Vieillissement primaire du cœur et insuffisance cardiaque
A. WAJMAN, M.-C. MALERGUE, A. COHEN SOLAL, Paris
L’insuffisance cardiaque (IC) cliniquement patente est une maladie spécifique du sujet âgé : sa prévalence augmente avec le vieillissement de la population, 1 % entre 55 et 64 ans, 10 % entre 80 et 89 ans (Framingham 1999). Sa réelle incidence est sous-estimée, tant sa présentation est trompeuse chez le patient âgé. L’IC pose des problèmes majeurs de prise en charge de la fin de vie de ces patients. Le vieillissement « normal » du cœur dit « primaire », est une entité difficile à appréhender et peu documenté. Nous perdons 40 millions de myocytes par an et le vide est comblé par une hypertrophie et une fibrose compensatrices(1).
Cœur sénile et cerveau sénile : le lien existe-t-il ? L’amylose cardiaque sénile est retrouvée chez 86 % des patients de plus de 80 ans (autopsies) : • L’amylose atriale forme la plus fréquente, localisée et limitée à l’oreillette, est un facteur favorisant de fibrillation atriale, comorbidité fréquemment associée chez le patient âgé. • L’amylose systémique sénile, touchant l’ensemble du myocarde, est rare. Un lien entre amylose cardiaque sénile et démences vasculaires précoces est la présence de dépôts amyloïdes de fibrilles myocardiques, retrouvées aussi au niveau cérébral dans la maladie d’Alzheimer. Le vieillissement normal du cœur associe anomalies structurelles et fonctionnelles affectant le volume d’éjection systolique, la fréquence cardiaque et la périphérie : QC= VES x Fc • Le volume d’éjection systolique (VES) est modifié par l’altération de la : - contractilité (modérée, mal appréhendée par nos méthodes actuelles) - post charge : importante augmentation de la rigidité artérielle (contractilité diminuée, relaxation ralentie) - précharge : baisse de la distensibilité (compliance) par fibrose, glycation des protéines ; surtout ralentissement de la relaxation (HVG, BBH, HTA, etc.) ; les 2 sont souvent associés. • FC : incompétence chronotrope fréquente • Facteurs d’aggravation périphériques : - Atteintes des vaisseaux musculaires : (peu de données actuelles) ; - Fonctionnement aérobique altéré des muscles périphériques ; - Insuffisance rénale, néphropénie et anémie. Les causes d’IC chez le sujet âgé sont multiples Elles s’intriquent dans l’histoire naturelle du vieillissement primaire du système cardiovasculaire. • L’HTA, première cause retrouvée après 70 ans avec fraction d’éjection conservée ( FE > 40 %) et altération de la contraction-relaxation diastolique dans 59 % des cas, elle semble correspondre au tableau de vieillissement primaire. L’atteinte coronaire est soulignée dans : • Le registre CASS. On retrouve 57 % d’atteintes coronaires tritronculaires chez les plus de 80 ans versus 43 % chez les 70-79 ans, et une lésion d’un tronc commun dans16 % des cas versus 6 %. (2) • Les valvulopathies et les myocardiopathies. Peut on visualiser cette cardiomyopathie liée à l’âge ? Les données échographiques Elles sont peu contributives sur l’évolution de la masse ventriculaire avec l’âge, mais retrouvent les classiques réponses adaptatives. Le Doppler couleur apporte une contribution majeure : • Altération de la fonction pompe (systolique et diastolique), augmentation des pressions de remplissage avec, lors du passage en arythmie complète par fibrillation atriale, de poussée d’HTA ou d’ischémie coronaire, la survenue d’une poussée d’insuffisance cardiaque aiguë sur un cœur, jusque-là asymptomatique et « de taille normale ou petit » ; • Faible augmentation voire diminution de la masse ventriculaire avec l’âge : les parois ventriculaires gauche et septale s’épaississent relativement et la dimension base apex diminue ; • Petite altération de la fonction systolique longitudinale ou de la torsion avec fonction radiale conservée au repos ; • Ralentissement de la relaxation diastolique (phase active du remplissage) avec diminution du remplissage protodiastolique et altération de la distensibilité du VG (phase passive) ; • Images de nécrose séquellaire, de cardiomyopathie et bien entendu d’atteintes valvaires. Chez le sujet âgé, les calcifications annulaires mitrales et fuites mitrales seront soigneusement recherchées : • Leur prévalence est grande (3) : > 10 % chez l’homme et > 16 % chez la femme, et les autopsies > 90 ans, 27 % chez l’homme et > 53 % chez la femme ; • Leur présence accroit le risque d’endocardite, d’accident vasculaire cérébral et de surmortalité. Schématiquement, on peut distinguer 3 cas de figures, illustrés par les images suivantes : 1. Hypertension chez une nonagénaire (figure 1) 2. Insuffisance cardiaque gauche post IDM (figure 2) 3. Cardiomyopathie, parois amincies, cavité VG dilatée (figure 3) Figure 1. Hypertension chez une nonagénaire. Incidence 4 cavités diastole/systole : importante hypertrophie ventriculaire gauche concentrique, dilatation auriculaire gauche. La fraction d’éjection est conservée. Figure 2. Insuffisance cardiaque gauche post IDM ; Séquelle de nécrose infero basale avec amincissement ; Hyperéchogénéicité et remodelage (incidence 2 cavités apicales). Figure 3. Cardiomyopathie, parois amincies, cavité VG dilatée. Cardiomyopathie dilatée, dilatation des 4 cavités - A. 4 cavités fraction d’éjection 20%. B. TM. * Clichés aimablement confiés par M.C. Malergue. L’IRM montre l’accroissement de l’épaisseur myocardique au détriment des