Gestion des antiagrégants plaquettaires et anticoagulants en pathologie artérielle périphérique en 2021
Nassim MOHAMEDI, Guillaume GOUDOT, Jonas SITRUK, Emmanuel MESSAS Service de médecine vasculaire, Hôpital européen Georges Pompidou, APHP, Université de Paris, Paris
En raison des complications thrombotiques de l’athérosclérose, les différents traitements antithrombotiques, antiagrégants plaquettaires et anticoagulants occupent une part importante de la stratégie thérapeutique des patients avec artériopathie athéromateuse des membres inférieurs. Toutefois, la place exacte des traitements antithrombotiques, tant en choix de molécule qu’en termes de durée de traitement, reste encore discutée. En effet, de nombreuses études testant l’efficacité des antiplaquettaires ou des anticoagulants chez les patients artéritiques ont été récemment publiées. Les dernières études, COMPASS puis VOYAGER PAD, utilisant le rivaroxaban avec ou sans aspirine nécessitent d’adapter nos pratiques chez le patient avec AOMI.
• Choix du traitement par antiagrégant plaquettaire Longtemps représentés par l’aspirine, les antiagrégants plaquettaires sont désormais plus diversifiés. Le développement de nouvelles molécules comme les inhibiteurs P2Y12 (clopidogrel, prasugrel, ticagrelor : inhibiteurs du récepteur de l’ADP), les anti-PAR1 (vorapaxar : inhibiteur du récepteur de la thrombine) et enfin des antiagrégants anti-GPIIbIII (par voie intraveineuse : abiciximab, tirofiban ou eptifibatide) a justifié la réalisation de nouvelles études chez les patients avec AOMI. • Aspirine L’aspirine est depuis longtemps la base du traitement antithrombotique en cas d’AOMI. Bien que présent dans les recommandations de l’AHA de 2016 pour le traitement de l’AOMI asymptomatique, les 2 études cliniques (étude de l’ Aspirin for Asymptomatic Atherosclerosis Trialists, et POPAPAD [1]) réalisées étudiant l’intérêt d’un traitement antiplaquettaire par aspirine chez des patients porteurs d’une AOMI asymptomatique ne vont pas dans ce sens, ne montrant aucun bénéfice du traitement par aspirine, comparé au placébo. Une métaanalyse incluant près de 5 300 patients porteurs d’AOMI asymptomatique ou symptomatique, a montré un bénéfice mineur de l’aspirine comparé au placebo avec une réduction de 12 % du risque de survenue de MACE ( Major Adverse Cardiac Events) définie par la survenue d’un infarctus du myocarde, d’un accident ischémique cérébral, d’une revascularisation coronaire ou d’un décès de cause cardiovasculaire ; réduction non significative du fait d’un seuil prévu à 20 % (2). Ainsi, le bénéfice du traitement par aspirine reste mitigé chez les patients porteurs d’AOMI symptomatique ou non. En ce sens, de nouvelles recommandations ESC 2017 limitent l’indication de l’aspirine aux AOMI symptomatiques et lui préfèrent en première ligne le clopidogrel devant les dernières métaanalyses parues dans la littérature. • Inhibiteurs P2Y12 Le clopidogrel, appartement aux thiénopyridines, est le plus utilisé des antagonistes irréversibles de P2Y12, récepteur plaquettaire de l’ADP. Son efficacité dans l’AOMI a été suggérée à partir des analyses post-hoc de l’étude CAPRIE (3), comprenant initialement près de 19 200 patients à très haut risque cardiovasculaire (AVC, Infarctus du myocarde et AOMI), comparé à l’aspirine sur près de 6 500 patients. En effet, à 3 ans, l’analyse en sous-groupe retrouvait une diminution significative du taux de survenue des MACE de 23,8 % dans le groupe AOMI traité par clopidogrel (4,86 % vs 3,71 %). Cependant, il est important de rappeler que l’étude n’avait pas la puissance suffisante pour évaluer le critère primaire par sous-groupe, et ne permet donc pas de