François CARRÉ, CHU Pontchaillou-Université Rennes 1
Pendant longtemps terrain de jeu privilégié de quelques vétérans, l’ultra-endurance devient de plus en plus « courue ». Dans le domaine de la course à pied, la plus pratiquée avec les triathlons type « Iron-man », on dénombre annuellement plus de 300 épreuves de 100 km ou plus à travers le monde. Les traversées de l’Europe, des États-Unis et de l’Australie régulièrement proposées arrivent à réunir une centaine de participants qui les parcourent en 60 à 70 jours, soit une moyenne de 70 à 80 km par jour (vitesse moyenne 8 à 9 km/h) !
Cette courte revue de la pratique de l’ultra-endurance, limitée aux retentissements cardiovasculaires, avec leurs potentielles limites, n’abordera ni les retentissements sur l’appareil locomoteur ni les motivations psychologiques des pratiquants
Endurance, ultra-endurance, définition, caractéristiques, pratiquants Dans le Larousse, endurance, du verbe endurer, est défini comme « l’aptitude à résister aux fatigues physiques ou aux épreuves morales » et l’exemple d’illustration choisi est l'endurance du coureur de fond. En physiologie de l’exercice, l’endurance d’un sujet correspond à sa capacité à maintenir le plus longtemps possible le pourcentage le plus élevé possible de sa consommation maximale d’oxygène (VO 2 max), qui elle ne peut être maintenue que 4 à 7 minutes, selon le niveau d’entraînement. Dans le monde du sport, on distingue l’endurance et l’ultra-endurance, qui regroupe les efforts (course à pied en terrain plat ou (très) vallonné, vélo, triathlon, ski de fond, voile, multisports, étapes journalières…) qui dépassent 4 ou 6 heures (selon les définitions) d’exercice ininterrompu. Concernant les contraintes pour l’organisme de l’ultra-endurance, c’est la course à pied, accessible à tous, qui a été la plus étudiée. Cependant quelle que soit la discipline pratiquée, les contraintes principales des efforts d’ultra-endurance sont musculo-squelettiques et mentales (motivation). Plus l’épreuve est longue et son parcours accidenté et plus ces contraintes sont importantes. Se décider à participer à des épreuves d’ultra-endurance réclame en plus une grande quantité d’entraînement régulier. Ainsi, un cycliste professionnel prend le départ du Tour de France avec en moyenne 25 000 km dans les jambes, un triathlète de très haut niveau s’entraîne entre 30 et 35 h/semaine et les meilleurs marathoniens parcourent entre 150 et 200 km/semaine. En course à pied, les ultra-endurants « amateurs » sont âgés en moyenne de 45 ans, leur passé sportif est long, leur kilométrage hebdomadaire est supérieur à celui des marathoniens, et ils réalisent leur meilleure performance entre 30 et 54 ans pour les femmes et 30 et 49 ans pour les hommes. Les données publiées sur les particularités cardiovasculaires des athlètes proviennent toutes de comparaisons transversales entre sujets entraînés et non entraînés, ce qui est une limite majeure par rapport aux études longitudinales dont la réalisation sur de grands échantillons reste très difficile. Très peu d’études ont spécifiquement comparé les endurants et les ultra-endurants. Historique du cœur d’athlète En 1899, le Docteur Henschen, interniste suédois, rapporte pour la première fois les particularités du cœur des skieurs de fond. Avec ses dix doigts pour seul outil et par la simple percussion thoracique, il décrit un « sportherz » lent et dilaté à gauche comme à droite, hyper fonctionnel, à la différence du gros cœur défaillant des cardiaques hospitalisés dans son service ! Il en conclut aussi que le skieur avec le plus gros cœur avait le plus de chance de gagner la course. On sait aujourd’hui que ces adaptations liées à l’entraînement intense concernent le myocarde et le système vasculaire. Le terme « cœur d’athlète », regroupe ainsi les modifications de l’ensemble du système cardiovasculaire (SCV), cliniques, électriques, fonctionnelles et morphologiques, induites par un entraînement physique relativement intense (≥ 60 % VO 2 max) et prolongé (≥ 6h/semaine et depuis ≥ 6 mois) le plus souvent réalisé dans un but de compétition et donc de performance. Devant l’observation des signes du cœur d’athlète, un praticien peu habitué doit avant tout se convaincre que ce qui est anormal n’est pas forcément pathologique. Le cœur ultra-endurant au repos Le cœur de l’athlète ultra-endurant est le modèle le plus extrême d'adaptation du SCV aux stress de l’exercice physique. Signes cliniques du cœur ultra-endurant L’interrogatoire doit retrouver un sportif asymptomatique avec un niveau de performance adapté à son entraînement. L’examen physique observe un cœur lent, assez souvent un réseau veineux marqué, et une pression artérielle plutôt basse qui diminue au passage en orthostatisme. Signes électriques du cœur ultra-endurant C’est chez les spécialistes de l’endurance que les aspects ECG classiques de l’athlète (figure 1) sont les plus fréquents et les plus marqués. Ils sont dominés par une bradycardie sinusale, dont la profondeur n’est pas synonyme de performance, les rythmes ectopiques (sinus coronaire, jonctionnel, wandering pacemaker…) haut situés sont fréquents, une conduction atrio-ventriculaire ralentie mais curieusement mal corrélée avec la bradycardie, des complexes QRS très amples et souvent un peu élargis. Des aspects de repolarisation précoce marqués sont très banaux, de même qu’une repolarisation « bizarre » qui ne doit pas inquiéter tant