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Stratification du risque et dépistage de la maladie coronaire chez les patients diabétiques asymptomatiques - Position commune de la Société francophone du diabète et de la Société française de cardiologie
Paul VALENSI, unité d’endocrinologie diabétologie nutrition, APHP, hôpital Jean Verdier, CINFO, CRNH-IDF, université Paris Nord, Bondy

Au cours des dernières décennies, l’incidence des événements cardiovasculaires a notablement baissé chez les patients diabétiques, et cela grâce au meilleur contrôle des facteurs de risque.
L'incidence de l’infarctus du myocarde (IDM) a baissé de 68 % entre 1990 et 2010 aux États-Unis (1). Cette même tendance favorable a été rapportée dans des registres d’Europe du Nord. Il a même été noté, dans le registre national suédois du diabète, que la mortalité et le risque d’IDM sont devenus identiques chez les diabétiques ayant 5 facteurs de risque contrôlés (HbA 1c, pression artérielle systolique, LDL-cholestérol, albuminurie, et absence de tabagisme) comparativement à la population de référence (2). Les données de cette étude sont cohérentes avec le bénéfice du contrôle multifactoriel du risque démontré dans la fameuse étude STENO-2 (3). Toutefois, globalement la mortalité cardiovasculaire demeure plus élevée chez les diabétiques que dans la population générale. Le risque cardiovasculaire associé au diabète est en fait hétérogène, dépendant de différents facteurs dont certains ne sont pas propres au diabète et d’autres sont liés au diabète. La maladie coronaire silencieuse dépistée par des méthodes non invasives a également vu sa prévalence décroître au cours des 20 dernières années. Dans nos premières études, l’ischémie myocardique silencieuse (IMS) recherchée par scintigraphie myocardique de stress était présente chez plus de 30 % des patients inclus du fait de la présence de facteurs de risque associés ( 4). Dans notre série actuelle, en utilisant toujours la scintigraphie de stress, cette prévalence est de seulement 11 %, réduction à mettre encore sur le compte de l’amélioration notable du contrôle des facteurs de risque. Néanmoins, l’IDM silencieux découvert sur une séquelle apparente sur l’ECG (ondes Q anormales) et avec une plus grande fréquence à l’échocardiogramme ou à la scintigraphie demeure une réalité (5). Il est donc indispensable, dans une perspective d’efficience, d’améliorer les critères devant conduire au dépistage de la maladie coronaire silencieuse (IMS). Différentes méthodes peuvent être proposées pour ce dépistage, reposant sur des épreuves fonctionnelles de stress, éventuellement associées à des techniques d’imagerie, ou sur la visualisation des lésions coronaires. En pratique, un nombre excessif d’explorations est pratiqué, souvent sans que le risque cardiovasculaire (risque a priori) des patients soit considéré. En outre, la pertinence de ce dépistage est encore controversée surtout du fait que son bénéfice n’est pas formellement établi. Toutefois, les études ayant testé l’utilité du dépistage vis-à-vis de la prévention des événements cardiovasculaires sont méthodologiquement critiquables, dans la mesure essentiellement où le dépistage de l’IMS n’a pas été suivi de la recherche de sténoses coronaires ni d’opportunités de revascularisation. Néanmoins, une métaanalyse d’études randomisées ayant comparé un groupe de patients ayant eu ce dépistage à un groupe ne l’ayant pas eu indique une réduction de 27 % des événements cardiaques subséquents dans le premier groupe, mais sans réduction de la mortalité de cause cardiaque (6). Les dernières recommandations françaises sur la recherche de la maladie coronaire chez les patients diabétiques asymptomatiques ont été publiées en 2004 (7). L’ American Diabetes Association (ADA) recommande de ne pas réaliser ce dépistage en routine bien sûr, mais de considérer le dépistage chez les patients ayant des symptômes cardiaques atypiques, des anomalies à l’ECG (ondes Q) ou des signes ou symptômes de maladie vasculaire périphérique (8). Récemment, une stratégie basée sur la stratification du risque a été développée par l’ European Society of Cardiology (ESC) en collaboration avec l’Association européenne pour l’étude du diabète (EASD) (9). La stratification du risque inclut l’âge, le type et l’ancienneté du diabète, le nombre de facteurs de risque associés et l’atteinte éventuelle d’organes cibles. Une actualisation de la position française était attendue depuis plusieurs années. Avec un groupe rassemblant des diabétologues, des cardiologues et des spécialistes de l’imagerie cardiaque, nous avons élaboré et publié cette année une position commune à la SFD et à la SFC portant sur la stratification du risque et le dépistage de la maladie coronaire chez les patients diabétiques asymptomatiques (10). Je vous en propose ici un résumé des principales lignes directrices. • Pourquoi stratifier le risque coronaire chez les patients diabétiques ? La stratification du niveau de risque revêt un triple intérêt. Elle conduit à : – décider ou non d’entreprendre la détection de la maladie coronaire silencieuse, en sachant que ce dépistage ne devrait être envisagé que chez les patients à risque très élevé ; – déterminer les objectifs thérapeutiques à atteindre ; – privilégier dorénavant, chez les patients à risque