conclure à une supériorité du clopidogrel à l’aspirine. • Association aspirine + clopidogrel La double antiagrégation plaquettaire associant l’aspirine et le clopidogrel, communément prescrite à la suite d’une revascularisation coronaire, a été évaluée dans l’AOMI afin de renforcer la protection contre les événements thrombotiques en particulier coronaires chez ces patients. En effet, l’essai randomisé CHARISMA (4) a évalué l’efficacité de l’association aspirine-clopidogrel comparée à l’aspirine seule chez des patients à très haut risque cardiovasculaire (antécédents d’infarctus du myocarde, d’AVC ou d’AOMI). En analyse post-hoc, cette DAPT a été étudiée dans le sous-groupe AOMI (symptomatique et asymptomatique) sur 3 096 patients, ne mettant pas en évidence de différence significative entre la DAPT par aspirine-clopidogrel et le traitement par aspirine seule après 30 mois de suivi sur le taux de survenue de MACE (5). Néanmoins, il est important de noter qu’une diminution significative de 37 % du risque de survenue d’infarctus du myocarde sous DAPT était retrouvée (2,3 % sous DAPT vs 3,7 % sous aspirine), malheureusement associée à une majoration significative du taux de survenue de saignements mineurs (34,4 % vs 20,8 %). Autre point important, le pronostic des patients porteurs d’une AOMI (n = 3 096) comparé à ceux sans AOMI (n = 12 341) est plus sombre avec un taux de MACE significativement plus conséquent dans le groupe AOMI (8,2 vs 6,8 %). Tout comme l’étude CAPRIE, l’étude n’avait pas la puissance suffisante pour évaluer le critère de jugement principal par sous-groupe. • Ticagrélor Plus récent, le ticagrélor est également un antagoniste réversible de P2Y12 plaquettaire, qui a l’avantage de ne pas nécessiter les mêmes biotransformations hépatiques du clopidogrel, limitant ainsi le risque de résistance, et permettant d’atteindre une efficacité antiagrégante plus rapidement. L’étude EUCLID (6), essai multicentrique randomisé en double aveugle, a évalué l’efficacité du ticagrélor à la dose de 90 mg deux fois par jour vs clopidogrel 75 mg par jour sur la survenue de MACE, après 30 mois de suivi, chez le patient porteur d’une AOMI symptomatique (IPS 0,8, et/ou antécédent de revascularisation du membre inférieur de plus de 30 jours), représentant l’étude la plus importante jamais réalisée sur le patient uniquement artéritique avec près de 13 900 patients. Les résultats obtenus ont cependant été décevants, quant à l’intérêt du ticagrélor, ne montrant de différence significative ni sur le taux de survenue de MACE (10,8 % vs 10,6 %), ni sur le taux de saignement majeur en analyse de sécurité (1,6 % dans les deux groupes). Sans place de choix dans l’AOMI en raison du risque hémorragique, il est toutefois accepté que le ticagrélor soit équivalent au clopidogrel dans le traitement d’une AOMI symptomatique. • Association aspirine + ticagrélor L’étude PEGASUS-TIMI 54 (7) a randomisé 21 162 personnes ayant des antécédents d’infarctus du myocarde (datant de plus d’un an et de moins de trois ans) associés à au moins l’un des paramètres suivants : âge de 65 ans ou plus, diabète nécessitant un traitement médicamenteux, deuxième infarctus du myocarde spontané antérieur, coronaropathie multirevascularisée ou une insuffisance rénale chronique (clairance de la créatinine 60 ml/min selon l’équation de Cockcroft & Gault). Ils ont été randomisés en trois groupes : aspirine + ticagrélor 90 mg deux fois par jour, aspirine + ticagrélor 60 mg deux fois par jour ou aspirine seule, dans le but d’évaluer l’efficacité d’une DAPT par aspirine-ticagrélor en comparaison à l’aspirine seule, après 36 mois de suivi, sur le taux de survenue de MACE. Le