Implications pronostiques et techniques chirurgicales de l'insuffisance mitrale ischémique
E. MESSAS(1) C. SZYMANSKI(1,2), C. TRIBOUILLY(2), A. HAGEGE(1), (1) Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris, (2) CHU Amiens Sud
La présence en postinfarctus d’une fuite mitrale fonctionnelle secondaire au remodelage ventriculaire, double la morbi-mortalité cardiovasculaire à long terme. Le risque opératoire de ce type de fuite est plus élevé car survenant par définition sur cœur infarci avec le plus souvent dysfonction ventriculaire gauche. La technique chirurgicale de référence est l’annuloplastie sous-dimensionnée préconisée par Steven Bolling ; elle donne des résultats variables à long terme avec un pourcentage important de récidive (jusqu’à 30 %).
Afin d’améliorer le résultat de la réparation mitrale et de diminuer son risque opératoire de nombreuses techniques chirurgicales ou de cardiologie interventionnelle alternatives ont vu le jour ciblant plus précisément le remodelage ventriculaire. Elles ont pour ambition d’améliorer in fine le pronostic de ces patients.
L’avènement de la plastie mitrale a révolutionné le pronostic et la prise en charge des fuites mitrales organiques (1). Cependant, ces résultats, valables pour la fuite mitrale organique, restent encore décevants pour la fuite mitrale fonctionnelle du postinfarctus surnommée « insuffisance mitrale ischémique » (IMI). Cette fuite apparaît, par définition, sur une valve structurellement normale et son mécanisme est directement lié au remodelage ventriculaire du postinfarctus. Sa fréquence importante (20 % des infarctus) et sa gravité (doublement de la mortalité tardive (2)) souligne l’intérêt potentiel de l’amélioration des moyens de détection et de prise en charge de ce type de fuite. Épidémiologie et pronostic L’évaluation de la fréquence et du pronostic de l’IMI pose un problème évident de méthodologie avec de nombreuses études sur le sujet, pour la plupart rétrospectives avec des méthodes d’évaluation différentes. En phase aiguë d’infarctus, détectée à l’auscultation ou au Doppler, sa présence double la mortalité à un an (3). L’étude de la Duke University sur 1 480 patients avec détection de la fuite mitrale par angiographie à H6 de l’infarctus retrouve une mortalité de 52 % à un an chez les patients avec IM > grade 2 et une mortalité cardiovasculaire double de celle des patients avec IM grade 2 (4). En phase subaiguë, un sous-groupe de l’étude SAVE avec fuite mitrale détectée par angiographie dans les 16 jours de l’infarctus a été étudié par Lamas (2). Ces 727 patients ont une fraction d’éjection (FE) 40 % et présentent en moyenne une IM modérée qui, dans plus de 90 % des cas, n’est pas détectée à l’auscultation. Ces patients ont aussi un terrain plus grave avec un taux plus important d’infarctus récidivants, d’atteintes pluritronculaires, d’infarctus postérieurs et sont plus souvent de sexe féminin et plus âgés. Au niveau ventriculaire, il existe une dilatation plus importante des volumes télédiastoliques et télésystoliques avec index de sphéricisation plus élevé alors que la FE et la pression télédiastolique ventriculaire gauche (PTDVG) restent identiques à celles du groupe sans fuite mitrale. À 4 ans, il existe une augmentation significative de la mortalité cardiovasculaire dans le groupe fuite mitrale (figure 1). Ces résultats ne sont pas influencés par la prise d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion. Figure 1. Signification pronostique et survie post-IDM en fonction de la présence d’une fuite mitrale ischémique. Sous-groupe de l’étude SAVE avec fuite mitrale détectée par angiographie dans les 16 jours de l’infarctus. À 4 ans, on note une augmentation significative de la mortalité cardiovasculaire dans le groupe avec IM (d’après Lamas GA, Circulation 1997; 96: 827-33). IMI = insuffisance mitrale ischémique. Figure 2. Classification des cordages de la valve mitrale. Les feuillets mitraux sont tenus par deux groupes de cordages : les cordages marginaux qui sont fins et s’attachent sur le bord libre des feuillets (leur rôle est de prévenir le prolapsus valvulaire) et les cordages basaux, plus épais, s’attachant sur le « corps » du feuillet près de sa base d’insertion. En phase tardive du postinfarctus (à plus de 16 jours), une étude de la Mayo Clinic et l’équipe de Liège de Lancellotti et Piérard ont montré que l’IMI peut être considérée comme un marqueur de mauvais pronostic, mais il n’a encore jamais été clairement démontré que la correction de cette IM améliore le pronostic (lui donnant alors le statut de facteur de mauvais pronostic). Aujourd’hui, on parle d’IM ischémique importante (en termes de pronostic), quand la surface de l’orifice régurgitant au repos est > 20 mm 2 ou quand la surface de l’orifice régurgitant augmente de 13 mm 2 à l’effort. Traitement chirurgical de l’IMI fonctionnelle En l’absence d’études randomisées, les indications chirurgicales et les techniques de correction de l’IMI restent encore controversées. L’analyse des différentes séries publiées retrouve une mortalité opératoire significative allant de 5 à 10 % avec, quand la fuite mitrale régresse, une amélioration significative des symptômes et de la morbi-mortalité avec parfois amélioration de la FE (6). En cas d’indication à un pontage coronaire, on peut proposer d’y associer un geste sur la valve mitrale en cas de fuite mitrale significative (SOR > 20 mm 2) avec fraction d’éjection VG > 30 % (6,7) (recommandation classe IC de l’ESC 2007). Du fait de l’hétérogénéité de la présentation des patients avec