est possible, cependant elle ne devrait jamais conduire à une revascularisation sans évaluation préalable de l’ischémie myocardique. Même si la FFR trans-CTO est possible (5), elle n’est pas chose facile, on y préférera les techniques de quantification de l’ischémie non invasive classique. Le scanner coronaire peut être aussi réalisé à la suite de la coronarographie ayant mis en évidence la CTO. Il permet de générer un score de gravité de la CTO prédicteur du succès de la revascularisation par PCI (CT-RECTOR score), comme le J-CTO score avec la coronarographie (6). L’utilisation des scanners de dernière génération met à défaut l’idée que cet examen pourrait être trop irradiant dans le contexte de CTO où les procédures de revascularisation peuvent irradier le patient de façon importante. Son utilisation pour planifier une procédure de revascularisation par PCI dépendra donc des équipes, mais la réalisation d’un bon angiogramme lors de la coronarographie (sans travelling, réalisation d’incidence similaire pour évaluer le réseau gauche et droit ainsi que les reprises, etc.) est le plus souvent suffisant. En pratique En résumé, même si nous manquons de preuves factuelles, l’algorithme classique de prise en charge de la maladie coronaire stable doit être respecté avec la réalisation de préférence d’une SPECT couplée à l’effort, imagerie où nous avons le plus de données. Pour les patients présentant une ischémie supérieure à > 10 % de la surface du myocarde dans le territoire de la CTO, une revascularisation pourra être envisagée. Comme la procédure de CTO ne doit pas être faite dans la foulée de la coronarographie diagnostique, la sagesse veut se donner le temps de la réflexion. Il semble logique de proposer une revascularisation de la CTO chez les patients qui, malgré un OMT, continuent à présenter des symptômes angineux invalidant et/ou une ischémie significative comme défini précédemment (test maquillé). N’oublions pas que pour choisir le mode de revascularisation, comme pour la maladie coronaire classique, le score SYNTAX, la notion de diabète, la présence de lésions pluritronculaires, du tronc commun gauche ou de l’IVA proximale associées, l’Euroscore et le J-CTO score sont autant d’élément à prendre en considération. En bref une décision d’une Heart-Team, constituée des protagonistes habituels et renforcée par des experts en imagerie cardiovasculaire et une équipe d’angioplasticiens dédiée au CTO pouvant demander l’aide d’un proctor si besoin, doit être la référence organisationnelle. La figure 1 illustre le cas d’un patient présentant une CTO avec une FEVG > 50 % et la figure 2 propose un algorithme de prise en charge. Figure 1. Patient de 65 ans avec douleur thoracique angineuse avec ATCD familiaux, hypertension artérielle et dyslipidémie, la FE est préservée sur l’échographie de repos et la coronarographie montre une thrombose de l’IVA proximale, la circonflexe et la coronaire droite étant athéromateuse (A). La scintigraphie myocardique montrant une large ischémie de 25 % du ventricule gauche en antéro-apical (B). Une procédure de CTO par voie antérograde avec escalade des guides est décidée à la vue des éléments du dossier permettant une recanalisation avec implantation d’une endoprothèse active (C). Figure 2. Proposition d’algorithme de prise en charge des patients avec CTO et FE préservée. Patient avec altération de la fraction d’éjection systolique (FEVG 50 %) Si l’algorithme qui vient d’être présenté est applicable chez les patients avec altération de la fraction d’éjection systolique, il faut savoir que les performances des tests évaluant l’ischémie dans le contexte d’altération de la fraction d’éjection sont moins performants, probablement gênés par la présence de la fibrose myocardique, notamment pour les FE 40 %. Il n’est donc pas rare, comme le soulignent les dernières recommandations de l’insuffisance cardiaque chez un patient avec des symptômes évocateurs de maladie coronaire, d’aller directement à la coronarographie pour évaluer ces patients (7). Et il n’est pas rare ensuite de mettre en évidence des lésions sévères coronariennes pluritronculaires et/ou proximales. Dans ce contexte, la mise en évidence d’une CTO doit faire se poser la question de la viabilité myocardique. La recherche de viabilité myocardique est pourtant encore discutée (recommandation de classe IIaB au niveau européen). Cela s’explique par le fait que les études randomisées sur le sujet n’ont pas montré de bénéfice. Cependant, ces études sont critiquables pour plusieurs raisons dont la principale est l’absence de prise en compte des données de viabilité dans la stratégie de revascularisation (8,9). Les données observationnelles montrent quant à elles, que de ne pas donner la chance à une revascularisation par angioplastie ou pontage à un patient avec un myocarde viable est le plus délétère pour le pronostic cardiovasculaire. Proposer un OMT ou une revascularisation chez un patient avec un myocarde non viable n’a par contre que peu de répercussion sur le pronostic cardiovasculaire, qui reste très mauvais par ailleurs dans tous les cas. Ces données observationnelles ont récemment été confirmées dans une étude utilisant la nouvelle modalité IRM, modalité de plus en plus utilisée dans cette indication (10). Il faut donc se donner toutes les chances de dépister les patients avec un myocarde viable par les techniques d’imagerie. Pour évaluer la viabilité, nous pouvons utiliser la tomographie par émission de position (TEP) avec l’imagerie métabolique, la SPECT qui évalue l’intégrité membranaire ou cellulaire des myocytes ( cut-off de viabilité : captation du traceur > 50 %), l’étude de la fonction myocardique par échographie
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