taux de survenue de MALE ( Major Adverse Limb Events) définie par une ischémie aiguë de membre inférieur ou la revascularisation de membre inférieur secondaire à une ischémie, ou amputation majeure au-dessus de l’avant pied, était un critère de jugement secondaire. Les auteurs se sont particulièrement intéressés aux patients porteurs d’une AOMI dépistée à l’inclusion (IPS 0,9, claudication intermittente des membres inférieurs, ou antécédents de revascularisation des membres inférieurs), au nombre de 1 143 patients. L’association aspirine-ticagrélor 60 mg a réduit significativement de 31 % le taux de survenue de MACE en comparaison à l’aspirine seule chez les patients porteurs d’une AOMI. Étonnamment, l’association aspirineticagrélor 90 mg ne montrait pas de différence significative comparée à l’aspirine seule sur la survenue de MACE. Concernant la survenue de MALE, l’association aspirine-ticagrélor 90 mg réduisait significativement le taux de 51 % avec des taux de survenue extrêmement faibles (0,32 % vs 0,71 %), sans différence significative entre le groupe aspirine-ticagrélor 60 mg et le groupe aspirine seule. En termes de sécurité, le taux d’hémorragie survenue sous traitement n’était pas significativement différent entre les groupes (aspirine seule : 2,2 % ; aspirine + ticagrélor 60 mg : 3,2 % ; aspirine + ticagrélor 90 mg : 3,1 %). Cette DAPT semble donc intéressante dans la prévention secondaire de la survenue de MACE et de MALE chez certains patients, aux antécédents d’infarctus du myocarde (associés à une insuffisance rénale chronique ou un diabète traité). • Anticoagulation efficace orale par anti-vitamine K Les anti-vitamine K (AVK) inhibent la coagulation en bloquant l’activation hépatique des facteurs de coagulation (facteurs II, VII, IX, X). Actuellement, le principal AVK est la warfarine sodique (Coumadine ®), l’initiation d’un traitement par fluindione (Previscan ®) n’étant plus recommandée en France. De moins en moins prescrit depuis l’émergence des nouveaux anticoagulants oraux, ce traitement est utilisé depuis près de 40 ans pour prévenir les accidents cardiovasculaires chez les patients atteints d’AOMI, par analogie, ayant montré son efficacité dans la prévention des MACE chez les patients aux antécédents d’infarctus du myocarde (8). Cependant, les données de la littérature restent mitigées. L’étude WAVE publiée dans le New England Journal of Medicine, a comparé l’efficacité d’une bithérapie par antiagrégant plaquettaire et warfarine (INR cible 2-3) à un traitement antiplaquettaire seul sur la survenue de MACE chez les patients porteurs d’une artériopathie périphérique (artères carotides, sous-clavières et artères à destinée des membres inférieurs) (9). L’étude incluait près de 2 200 patients, hétérogènes, allant de la présence d’une claudication intermittente ou d’une sténose asymptomatique carotidienne supérieure à 50 % à un antécédent de revascularisation, d’amputation ou d’AVC. Après 35 mois de suivi, le taux de survenue de MACE n’était significativement pas différent dans les 2 groupes (12,2 % dans le groupe bithérapie vs 13,3 % dans le groupe antiagrégant, p = 0,48), tout en augmentant significativement le taux d’hémorragie pouvant mettre en jeu le pronostic vital (4 % vs 1,2 %, p 0,001). Dans ce sens, l’étude BOA, incluant 2 690 patients en prévention secondaire d’une AOMI traitée par pontage sous inguinal (prothétique ou veineux), a évalué l’efficacité sur la perméabilité du pontage d’un traitement par AVK à forte dose (INR cible 3-4,5) par phenprocoumone (structure proche de la warfarine sodique) ou par acénocoumarol, comparé à l’aspirine
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