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Une association très probable : prolapsus bivalvulaire mitral et QT long
Laura BACIULESCU, cardiologue, CH d’Agen

Patiente de 79 ans, venue en consultation pour le suivi de son défibrillateur sous-cutané marque Boston modèle EMBLEM. Elle présente une asthénie et une fatigue aggravée depuis 2 mois avec apparition des malaises sans perte de connaissance depuis quelques jours. Antécédents : hypothyroïdie centrale substituée, mort subite de son père à l’âge de 64 ans d’un infarctus du myocarde, chirurgie mammaire pour carcinome lobulaire in situ.
Concernant ses antécédents cardiovasculaires, elle a bénéficié de l’implantation d’un défibrillateur sous-cutanée, Boston en janvier 2017, en prévention secondaire d’une mort subite récupérée par fibrillation ventriculaire, en rapport soit avec un syndrome coronarien aigu sur sténose distale très serrée de la coronaire droite, soit en rapport avec une maladie de Barlow maligne soit en rapport avec un syndrome de QT long. La lésion de la coronaire droite a été dans un premier temps respectée. Cette lésion sera par la suite revascularisée du fait d’une instabilité rythmique persistante pendant les jours suivants avec plusieurs épisodes de torsade de pointes et plusieurs épisodes de fibrillation ventriculaire authentique, soutenus, nécessitant plusieurs chocs externes et ce survenant après correction de facteurs métaboliques (hypocalcémies à répétition). Cette angioplastie s’est malheureusement soldée par une dissection focale. Elle a présenté aussi une septicémie sur pneumopathie pendant le séjour en réanimation. La patiente présentait sur l’ECG initial fait en réanimation un QT très allongé (530 ms) avec rabotage onde R en antéroseptal. Elle avait bénéficié d’un traitement par sulfate de magnésium IV, xylocaïne IV, et correction de la calcémie. L’ECG quelques jours plus tard en réanimation montrait une diminution de l’espace QT, qui restait malgré tout allongé (496 ms). L’échographie trans thoracique retrouvait une fraction d’éjection VG conservée à 70 %, sans dilatation, sans hypertrophie, une valve mitrale épaissie myxoïde avec un excès tissulaire important sur les deux feuillets , une ballonnisation bivalvulaire avec un prolapsus situé surtout au niveau de P2 à l’origine d’une fuite de grade IV, oreillette gauche très dilatée, PAPs a 40 mmHg. La patiente a été mise sous bêta-bloquants et IEC après la stabilisation hémodynamique. Une IRM cardiaque avait été réalisée avant l’implantation du défibrillateur, retrouvant une fraction d’éjection VG conservée avec une hypoperfusion inféro-septale sans signe de nécrose constituée dans les séquencés de viabilité ; on confirme la fuite mitrale de haut grade ; pas d’anomalie évocatrice de myocardite. Dans les suites de la pose du défibrillateur, il avait été convenu de lui proposer un geste de réparation mitrale, mais au vu d’un risque chirurgical jugé trop élevé (surtout en raison de la survenue d’une embolie pulmonaire en février 2018), la mise en place des deux MitraClip avait été réalisée le 3 mai 2018, avec un bon résultat échographique et clinique immédiat. Le traitement bêtabloquant n’avait pas été reconduit à la sortie de l’hospitalisation. Le 14 mai 2018, la patiente a présenté une syncope avec traumatisme crânien et fracture du nez, raison pour laquelle elle a été hospitalisée dans notre service. L’ECG initial retrouvait un RS, BAV du premier degré avec hypertrophie auriculaire gauche (PR à 230 ms), un hémibloc gauche antérieur, un QT allongé (500 ms), des ExV. L’espace QTc varié d’un jour à l’autre, avec parfois des valeurs considérées comme normales pour les femmes (en dessous 459 ms) à 453 ms. La troponine était normale, pas des troubles ioniques retrouvés (kaliémie, calcémie, magnésémie normale). L’échographie retrouvait une FEVG conservée, une insuffisance mitrale à deux jets, modérée, à la suite du MitraClip. Le contrôle du défibrillateur montrait : – un bon fonctionnement, avec impédance de choc et de la sonde normale, avec une très bonne détection au niveau du vecteur primaire ; – un choc électrique interne approprié pour torsade de pointe/fibrillation ventriculaire « torsadiforme » après une détection de 17 secondes, exactement à l’heure de la syncope le 14 mai. Ci-joint le tracé. Un traitement bêtabloquant a été débuté pendant l’hospitalisation. Le 18 mai, alors que la patiente était toujours hospitalisée, un nouvel CEI approprié a été délivré par son S-ICD. On note un QT allongé (mesure non standardisée sur les tracés de S-ICD, mais espace QT plus long que la moitié de l’espace RR la plupart du temps), une extrasystole ventriculaire qui tombe sur l’onde T avec le démarrage d’une torsade de pointe/FV. Le traitement bêtabloquant a été augmenté. En février 2019, le contrôle échographique retrouvait une fuite mitrale qui est redevenue sévère, avec une hypertension pulmonaire à 55 mmHg, chez une patiente avec dyspnée NYHA III. Elle est donc adressée au CHU, où elle a bénéficié le 30 avril 2019 d’un remplacement de la valve mitrale par bioprothèse accompagné d’une annuloplastie tricuspide. Les suites opératoires sont marques d’un épanchement péricardique minime et d’une fibrillation atriale persistante anticoagulée au long cours par coumadine. Les échographies annuelles étaient