IMI, il est difficile de comparer l’efficacité de la plastie à celle du remplacement valvulaire. La réalisation d’un remplacement valvulaire est préférée en cas d’équipe chirurgicale opérant peu d’IMI, de mécanisme complexe de l’IM (associant une restriction du feuillet postérieur et une dilatation annulaire avec fuite mitrale excentrée), de comorbidités importantes, de trouble de la cinétique segmentaire intéressant la paroi latérale et, enfin, en cas de « tenting » sévère des feuillets mitraux présageant d’une inefficacité de la réparation mitrale (7,8). Le remplacement par prothèse valvulaire se fait avec préservation de l’appareil sous-valvulaire (fonction VG), impliquant moins de complications chez des patients dont le pronostic à long terme est déjà compromis. L’annuloplastie sous-dimensionnée : le traitement de référence L’annuloplastie mitrale sous-dimensionnée par anneau semi-rigide permet de rétablir une coaptation mitrale normale en corrigeant plus spécifiquement la dilatation postérieure de l’anneau. Cette technique semble être efficace initialement mais, dans 20 à 50 % des cas, la fuite mitrale récidive après quelques mois ou années pendant lesquels le remodelage ventriculaire continue de progresser (9). L’annuloplastie mitrale fusse-t-elle sous-dimensionnée, ne corrige qu’une partie des modifications géométriques de l’appareil sous-valvulaire mitral en cause dans l’IMI. Elle ne peut corriger le déplacement des piliers qui continue à progresser du fait du remodelage ventriculaire. Ainsi, Steve Bolling, l’un des partisans de l’annuloplastie sous-dimensionnée souligne que l’IM fonctionnelle est en fait une maladie ventriculaire (10). Califiore et coll. ont démontré que l’importance de la fuite résiduelle après annuloplastie est corrélée au degré de traction apicale des feuillets mitraux (11). Par ailleurs, le sous-dimensionnement de l’anneau entraîne un déplacement antérieur du feuillet postérieur qui peut, par effet de bascule, favoriser le déplacement postérieur du pilier postéro-médial avec augmentation des forces de traction locales et aggravation paradoxale de la restriction du feuillet postérieur. D’après Llaneras, « Pour un nombre important de patients, le résultat de l’annuloplastie sous-dimensionnée est mitigé car la traction apicale exercée par les cordages sur les feuillets mitraux n’est pas corrigée par cette technique » (12). Les résultats mitigés de cette technique ont motivé l’apparition de chirurgies alternatives ciblant le mécanisme prépondérant de cette fuite : le remodelage ventriculaire avec traction apicale des feuillets (apical tenting). Ces techniques alternatives ont pour but de diminuer l’excès de traction exercée par les cordages sur les feuillets mitraux en systole par : - section des cordages basaux insérés sur les feuillets mitraux pour diminuer la restriction des feuillets et augmenter la surface de coaptation mitrale (13) ; - repositionnement des piliers vers l’anneau mitral par différentes procédures : plicature de la zone sous-jacente aux piliers, ou insertion d’un patch à la base du pilier (14,15). Section des cordages basaux chordal cutting : une technique déjà utilisée en pratique Cette nouvelle approche proposée par Messas et coll. consiste à sectionner un nombre limité de cordages mitraux responsables de la restriction valvulaire, mais non nécessaires à la prévention du prolapsus (13). L’analyse de l’anatomie de la valve mitrale et de ses modifications en cas d’IMI permet de mieux comprendre les effets de cette nouvelle thérapeutique. Les feuillets mitraux sont tenus par deux groupes de cordages : les cordages marginaux qui sont fins et s’attachent sur le bord libre des feuillets (leur rôle est de prévenir le prolapsus valvulaire) et les cordages basaux, plus épais, s’attachant sur le « corps » du feuillet près de sa base d’insertion (figure 3). Le remodelage ventriculaire, en éloignant les piliers de l’anneau, augmente les forces de traction exercées par les cordages sur les feuillets mitraux (forces dirigées postéro-latéralement et vers l’apex ventriculaire). Ces forces sont donc maximales au centre du feuillet mitral antérieur qui modifie sa forme avec un aspect typiquement en « aile de mouette » présentant un segment basal immobilisé et tendu vers l’apex ventriculaire et un segment distal pivotant perpendiculairement et ne permettant qu’à l’extrémité du bord libre de se mettre en contact avec le feuillet postérieur. Cela entraîne une diminution de la surface de coaptation valvulaire et une fuite mitrale. La section des cordages basaux s’insérant sur le feuillet antérieur permet de réduire la tension exercée sur la grande valve en systole ; celle-ci retrouve une forme plus concave qui permet une augmentation de la surface de coaptation mitrale et une diminution de la fuite. Dans le même temps, les cordages marginaux, laissés intacts, préviennent la survenue d’un prolapsus valvulaire (figure 4) (13). Figure 3. Mécanisme d’action de la section des cordages basaux. A gauche : Schéma de l’appareil valvulaire et sous-valvulaire mitral en conditions physiologiques : coaptation des deux feuillets valvulaires au niveau du plan de l’anneau, sans fuite mitrale. Au milieu : Schéma du mécanisme d’IMI avec traction apicale des feuillets prédominant sur le centre du feuillet antérieur avec angulation entraînant une malcoaptation et fuite mitrale. A droite : Schéma du mécanisme d’action du chordal cutting : après section des cordages basaux, disparition de l’angulation et augmentation
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