L’infarctus du myocarde du sujet âgé est l’un des enjeux de santé publique des années à venir, et ce pour plusieurs raisons :
• les sujets âgés sont de plus en plus nombreux, du fait de l’allongement de l’espérance de vie ;
• la mortalité de l’infarctus augmente avec l’âge, dépassant 25 % après 80 ans ;
• le diagnostic (clinique et électrique) est plus difficile et, de fait, l’infarctus est souvent méconnu ;
• paradoxalement, les techniques modernes de reperfusion (seules capables de réduire significativement la mortalité en phase aiguë) sont moins souvent appliquées chez le sujet âgé. Dès lors, le traitement n’est pas optimal et la mortalité n’est pas réduite en conséquence.
À partir de quel âge doit-on parler de sujet âgé ? La courbe de mortalité de l’infarctus s’infléchit nettement à partir de 75 ans. De plus, c’est à partir de cet âge que le taux de complications hémorragiques, notamment avec les fibrinolytiques, augmente significativement, ce qui explique leur plus faible utilisation (figure 1). Cela explique également que dans les nombreux registres, après 75 ans, les patients sont traités plus volontiers médicalement que par les traitements modernes de reperfusion. On peut donc considérer, qu’à partir de 75 ans, nous avons des efforts à faire dans la prise en charge de ces patients, que nous appellerons « âgés ». Figure 1. À gauche : évolution de la mortalité en fonction de l’âge (tiré de l’essai GUSTO-I) ; à droite : augmentation du risque d’hémorragie intracérébrale sous fibrinolyse avec l’âge. Bilan démographique 2006 Au 1er janvier 2007, la population de la France métropolitaine et des départements d’outre-mer était estimée à 63,4 millions de personnes (Bulletin INSEE Première n° 1118, janvier 2007). Le nombre de naissances (+ 23 100 par rapport à 2005) est en hausse et le nombre de décès en baisse (- 7 000) ; l’excédent naturel est proche de 300 000 personnes, un chiffre inégalé depuis 30 ans. La France reste l’un des pays les plus féconds de l’Union Européenne, avec un indice conjoncturel de fécondité qui atteint 2,0 enfants par femme. L’espérance de vie est en hausse : elle franchit le seuil des 77 ans chez les hommes (77,1 ans) et atteint 84,0 ans chez les femmes. Néanmoins, le vieillissement de la population française se poursuit. Au 1 er janvier 2007, 10,3 millions de personnes étaient âgées de plus de 65 ans ou plus, soit 16,2 % de la population. Elles représentaient moins de 15 % de la population en 1994. En un an, les femmes ont gagné 3,5 mois et les hommes presque 5 mois. L’écart entre les sexes continue donc de se réduire, il était de 6,9 ans en 2006, soit juste un an de moins qu’il y a 10 ans. En 2005, avec une durée de vie moyenne de 76,7 ans, les Français vivent en moyenne presque un an de plus que les Européens (75,8 ans). Ce sont les Italiens qui ont la longévité la plus grande (77,6 ans). La France doit sa situation favorable aux femmes, avec une espérance de vie après 60 ans, de 26,6 contre 21,7 ans chez les hommes de plus 60 ans (figure 2). En 2006, la mortalité diminue de 1,3 % par rapport à 2005, cette baisse touche davantage les femmes (-1,7 %) que les hommes (-1,0 %) et elle est particulièrement marquée chez les femmes de 90 ans ou plus ! Figure 2. Pyramides des âges : prédominance de la population féminine dans les « grands » âges. Au 1 er janvier 2050, en supposant que les tendances démographiques récentes se maintiennent, la France métropolitaine compterait 70,0 millions d’habitants, et un habitant sur trois serait âgé de 60 ans ou plus, contre un sur cinq en 2005 (Bulletin INSEE Première n° 1089, juillet 2006). La proportion de sujets âgés de plus de 75 ans qui était de 8,0 % en 2005 serait de 15,6 % en 2050 ! La mortalité de l’infarctus augmente avec l’âge Dans toutes les études et registres consacrés à l’infarctus aigu du myocarde (IDM aigu), l’âge est constamment corrélé à la mortalité hospitalière : la mortalité augmente avec l’âge. En analysant par tranches d’âge les patients qui avaient été inclus dans l’étude GUSTO-I ( Global Utilization of Streptokinase and Tissue) de fibrinolyse hospitalière, au-delà de 75 ans, la mortalité est supérieure à 20 % et, au-delà de 85 ans, population maintenant couramment rencontrée dans notre pratique quotidienne, le taux de mortalité excède volontiers 30 % (figure 1). La mortalité de l’IDM est plus élevée chez la femme Traditionnellement la mortalité plus élevée chez la femme était reliée à une population volontiers plus âgée que chez l’homme. Nous avions rapporté en 1994 notre expérience à partir de 400 patients : à taux de succès de reperfusion égal (87 % dans chaque sexe), le sexe n’était pas un facteur indépendant de mortalité, malgré une mortalité plus élevée chez la femme que chez l’homme : 18,7 vs 7,2 %, p = 0,001 (Cariou et al. Eur Heart J 1994 ; 18 : 1583-9). À partir des données du Programme de médicalisation du système de l’information (PMSI), tous les patients admis en France au cours de l’année 1999 avec le diagnostic d’IDM ont été analysés, soit un total de 74 389 patients, dont 30 % étaient des femmes (Milcent et al. Circulation 2007 ; 115 : 833-9). Les femmes étaient plus âgées (75 vs 63 ans, p 0,001) et avaient une mortalité hospitalière plus élevée que les hommes (14,8 vs 6,1 %, p 0,0001). Dans les tranches les plus âgées, les femmes étaient toujours plus nombreuses (entre 76 et 85 ans, hommes 15,7 %, femmes 32,1 % ; après 85 ans, hommes 4,4 % et femmes 21,6 %). Cependant, ajustée à l’âge et aux comorbidités, la mortalité reste plus élevée chez la femme (p 0,001) avec un excès absolu de mortalité de 1,95 %. Sous-utilisation des traitements de reperfusion Toujours à partir des données issues du PMSI de 1999, l’angioplastie est utilisée comme moyen de reperfusion chez 15 % des hommes et 11,2 % des femmes après 75 ans, tombant respectivement à 5 et 2,5 % après 85 ans ! Après 70 ans, le taux de reperfusion en phase aiguë est plus faible chez le sujet de plus de 70 ans (72,2 %) que le chez sujet plus jeune (86,4 %, p 0,01) (Himbert et al. Eur Heart J 1994 ; 15 : 483-8) ; cette sous-utilisation des moyens de reperfusion est rapportée dans tous les registres. Dans le registre E-MUST de la prise en charge préhospitalière des infarctus en Île-de-France (janvier 2001 à juin 2002), après 80 ans, 15 % des infarctus sont traités par fibrinolyse et 40 % par angioplastie, contre 37 et 54 % entre 50 et 60 ans respectivement (Lapandry et al. Arch Mal Cœur 2005 ; 98 : 1137-42). Des données comparables sont issues du Registre européen concernant tous les infarctus admis dans un délai de 12 heures avec un ECG qualifiant pour une stratégie de reperfusion en phase aiguë (10 253 patients recrutés entre septembre 2000 et mai 2001 dans 25 pays européens). Entre 75 et 84 ans, 52 % des patients ont été traités soit par angioplastie soit par fibrinolyse, et ce taux fléchit à 26 % après 85 ans (Rosengren et al. Eur Heart J 2006 ; 27 : 789-95). De façon constante, plus l’âge est avancé et moins les patients sont traités agressivement en utilisant les moyens modernes de reperfusion (angioplastie et/ou fibrinolyse) ayant démontré leur capacité à réduire la mortalité. Les raisons de cette sous-utilisation des moyens sont nombreuses et quelques fois incontournables : – présentation volontiers plus tardive des sujets âgés, – crainte de la part des médecins du risque hémorragique de nos techniques, faisant oublier le bénéfice, – comorbidités plus fréquentes avec notamment une fréquence plus élevée de réelles et formelles contre-indications au traitement fibrinolytique, – diagnostic clinique et électrique plus délicat, retardant ou faisant méconnaître le diagnostic en temps utile pour un sauvetage myocardique. De la difficulté du diagnostic d’IDM chez le sujet âgé La présentation clinique de l’infarctus chez le sujet âgé est volontiers plus atypique que chez le sujet jeune : – douleur atypique par sa localisation (dorsale ou épigastrique isolée), voire parfois absente, – manifestations digestives isolées (nausées, vomissements), – simple malaise avec ou sans perte de connaissance, chute. Il faut savoir y penser et avoir le réflexe de demander un ECG en cas de symptômes, même atypiques. Cependant, l’ECG n’est pas toujours d’interprétation facile chez ce type de patient et ce, pour de multiples raisons : – rythme électro-entraîné en permanence, masquant les signes d’ischémie, – troubles de la conduction ou hypertrophie ventriculaire gauche à l’origine de modifications ininterprétables de la repolarisation, – les signes classiques d’ischémie sont volontiers plus frustes que chez le sujet plus jeune, probablement en rapport avec une plus riche circulation collatérale suppléant l’occlusion coronaire. Devant des symptômes atypiques, cliniques ou électriques, en cas de doute, il ne faut pas hésiter à proposer à ces sujets une coronarographie diagnostique (dont le risque est minime) afin de traiter sans retard une occlusion coronaire récente. À l’opposé, si le diagnostic est infirmé, on évitera d’exposer le patient aux risques hémorragiques de nos médicaments antithrombotiques et la durée de l’hospitalisation pourra être raccourcie, bénéfice non négligeable chez le sujet âgé. Un traitement spécifique de l’IDM du sujet âgé ? Comme chez le sujet plus jeune, fibrinolyse et/ou angioplastie sont les deux méthodes de reperfusion capables de restaurer rapidement le flux dans l’artère occluse. La fibrinolyse intraveineuse L’âge n’est pas à lui seul une contre-indication à la fibrinolyse et dans tous les grands essais de fibrinolyse, depuis GUSTO-I jusqu’à GUSTO-V, les patients âgés n’ont pas été exclus. Certes, le risque hémorragique, notamment intracérébral est augmenté, nécessitant un respect rigoureux des indications et des contre-indications. Dans le respect strict des indications, si l’on se réfère à la métaanalyse issue du registre FTT ( Fibrinolytic Therapy Trialists), le rapport risque/bénéfice reste favorable à la fibrinolyse (figure 3). De plus, en utilisant un produit véritablement fibrino-spécifique adapté au poids, comme le TNK-tPA, le risque d’hémorragies intracérébrales se compare favorablement à celui de la population globale (tableau). Figure 3. Bénéfice de la fibrinolyse ( vs placebo) chez les sujets de 75 ans éligibles. Cependant, une étude faite à partir du registre MEDICARE (à partir de 65 ans) aux États-Unis, a jeté le trouble dans les esprits quant au bénéfice réel de la fibrinolyse chez les personnes âgées entre 76 et 86 ans (Thiemann et al. Circulation 2001 ; 101 : 2239-46). Alors que les patients entre 65 et 75 ans bénéficiaient clairement de la fibrinolyse, les patients plus âgés (entre 76 et 86 ans)
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