dimensions de la cavité ventriculaire et permet de mieux évaluer l’extension de la fibrose, important facteur pronostique chez ces patients (4). Le scanner apporte également une information sur la fonction globale, régionale et surtout sur l’extension de la fibrose (rehaussement tardif). La réponse à l’exercice du sujet âgé est altérée même si le débit cardiaque est conservé au détriment d’une augmentation des pressions de remplissage ; le déconditionnement à l’effort est majoré par l’atteinte de la réserve chronotrope fréquemment associée et par l’atteinte musculaire périphérique (sarcopénie musculaire). Cliniquement, l’insuffisance cardiaque du sujet âgé est atypique Les pièges diagnostiques fréquents, et le nombre de cas sous-estimé : Le signe majeur est la dyspnée et surtout la fatigabilité majorée à l’effort. Mais les patients âgés restent souvent au lit pour des raisons non cardiologiques. La dyspnée chez le sujet âgé peut être : • Absente : réduction progressive spontanée consciente ou inconsciente des efforts chez les personnes âgées depuis des années ne permet pas l’expression de la symptomatologie, (prothèse de genou ou de hanche par exemple) ; • Anorganique, d’angoisse : elle est alors variable dans son intensité et son déclenchement ; • Confondue par le patient avec la douleur thoracique (blockpnée d’effort) ; • La dyspnée se mêle à l’asthénie, à une altération de l’état général, à des bronchites à répétition ; • Intriquée avec : - Un syndrome confusionnel, réponse clinique au stress, fréquent chez le sujet âgé en présence de lésions cérébrales dégénératives ou vasculaires et/ou de prise de médicaments qui altèrent la vigilance, (l’aspect psychiatrique risque d’orienter à tort le patient vers des services non cardiologiques), - Un syndrome dépressif, dans 24 à 42 % des décompensations cardiaques chez le sujet âgé, - Un syndrome démentiel dont la prévalence est également croissante, facteur limitant de la prise en charge (le diagnostic d’insuffisance cardiaque est masqué par des difficultés de communication). • À l’inverse, l’insuffisance cardiaque peut être un facteur d’aggravation d’une démence préexistante et parfois même être la circonstance de découverte d’une démence jusque-là non connue. L’association IC et démence est retrouvée chez 50 % des insuffisants cardiaques âgés. Ces deux syndromes partagent les mêmes facteurs de risque en particulier l’hypertension artérielle. BNP, NT-proBNP : the lower, the better • L’utilisation des biomarqueurs se fait en routine, à bon escient, en dehors des poussées d’insuffisance cardiaque, pour décider d’une hospitalisation, suivre certains patients et pour leur valeur pronostique (5). • À toujours corréler aux mesures de la créatininémie, du poids et du contexte (l’obésité, l’âge, l’embolie pulmonaire, le CPC, l’HTAP, l’insuffisance rénale peuvent augmenter les taux de BNP). • Prendre pour valeurs seuils limites, respectivement 100 pg/ml et 1 000 pg/ml pour le BNP et le NT-ProBNP. • Ne retenir le diagnostic d’insuffisance cardiaque après 75 ans que si le BNP est supérieur à 500 pg/ml et NT-ProBNP > 1 000 pg/ml. • Sert à mieux guider le traitement : PROTECT (151 patients en ICC de type systolique avec fraction d’éjection 40 %) (a montré que le bénéfice du traitement guidé par la mesure du NT-Pro BNP avec valeur cible à 1 000 pg/ml était supérieur au traitement standard, avec une réduction significative de plus de 50 % de l’ensemble des évènements cardiovasculaires et en particulier les hospitalisations pour poussées d’IC. Ces résultats étaient meilleurs encore dans le groupe des plus de 75 ans. (AHA, 2010). Quelles sont les causes de décompensation cardiaque chez ces patients âgés ? Très fréquentes, elles doivent aussi être connues par le patient et son entourage : • Non observance du régime sans sel et rupture du traitement (arrêt des diurétiques) ; • Prescription inappropriée d’inotropes négatifs (bêtabloquants, inhibiteurs calciques (diltiazem, vérapamil), d’antiarrythmiques classe I (disopyramide, flecainide, propafenone, association digitaliques cordarone, quinidiniques) ; • Insuffisance rénale, fonctionnelle ou liée par exemple à des doses excessives de diurétiques, ou à une association de diurétiques, IEC et AINS ++) ; • Administration de collyres de bêtabloqueurs pour glaucome, AINS, que le patient ne considère pas comme des médicaments ; • Traitement par glitazones ; • Aggravation brutale d’une valvulopathie ; • Surinfection bronchopulmonaire, fièvre, (intrication des signes bronchiques et congestifs) ; • Passage en AC par FA ou simple tachycardie (très fréquent) ; • Embolie pulmonaire ; • Épisodes ischémiques ou infarctus myocardique (mais parfois indolores) ; • Anémie, insuffisance rénale. Que faire ? Primum non nocere ou « le mieux est l’ennemi du bien » • Se fixer un objectif et privilégier la qualité de vie chez les patients très âgés plutôt que la quantité de vie et distinguer les traitements en fonction de ces objectifs ; • Le patient âgé est polymédiqué (5 à 8 médicaments) et souvent insuffisant rénal : les posologies seront adaptées en fonction du poids, de la créatininémie : il faut utiliser la formule de Cockroft et Grault qui malgré ses aspects critiquables demeure le seul outil qui nous rappelle la prudence. • En pratique, oublier les doses dites « recommandées » qui n’ont
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