Alberto TIRITILLI, Professeur au Collège de médecine des Hôpitaux de Paris (CMHP)
La pression pulsée augmente naturellement avec le vieillissement en raison de l’artériosclérose et reflète le degré de la rigidité artérielle. Ainsi, à côté des causes physiologiques, d’autres, celles-ci pathologiques, peuvent être responsables de cette élévation et notamment, l’insuffisance cardiaque, la régurgitation aortique importante, l’hyperthyroïdie. En l’absence de causes sous-jacentes, une pression pulsée augmentée est un signe de détérioration du système cardiovasculaire. Ceci comporte un risque accru de mortalité, une progression accélérée de la maladie, des effets cliniques indésirables dans les maladies chroniques, y compris cardiovasculaires et rénales.
Aujourd’hui, le traitement antihypertenseur met l’accent sur la pression artérielle systolique et diastolique et montre un intérêt assez limité pour la pression pulsée. Par ailleurs, il ne semble pas y avoir de médicaments spécifiques pour la traiter. Négliger ce facteur de risque indépendant signifie priver les patients hypertendus d’une réflexion thérapeutique intéressante capable d’aboutir à un traitement spécifique pour cette affection. Le contrôle de la pression pulsée est plus efficace avec les diurétiques thiazidiques et les dérivés nitrés à action prolongée par rapport à d’autres classes d’antihypertenseurs. Des recherches supplémentaires sont certainement nécessaires pour évaluer les avantages additionnels du contrôle de la pression pulsée par rapport à la thérapie conventionnelle de la pression artérielle. Depuis plusieurs années, les recommandations portant sur le diagnostic et le traitement de l’hypertension artérielle (HTA) sont publiées régulièrement par l’American Heart Association et la Société internationale d’hypertension artérielle, elle-même associée à l’Organisation mondiale de la santé. Ceci présente l’avantage de définir un cadre clair non seulement pour déterminer les niveaux tensionnels, mais aussi l’approche thérapeutique. Cependant, le contenu de ces recommandations varie selon les années et demande à être reconsidéré (1). Nous savons que, pendant de nombreuses années, la classification de l’HTA s’est faite essentiellement sur la seule pression artérielle diastolique (PAD), alors que la pression artérielle systolique (PAS) est un bien meilleur prédicteur du risque cardiovasculaire. Ceci est conforté par les résultats obtenus dans le traitement de l’HTA systolique isolée du sujet âgé et qui a fait reconsidérer ce problème. Aujourd’hui, les chiffres tensionnels systoliques et diastoliques doivent être pris en compte comme évaluations indépendantes dans la sévérité de la maladie hypertensive. Une des avancées importantes dans le traitement de l’HTA a été de considérer la courbe de pression artérielle comme l’association de deux composantes : la pression artérielle moyenne (PAM) et la pression artérielle pulsée (PP). La PAM est une pression potentielle, considérée comme constante. C’est un outil important, mais insuffisant pour définir la pression artérielle, car elle suppose un débit cardiaque constant et un degré de résistance artériolaire périphérique homogène. Or, nous savons que le cœur bat et que la pression artérielle change autour d’une valeur moyenne, la pression différentielle (appelée aussi PP). Ainsi, une information plus nuancée sur la pression artérielle devrait prendre en considération la PAM et la PP. Aujourd’hui, nous disposons d’importants travaux qui ont montré que la PP peut être considérée comme un facteur de risque cardiovasculaire indépendant. Le rôle de la PP dans la morbi-mortalité cardiovasculaire a été démontré dans l’HTA (2,3), la maladie coronarienne (4), l’insuffisance cardiaque (5), mais aussi, pour quelques auteurs, dans des populations considérées comme ayant une pression artérielle normale (6-8). Le travail pionnier de Madhavan et coll. a montré que la PP à elle seule pouvait être un facteur prédictif d’infarctus du myocarde. En effet, le risque relatif d’accident coronarien chez les sujets ayant une PP > 63 mmHg était multiplié par 3 par rapport au groupe de patients hypertendus ayant une PP 47 mmHg. Par la suite, ces résultats ont été confirmés sur une plus large série de 5 730 hypertendus (2-3). L’implication de la PP dans la morbi-mortalté cardiovasculaire a été démontrée par d’autres groupes de travail. Un des plus importants a été celui de Benetos et coll., qui ont évalué la PP sur une cohorte de 20 000 hommes ayant bénéficié d’un bilan de santé pendant les années 1972-1977. Les résultats ont montré que la mortalité cardiovasculaire était positivement corrélée au niveau de PP, ceci après ajustement à l’âge, au niveau de la pression moyenne et aux autres facteurs de risque. De plus, l’étude précise les causes de mortalité et montre que la PP était un déterminant majeur dans la mortalité coronaire, mais pas dans celle cérébro-vasculaire. Dans une analyse subséquente, ce même groupe observe qu’une PP > 65 mmHg s’accompagne d’une franche élévation du risque cardiovasculaire et notamment coronaire même avec des valeurs de PAS et PAD dans le rang de la normale (7). Des résultats comparables ont été démontrés par d’autres études portant sur d’importantes cohortes des sujets normotendus et hypertendus et notamment dans la population de Framingham (8) et dans la britannique MRC (9). La PP fait toujours