rassurantes, retrouvant une FEVG préservée, prothèse mitrale normofonctionnelle, pas d’hypertension pulmonaire. Une scintigraphie myocardique réalisée en fin 2022 ne retrouvait pas d’ischémie résiduelle. Un holter rythmique réalisé en avril 2023 retrouvait une bradycardie sinusale diurne à 35/min et nocturne à 30/min, nécessitant l’arrêt des bêtabloquants après leur diminution progressive. Actuellement en consultation, la patiente présente sur l’ECG de surface une bradycardie sinusale à 42/min, un BAV I, bloc de branche gauche incomplet et un espace QTc allongé (non interprétable dans le contexte de bradycardie). Vu la bradycardie actuelle malgré l’arrêt des bêtabloquants, la patiente est hospitalisée en urgence pour surveillance scopée. L’échographie cardiaque est rassurante, avec une FEVG à 51 %, bon fonctionnement de la bioprothèse mitrale, pas d’hypertension pulmonaire. Le bilan biologique retrouve un NT-proBNP à 1 100 pg/mL, troponine, ionogramme, magnésémie, bilan phosphocalcique et thyroïdien normal. Elle bénéficiera par la suite de l’implantation d’un défibrillateur endocavitaire double chambre pour la dysfonction sinusale sévère symptomatique et de la reprise des bêtabloquants. Un bilan génétique et un dépistage familial chez les apparentes de premier degré seront réalisés. Les médicaments allongeant le QT sont contre-indiqués. Avantages/désavantages S-ICD À la différence d’un défibrillateur automatique implantable (DAI) conventionnel avec sonde endocavitaire, le système de défibrillation cardiaque sous-cutanée EMBLEM MRI S-ICD a les suivantes particularités : – pas d’enregistrement des épisodes de bradycardies ; – l’algorithme INSIGHT identifie et classifie le rythme cardiaque : classement des événements détectés comme cardiaques ou non (bruit) ou double détection, puis mesure de la fréquence cardiaque ; par la suite, la distinction entre les événements à traiter et d’autres événements à fréquence élevée (TSV) se fait par trois algorithmes : l’analyse morphologique statique qui compare la morphologie et la largeur à la référence, l’analyse morphologique dynamique, qui compare la morphologie beat-to-beat et l’analyse de la largeur du QRS comparé à celle de la référence ; – enregistrement d’un épisode si le S-ICD a débuté la charge : 25 enregistrements d’épisodes traités, 20 enregistrements d’épisodes non traités ; – enregistrement de la désactivation SMART PASS (algorithme destiné à réduire les surdétections de l’onde T) ; – enregistrement ACFA de 44 s si la FA est soutenue (= 2 fenêtres de 192 battements consécutives classées en FA) : 7 épisodes maximum de FA stockés ; – il peut délivrer jusqu’à 5 chocs par épisode, avec polarité inversée à chaque choc si inefficace ; le choc est biphasique, de 80 Joules ; – il ne peut pas délivrer de traitement par stimulation antitachycardique (SAT) pour réduire une tachycardie ou une fibrillation ventriculaire et ne dispose pas des fonctions de stimulation antibradycardique d’un stimulateur cardiaque ; – il est capable d’exercer une fonction de stimulation post-choc antitachycardique pendant une durée maximale de 30 secondes, a une fréquence non programmable de 50/min si asystolie post-choc : onde biphasique de 15 ms, fixée à 200 mA ; – en l’absence d’accès veineux endocavitaire et en cas d’antécédent d’endocardite ou de septicémie, le système de défibrillation cardiaque sous-cutanée EMBLEM MRI S-ICD constitue un choix de 1 re intention dans ces situations contre-indiquant l’implantation d’un DAI conventionnel avec sonde endocavitaire. Discussion du cas Quelle est la cause la plus probable de ces troubles du rythme ventriculaire malin à répétition ? Le prolapsus valvulaire mitral (PVM) est une pathologie assez fréquente (jusqu’à 3 % de la population générale) et il est associé à la mort subite . L’incidence de la mort subite due au phénotype malin varie selon les études, mais peut arriver jusqu’à 1,9 %/an. Les facteurs de risques de mort subite décrits dans la littérature sont : – le prolapsus des deux feuillets, le sexe féminin ; – l'inversion des ondes T dans les dérivations inférieures sur l’ECG de surface ; – la présence d’une ectopie ventriculaire complexe : polymorphisme, couplets, triplets, tachycardie ventriculaire non soutenue, EXV originaires des muscles papillaires ou du système de Purkine, la charge quotidienne élevée en ExV à l’holter rythmique ; – strain longitudinale global diminué, surtout en basal inféro-latéral VG ; dispersion mécanique marquée ; – la présence d’une disjonction annulaire mitrale (DAM) inféro-latérale (adjacente au segment P2) ; à noter que la DAM de tout type est fréquente et peut être retrouvée chez des patients en bonne santé, sans valvulopathies, mais que celle inféro-latérale est rare (5 % de prévalence) et c’est presque toujours associé au prolapsus de la valve mitrale ; il n’y a pas de définition claire (un décollement partiel de l’anneau mitral du myocarde ventriculaire, permettant une hypermobilité de la valvule mitrale) ni de dimension exacte établie (on ne sait pas si 4 mm est aussi significatif pour le risque de mort subite qu’une dimension de 14 mm par exemple) ; il existe une corrélation linéaire entre le pourcentage de fibrose à l’IRM et la longueur de la DAM ; la sévérité de la DAM est
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