élevé ou très élevé, les médicaments antihyperglycémiants qui ont démontré un bénéfice dans la réduction du risque cardiovasculaire. • Bases de l’évaluation du risque coronaire chez les patients diabétiques Différentes équations évaluant le risque cardiovasculaire à partir des facteurs de risque majeurs sont proposées en population générale et certaines sont proposées dans le diabète. Les premières ne peuvent s’appliquer à la population diabétique, les secondes dans l’ensemble ne sont pas validées lorsqu’elles s’appliquent à des populations différentes de celles dans lesquelles elles ont été établies. De plus, ces équations ou scores de risque paraissent difficilement applicables et, de fait, sont très peu utilisés dans la pratique clinique quotidienne. Les facteurs entrant dans l’évaluation du risque coronaire chez les patients diabétiques sont de différents ordres. Ils incluent des facteurs cliniques et biologiques courants, certaines comorbidités, des symptômes cliniques, l’ECG standard, des marqueurs anatomiques non coronaires, des marqueurs fonctionnels de maladie coronaire, enfin une évaluation anatomique des artères coronaires. Il n’est pas question de pousser à réaliser ces différentes modalités d’explorations, mais au contraire d’en rationaliser l’usage. Facteurs de risque cliniques et biologiques et comorbidités Il s’agit des facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels associés au diabète et de leur niveau de contrôle : âge, HTA, tabagisme, antécédents familiaux d’accidents cardiovasculaires précoces, LDL-C ; et de facteurs liés au diabète : ancienneté de la maladie, taux d’HbA 1c, atteinte d’organes cibles, à la fois microet macrovasculaires. Concernant le rôle des complications microangiopathiques, la microalbuminurie et encore plus la macroprotéinurie et l’insuffisance rénale sont associées à un risque cardiovasculaire plus élevé et à une augmentation de la mortalité. Certaines études ont également rapporté une association entre rétinopathie diabétique et événements cardiovasculaires. La neuropathie autonome cardiaque au stade infraclinique définie par une réduction des variations de la fréquence cardiaque au cours d’épreuves standards, dont la respiration profonde, l’épreuve d’orthostatisme et l’épreuve de Valsalva, est associée à la présence plus fréquente d’une IMS et à une augmentation de la morbi-mortalité cardiovasculaire. Certaines comorbidités exposent également à une augmentation du risque cardiovasculaire. Il s’agit notamment de la présence d’une dysfonction érectile, d’un syndrome d’apnées obstructives du sommeil ou encore d’une maladie non alcoolique du foie (NASH). Concernant certains marqueurs biologiques de risque comme des taux élevés de troponine ou de N-terminal pro-Brain Natriuretic Peptide (NT-pro-BNP), ce sont de bons prédicteurs d’événements cardiovasculaires, mais ils n’offrent pas de valeur discriminante suffisante pour la détection de la maladie coronaire silencieuse. Symptômes cliniques et ECG de repos Chez certains patients considérés comme asymptomatiques, un interrogatoire rigoureux peut retrouver une dyspnée, une gêne thoracique ou une diminution de la capacité fonctionnelle pour des efforts modérés. Ces manifestations doivent conduire à des explorations cardiologiques complémentaires. La valeur de l’ECG de repos ne doit pas être négligée. Sa valeur prédictive négative est faible, mais sa valeur prédictive positive de maladie coronaire est élevée ; en particulier la présence d’ondes Q anormales ou d’ondes T négatives anormales est un indicateur potentiel de maladie coronaire, de même qu’un complexe QRS élargi (bloc de branche gauche ou bloc de branche droit récent) ou une fibrillation atriale. En revanche, l’enregistrement Holter ECG sur 24 heures offre une faible sensibilité pour le dépistage d’épisodes ischémiques chez les patients sans maladie coronaire connue. Les marqueurs anatomiques non coronaires L’athérome périphérique La maladie artérielle intéresse souvent plusieurs territoires chez les patients diabétiques. La présence d’une maladie artérielle périphérique est un prédicteur fort de maladie coronaire. Une sténose carotidienne entre 50 % et 70 % a été trouvée associée à un risque double d’AVC ou d’infarctus du myocarde fatal ou non fatal et de mortalité totale (11). En revanche, l’intérêt pour l’épaisseur intima-média carotidienne dans l’évaluation du risque s’est atténué compte tenu de sa faible spécificité et de sa reproductibilité médiocre. Un index de pression systolique cheville/bras ≤ 0,90 ou > 1,40 est associé à un risque double ou triple de mortalité totale et de mortalité cardiovasculaire (12). Ainsi la présence d’une maladie cardiovasculaire périphérique significative doit être prise en compte dans l’évaluation du risque coronaire. Échocardiographie de repos Chez des diabétiques asymptomatiques, cet examen peut mettre en évidence des altérations compatibles avec une maladie coronaire ou évocatrices d’une cardiomyopathie. Dans un travail du service, nous avons rapporté une prévalence élevée, d’environ 30 %, de l’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) chez des patients diabétiques asymptomatiques, et une prévalence légèrement moindre en l’absence d’hypertension ou de maladie coronaire
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