Ces 30 dernières années ont été marquées par une évolution des profils étiologiques des insuffisances mitrales (IM) organiques que l’on appelle maintenant IM primaire. Ainsi, le prolapsus valvulaire mitral (PVM), associé ou non à une rupture de cordage, est devenu la première cause d’IM sévère (figure 1) dans les pays occidentaux. Parallèlement, l’avènement des nouvelles méthodes échocardiographiques de quantification, la connaissance de l’histoire naturelle et surtout les progrès de la chirurgie reconstructrice ont progressivement modifiés la prise en charge qui a évolué d’une attitude conservatrice vers des indications chirurgicales de plus en plus précoces chez des patients parfois asymptomatiques(1).
Figure 1. Gauche : Exemple de francs prolapsus de la valve mitrale antérieure (A2) par rupture de cordage à l’origine d’une insuffisance mitrale sévère avec éversion du bord libre du feuillet valvulaire dans l’oreillette gauche (ETT et ETO 3D). Droite : Exemple de francs prolapsus de la valve mitrale postérieure (P2) par rupture de cordage à l’origine d’une insuffisance mitrale sévère avec éversion du bord libre du feuillet valvulaire dans l’oreillette gauche (ETT et ETO 3D). Il est désormais admis que l’apparition d’une symptomatologie fonctionnelle à type de dyspnée d’effort est un tournant évolutif majeur, car source d’insuffisance cardiaque et de surmortalité, qui doit conduire à retenir une indication chirurgicale rapide en l’absence de contre-indication. En revanche, les indications « précoces » chez les patients asymptomatiques restent discutées et reposent classiquement sur un ensemble de facteurs rythmiques, échocardiographiques et biologiques. Certains auteurs recommandent la chirurgie en présence d’une IM sévère chez des patients strictement asymptomatiques, en rythme sinusal, avec fraction d’éjection (FE) préservée, ventricule gauche peu dilaté, quand le risque opératoire est faible, et la plastie quasi certaine. En pratique, le clinicien doit répondre à 7 questions essentielles quand il discute de la conduite à tenir devant une IM primaire asymptomatique. Les questions essentielles Question 1 : l’insuffisance mitrale est-elle sévère ? La chirurgie mitrale chez un patient asymptomatique ne se discute que si l’IM est importante. La quantification de l’IM est donc une étape fondamentale. Elle est effectuée par écho-Doppler en utilisant une approche multiparamétrique. L’IRM peut également être utile dans les cas difficiles. Le rôle pronostique majeur du degré de la fuite a été montré dans une étude menée chez 456 patients initialement a- ou paucisymptomatiques au moment du diagnostic, porteurs de fuites mitrales organiques essentiellement par prolapsus ( 2). Cinq ans après le diagnostic, 42 % des patients dont la SOR était ³ 40 mm² (IM de grade 4) étaient décédés, ce qui représentait une surmortalité importante en l’absence de chirurgie par rapport au taux attendu dans la population générale (figure 2). Figure 2. Pronostic de l’insuffisance mitrale organique dégénérative en fonction de la surface de l’orifice régurgitant (SOR) (2). Question 2 : le patient est-il réellement asymptomatique ? Il est important de détecter « les faux asymptomatiques » qui représentent jusqu’à 30 % des patients dans certains travaux. Il ne faut donc pas hésiter à pratiquer une épreuve d’effort classique, une échocardiographie d’effort, ou une épreuve d’effort cardio-respiratoire pour vérifier l’absence de symptômes. En effet, si le test démasque une symptomatologie fonctionnelle liée à l’IM, l’indication opératoire sera, de toute façon, à retenir en l’absence de contre-indication. Le dosage du BNP ou du pro-BNP peut aussi faciliter la détection des faux asymptomatiques. Question 3 : la valve mitrale est-elle réparable ? Après avoir évalué la sévérité et le mécanisme de la fuite, l’un des rôles majeurs de l’échocardiographiste est de déterminer la faisabilité de la plastie. Elle dépend du type de lésion observée, mais aussi de l’expérience du chirurgien. Les limites valvulaires sont les calcifications annulaires extensives, infiltrant les feuillets de myocarde adjacents, les rétractions valvulaires et tendineuses importantes, la rigidité valvulaire et le « manque d’étoffe » valvulaire. La plastie mitrale est actuellement réalisable dans plus de 90 % des IM par prolapsus dans les centres qui en ont l’expérience ( 1). On sera d’autant plus « interventionniste » qu’une plastie apparaît réalisable avec une très haute probabilité. En effet, la plastie est supérieure au remplacement valvulaire en termes de fonction systolique VG postopératoire (vraisemblablement en raison de la préservation des cordages et du muscle papillaire), et de mortalité opératoire et postopératoire tardive, sans exposer à un nombre plus important de réinterventions. Ainsi, l’espérance de vie à 10 ans après plastie s’est révélée proche de celle de la population générale dans plusieurs séries rétrospectives, alors qu’une surmortalité est rapportée pour le remplacement valvulaire. Question 4 : existe-t-il des troubles du rythme supraventriculaires ? La survenue d’une FA permanente ou paroxystique, d’une manière générale, est un puissant facteur de risque d’insuffisance cardiaque et de mortalité qui doit conduire à discuter une correction chirurgicale de l’IM même si le patient demeure asymptomatique ( 1) . Chez les patients