l’objet de publications, parmi les plus récemment divulguées, il faut mentionner l’excellente revue de Tang et coll. (10). Le but de cet article est, d’une part, de faire un point sur cette entité, à la lumière des dernières publications et, d’autre part, de chercher quelques stratégies efficaces de traitement antihypertenseur spécifique. • Définition et rappel physiologique La pression pulsée est définie comme la différence entre la PAS et la PAD qui représentent les pressions circulatoires maximales et minimales pendant le cycle cardiaque (11). Les valeurs « normales » pour la PAS et la PAD sont estimées à 120 mmHg et 80 mmHg, respectivement, ce qui donne une valeur approchante de 40 mmHg pour la PP moyenne. Ainsi, une variation de PP (delta PP) est directement proportionnelle au changement de volume (delta V) et inversement corrélée à la compliance artérielle. Puisque la variation de capacité est essentiellement liée au volume éjecté, nous pouvons approximativement dire que la PP est égale au débit cardiaque divisé par la compliance artérielle. Chez un sujet normal, nous savons que le volume d’éjection du ventricule gauche est d’environ 80 ml et que la compliance est estimable à 2 ml/mmHg. Ceci confirme que la PP normale est d’environ 40 mmHg, la compliance artérielle étant, elle, égale à delta V/delta P. Une PP 25 % de PAS est basse de façon inappropriée, tandis qu’une PP > 100 mmHg de PAS est considérée comme haute (11). Sachant que les chiffres de PP doivent être toujours considérés dans le contexte, il a été montré qu’une PP haute est le plus souvent responsable de maladies cardiovasculaires et du risque de maladie coronaire (12). De plus, elle semble être un marqueur indépendant de la progression de la maladie et de la mortalité toutes causes confondues (13-15). • Physiopathologie et épidémiologie La pathogenèse de la PP peut varier considérablement d’une population à l’autre. Son élévation se voit essentiellement dans 3 situations : dans l’HTA systolique isolée (PAS > 140 et PAS 90 mmHg) où la PP est par définition supérieure à 50 mmHg, dans l’HTA systolo-diastolique avec augmentation disproportionnée par rapport à la diastolique (ex. 200/100 mmHg), et enfin, chez des patients considérés non hypertendus (PAS 140 et PAD 90 mmHg), mais avec une PP élevée (ex. 135/65 mmHg). Sur le plan physiopathologique, le niveau de la PP reflète le degré de rigidité des gros troncs artériels. Il est intéressant de noter qu’une PP augmentée est une conséquence normale de la sénescence (16) (tableau 1). Nous savons que la PAS comme la PAD augmentent régulièrement avec l’âge jusqu’à environ 55 ans, après quoi elles divergent à mesure que les pressions diastoliques diminuent et que les pressions systoliques continuent d’augmenter (17). On assiste ainsi à un élargissement progressif de la PAS au-delà de 60 ans avec l’apparition d’une HTA systolique isolée, par définition PAS > 130 mmHg et PAD 80 mmHg. Plusieurs auteurs rapportent une prévalence pouvant atteindre 50 % chez les sujets de plus de 65 ans dans les pays industrialisés (18). Pour mémoire, une enquête épidémiologique déjà ancienne menée aux États-Unis, la NHANES III, met en évidence une prévalence d’HTA > 60 % chez les sujets de plus de 60 ans (19). Plus récemment, une PAS isolée chez le sujet âgé représenterait environ 65 % (20,21). Sur le plan hémodynamique, l’augmentation de la PP liée à l’âge et à l’hypertension artérielle systolique « pure » peut être attribuée rapidement à l’artériosclérose. En effet, en cas de rigidité artérielle accrue, la vitesse de l’onde de pouls va être accélérée, entraînant un retour précoce des ondes de réflexion, et donc une sommation de l’onde incidente et de l’onde réfléchie pendant la composante systolique de la pression artérielle. Ceci montre que pour une même valeur de PAM, un accroissement de PP est lié, d’une part à l’augmentation de la PAS, d’autre part, à la diminution de la PAD (6). On rappelle également que la vitesse de l’onde de pouls est un indice direct de la rigidité aortique et un fidèle marqueur du risque cardiovasculaire (22), ainsi qu’un déterminant indépendant de mortalité chez les patients hémodialysés (23). Une élévation de la PP a été aussi observée chez les athlètes bien entraînés. L’exercice augmente à la fois le volume d’éjection et le débit cardiaque tout en diminuant les résistances vasculaires périphériques, ce qui entraîne une PP accrue. L’augmentation de la PP chez les patients de moins de 45 ans est peu fréquente. Plusieurs études épidémiologiques ont cherché à établir un lien génétique. Wain et coll. ont montré six gènes spécifiques pour un risque accru de développer une PP élevée, mais le mécanisme et la prévalence de ces variantes n’ont pas encore été confirmés (24,25). En revanche, de plus en plus d’attention est portée à l’obésité pédiatrique et plus communément au syndrome métabolique, tous deux capables d’augmenter la PP et de la considérer comme un marqueur de détérioration cardiovasculaire (26). • Diagnostic différentiel D’une manière générale, chez un patient présentant une nouvelle HTA avec ou sans élévation de la PP, les valeurs de la pression artérielle doivent être confirmées par des techniques de mesure précise (figure 1). Si la mesure de la pression artérielle auscultatoire au cabinet reste la technique traditionnelle
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