que les ondes T restent positives (sauf en avR, D3 et V1). En effet, le sport intense ne négative pas les ondes T. Ces particularités électriques disparaissent à l’effort et se normalisent rapidement (2-4 semaines) avec l’arrêt total de l’entraînement. Par contre une normalisation à l’effort d’ondes T négatives de repos n’a aucune valeur en faveur de leur bénignité. Il n’est pas rapporté, à notre connaissance, de différence majeure entre ECG de l’endurant et de l’ultra-endurant. Figure 1. Attitude recommandée devant des particularités ECG chez un athlète. Imagerie du cœur ultra-endurant Morphologiquement, le cœur de l’ultra-endurant, comme celui de l’endurant, est caractérisé par une dilatation modérée et harmonieuse des 4 cavités cardiaques, avec conservation des rapports volumiques VD/VG et OD/OG. Cette dilatation est associée au niveau du ventricule gauche à une discrète hypertrophie pariétale symétrique réactionnelle (loi de Laplace). L’épaississement pariétal est un peu plus marqué chez les cyclistes et les triathlètes que chez les coureurs à pied. Des trabéculations marquées sont régulièrement observées. La fonction myocardique systolique, appréciée par la fraction d’éjection (FEVG), est le plus souvent normale. La FEVG peut atteindre sa limite inférieure (45-50 %) chez certains ultra-endurants très entraînés et asymptomatiques. Elle ne doit pas inquiéter si elle est associée à une bradycardie nette et à un niveau de performance en rapport avec l’entraînement réalisé. En cas de doute, son augmentation immédiate et d’au moins 15 % à l’écho d’effort est rassurante. Les fonctions diastoliques doivent être normales ou supranormales. L’observation fréquente d’une fuite valvulaire minime ou modérée ne nécessite pas de surveillance particulière sauf anomalie associée de la morphologie et/ou de la cinétique valvulaire. Des études réalisées sur des larges populations d’athlètes ont permis de proposer des valeurs moyennes et des limites supérieures échographiques acceptables chez les athlètes (figure 2). Figure 2. Schéma résumant les valeurs (moyenne, range et limite) des principaux paramètres échographiques observables sur un cœur d’athlète ultra endurant (d’après revue de la littérature et données personnelles). Au-dessous, valeurs limites proposées, un bilan complémentaire est justifié. EP = épaisseur pariétale; DTD, VTD, diamètre, volume télediastolique ; FE = fraction éjection ; E/A rapport composantes flux remplissage ; Sm, Em valeurs moyennées Doppler tissulaire ; SRL = strain rate longitudinal global ; DTr, Dmo, DLg = diamètres tricuspide, moyen, Longitudinal ; RS = rapport des surfaces ; DmTM, Dm2D : diamètres TM et 2D, AnAO = anneau aortique, Sval = sinus Valsalva La racine aortique, est en moyenne un peu plus large chez les athlètes, en particulier au niveau des sinus de Valsalva, cependant une augmentation marquée ne doit pas être abusivement attribuée à la pratique sportive et nécessite un bilan. Les nouvelles techniques ( strain, échographie 3D) et méthodes d’imagerie (IRM) confirment les données de l’échocardiographie « standard » et leur utilisation en routine chez l’athlète n’est pas justifiée. Leur intérêt est par contre majeur en cas de doute diagnostique, comme cela est détaillé plus loin. En bref, chez les athlètes endurants sains, une diminution de la torsion, surtout au niveau apical, positivement corrélée à la masse ventriculaire gauche, est observée au repos. Les réserves fonctionnelle, systolique et diastolique, déterminées par l’analyse du strain sont améliorées chez l’endurant par rapport aux athlètes d’autres disciplines et aux contrôles. Les très rares études qui ont comparé les cœurs endurants et ultra-endurants ne rapportent pas de différence sur le remodelage morphologique et fonctionnel des cavités gauches. Les résultats pour les cavités droites sont par contre discordants. Une dilatation plus marquée des cavités droites mais avec un strain longitudinal respectivement augmenté et diminué pour le ventricule et l’oreillette sont rapportés. D’autres études sont justifiées pour confirmation. Dans l’immense majorité des cas, la dilatation et l’hypertrophie pariétale sont toujours très modestes par rapport aux modifications d’origine pathologique. Dans de rares cas (4-5 %) la question du diagnostic différentiel entre cœur d‘athlète et cœur pathologique peut se poser. Chez l’ultra-endurant cela concerne surtout la cardiomyopathie dilatée, la maladie arythmogène du ventricule droit et plus rarement la non-compaction du ventricule gauche (figure 3). Figure 3. Résumé des principaux éléments cliniques, électriques et d’imagerie aidant au diagnostic différentiel entre cœur d’athlète endurant et cœur pathologique. MAVD = maladie arythmogène ventricule droit, CMD = cardiopathie dilatée, NVCG = non compaction ventricule gauche, BBG = bloc de branche gauche, HVG = hypertrophie ventriculaire gauche, RP = repolarisation précoce Les vaisseaux de l’ultra-endurant L'entraînement en endurance, s’accompagne au niveau artériel d’un remodelage fonctionnel et structurel dont le délai d’apparition et l’importance varient selon la durée et l'intensité de l'entraînement et les lits vasculaires impliqués. Cette dilatation artérielle adaptative concerne surtout les artères brachiales et fémorales. L’aorte de l’endurant n’est pas significativement dilatée mais sa distensibilité est accrue. Le
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