en rythme sinusal lors du diagnostic d’IM sévère, 10 ans après le diagnostic, environ 50 % d’entre eux auront développé un premier accès de FA. Nous avons récemment montré que les patients opérés (symptomatiques ou asymptomatiques), quand ils étaient atteints d’une FA permanente ou paroxystique en préopératoire, avaient une surmortalité postopératoire à long terme comparativement aux patients en rythme sinusal (survie à 10 ans 64 ± 4 % vs 83 ±3 %, p = 0,01). Les patients avec FA paroxystique préopératoire avaient une survie postopératoire supérieure à celle des patients en FA permanente, mais inférieure à celle des patients en rythme sinusal (figure 3) ( 3). La FA doit donc être « traquée » par des holters ECG systématiques dans les IM sévères asymptomatiques sans indication chirurgicale. Figure 3. Survie après réparation valvulaire dans l’IM par prolapsus chez les patients en rythme sinusal, en fibrillation permanente, ou présentant de la FA paroxystique ( 4). Question 5 : existe-t-il des signes de dysfonction ventriculaire gauche ? L’étude du retentissement sur le ventricule gauche (VG) guide souvent la décision opératoire. Il faut en effet opérer suffisamment tôt avant l’installation d’une dysfonction VG qui peut persister en postopératoire et qui, dans l’IM sévère, peut être masquée derrière une FEVG encore normale. Ainsi, une FEVG 60 % et/ou un diamètre télésystolique VG > 40 mm ou 22 mm/m² sont des signes de dysfonction VG déjà marqués ( 4,5) associés à une surmortalité (figure 4) qui conduisent à envisager la chirurgie dans l’IM sévère par PVM. Figure 4. Impact de la fraction d’éjection sur la mortalité au cours du suivi d’une série d’insuffisance mitrale importante par prolapsus ( 5). La meilleure survie, en l’absence de chirurgie, est observée chez les patients qui ont une FEVG ≥ 60 %. D’autres indices évaluant la fonction systolique ventriculaire gauche semblent intéressants dans l’IM. Nous avons récemment montré qu’un index simple d’éjection VG, le rapport diamètre télésystolique VG indexé/VTI aortique à l’anneau enregistrée en Doppler pulsé permettait lorsqu’il était supérieur à 0,13, d’identifier en préopératoire un groupe de patients à haut risque en termes de mortalité ou d’événements cardiovasculaires après chirurgie mitrale réparatrice pour prolapsus, indépendamment des symptômes, des comorbidités et des paramètres classiques de fonction ventriculaire gauche ( 6). L’évaluation de la déformation myocardique par speckle tracking ( globallongitudinal strain[GLS] ventriculaire gauche) semble intéressante pour dépister précocement la dysfonction VG quand la FEVG est encore dans la norme ou le diamètre télésystolique VG 40 mm. Ainsi, la FEVG évaluée 6 mois après la chirurgie est significativement corrélée au GLS VG préopératoire, qu’il soit évalué au repos ou à l’effort ( 7). Des travaux récents, qui demandent encore confirmation, ont montré qu’un GLS VG préopératoire -18-19 % était un facteur prédictif indépendant de dysfonction VG postopératoire ( 8). Question 6 : quel est le degré de dilatation de l’oreillette gauche ? Le diamètre atrial gauche au moment du diagnostic est aussi un paramètre indépendamment et étroitement associé à la survenue du trouble du rythme et expose à un risque de FA et de surmortalité en l’absence de chirurgie ( 9). Une dilatation atriale gauche au-delà de la valeur seuil de 55 mm ( 10) ou de 60 ml/m 2(10) est associée à une augmentation significative de l’incidence des événements cardiovasculaires au cours du suivi des IM sévères par prolapsus non opérées (figure 5). Figure 5. Impact du volume de l’oreillette gauche (indexé à la surface corporelle) en l’absence de chirurgie dans une série de patients atteints d’une insuffisance mitrale par prolapsus sur rupture de cordage ( 12). Elle doit conduire à une chirurgie précoce lorsqu’elle est associée à un DTS > 40 mm (indication ESC de classe IIaC). Question 7 : quel est le retentissement de l’IM sur les pressions pulmonaires ? L’impact de l’hypertension pulmonaire sur le pronostic a été confirmé par le registre MIDA, rapportant une surmortalité sous traitement conservateur ( 11) chez les patients dont la pression pulmonaire systolique (PAPs) évaluée par échocardiographie Doppler à partir du flux d’insuffisance tricuspide était > 50 mmHg au repos (figure 6). D’après les dernières recommandations européennes, si l’hypertension pulmonaire de repos (> 50 mmHg) est la seule indication opératoire chez un patient asymptomatique, elle doit être confirmée par la réalisation d’un cathétérisme cardiaque droit. L’hypertension pulmonaire d’effort > 60 mmHg, qui dans une étude était associée à une dégradation fonctionnelle dans le suivi des patients asymptomatiques ( 12), a été retirée des dernières recommandations. Figure 6. Impact de la pression artérielle pulmonaire systolique dans l’insuffisance mitrale par prolapsus sur rupture de cordage en l’absence de chirurgie ( 13). Cependant, l’échocardiographie d’effort est un excellent examen pour dépister les faux asymptomatiques, évaluer la capacité à l’effort. La cinétique d’élévation de la PAPs (augmentation significative précoce) est plus intéressante que le simple chiffre de PAPs atteint au pic d’effort. Les indications chirurgicales classiques La chirurgie valvulaire conservatrice est actuellement le
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.