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L'infarctus indolore : une situation fréquente
S. WEBER, hôpital Cochin, Paris

La fréquence des infarctus indolores est difficile à établir et varie avec le moyen diagnostique utilisé. Il faut souligner la forte prévalence du diabète. Deux situations bien différentes en pratique doivent être envisagées :
• le diagnostic des phases aiguës des infarctus indolores se masquant donc derrière une autre symptomatologie,
• les moyens du diagnostic rétrospectif d’un infarctus passé totalement inaperçu et la prise en charge de ce type de patient.
La douleur : un symptôme inconstant Le caractère variable d’un sujet à l’autre, inconstant et même « facultatif » de la perception consciente de la douleur coronaire fait partie des grands classiques de la cardiologie. La perception et l’intégration cérébrale de la douleur liée à l’ischémie et à la nécrose cellulaire myocardique empruntent des cheminements viscéro-sensitifs bien connus partant des viscero-récepteurs noci-ceptifs intramyocardiques dont le message est véhiculé par des fibres sympathiques vers les centres de régulations cardiovasculaires du tronc cérébral. La sensation douloureuse elle-même est « projetée » sur le précordium, la mandibule, les membres supérieurs (plus à gauche qu’à droite) selon une répartition nous renvoyant à nos lointains souvenirs d’embryologie du début de nos études médicales… Ce circuit d’alarme est parfaitement performant dans environ 60 à 70 % des cas. Dans 10 à 15 % des cas, la douleur est présente mais moins typique soit dans sa perception, soit dans ses projections. Dans 15 à 20 % des cas, enfin, la douleur peut être totalement absente. Parfois, l’explication de ce déficit de perception douloureux est limpide. Il s’agit du diabète notamment sévère dont le dysfonctionnement du système nerveux autonome comporte l’abolition de la perception des signaux viscéro-sensitifs en provenance du cœur. La douleur peut cependant être totalement absente chez un sujet coronarien normoglycémique, probablement avec une fréquence plus importante dans les tranches d’âges plus élevées. Une fréquence difficile à chiffrer La prévalence exacte des formes indolentes d’infarctus est difficile à préciser puisqu’elle dépend : – des caractéristiques de la population étudiée (moyenne d’âge, prévalence du diabète), – et plus encore des moyens diagnostiques que l’on s’est fixé pour établir le diagnostic alors même que le symptôme cardinal, la douleur, est absente ! Si des chiffres précis sont en pratique difficiles à établir, il n’y a guère de doute qu’il s’agit là d’une situation fréquente concernant des patients dont le pronostic est particulièrement hypothéqué car : – l’absence de douleur retarde ou empêche la prise en charge initiale, et donc la mise en œuvre des thérapeutiques de reperfusion, – la population concernée a probablement un risque « de base » plus élevé notamment du fait de la forte prévalence du diabète. Diagnostic à la phase aiguë des infarctus indolores Indolore ne signifie donc pas asymptomatique… Le diagnostic d’infarctus myocardique aigu, transmural (avec sus-décalage de ST) ou non transmural doit être évoqué devant un certain nombre de tableaux cliniques ne comportant aucun élément de douleur thoracique constrictive. Deux situations sont « classiques » de diagnostic relativement aisé puisque l’infarctus myocardique fait clairement partie de la « check list » des diagnostics à envisager. Une défaillance ventriculaire gauche aiguë La défaillance ventriculaire aiguë, généralement œdème aigu pulmonaire ou plus rarement de l’insuffisance cardiaque globale. Même en l’absence de toute douleur sténo-cardiaque, l’insuffisance coronaire aiguë vient en première ligne des étiologies à rechercher. La pratique d’un électrocardiogramme est systématique, son analyse est toujours scrupuleuse (ce n’est pas un ECG de routine !) La pratique d’une échographie est quasi constante, de même que le dosage des marqueurs biologiques de nécrose TROPONINE et/ou CPK. Le diagnostic est aisément établi. En revanche, parfois le plus difficile en l’absence de marqueur douloureux, est de dater le début précis des symptômes et donc de déterminer si l’on est « encore » dans des délais raisonnables pour espérer un bénéfice d’une reperfusion précoce. La réponse à cette question très pratique me paraît simple. Si cet infarctus indolore se complique d’un OAP c’est qu’il est grave, engageant le pronostic à court et moyen termes et méritant donc la prise en charge thérapeutique la plus énergique possible. Même si l’on est possiblement, voire même probablement au-delà des 6 à 12 premières heures, la pratique d’une coronarographie urgente est indiquée sauf, bien entendu, âge extrême ou comorbidité rédhibitoire. S’il existe une occlusion coronaire, celle-ci mérite une reperfusion immédiate si les conditions techniques s’y prêtent. « Au pire », si l’on est vraiment tardif, ce geste n’aura pas grand impact sur le pronostic mais n’aura pas non plus d’effet négatif (les études de reperfusions tardives n’ont pas montré de bénéfice significatif mais n’ont fort heureusement pas non plus objectivé de détérioration du pronostic). Si, par contre la désocclusion aura été précoce, l’amplitude du bénéfice sera, dans ce tableau de dysfonction ventriculaire gauche aiguë, particulièrement important justifiant de proposer cette attitude à tous les patients. Un trouble du rythme Le bilan étiologique d’un trouble du rythme ventriculaire (extrasystolie polymorphe, tachycardie ventriculaire) amène, notamment chez les sujets à risques à évoquer un infarctus myocardique aigu sous-jacent. L’électrocardiogramme et l’échographie sont d’interprétation difficile en pleine tachycardie ! L’élévation modérée de la troponine peut s’expliquer par la tachycardie à elle seule. Le diagnostic n’est donc pas toujours évident et doit être recherché avec acharnement ; facilité bien sûr le rétablissement du rythme sinusal. Une fibrillation auriculaire est un événement beaucoup plus banal et a priori à juste titre beaucoup moins évocateur de syndrome coronaire aigu qu’une tachycardie ventriculaire. Certains infarctus inférieurs et latéraux totalement indolores peuvent se compliquer d’une fibrillation auriculaire à la phase aiguë. Sans être aussi prioritaire que pour un trouble du rythme ventriculaire, la recherche d’un infarctus sous-jacent, par les dosages des marqueurs biologiques et surtout la relecture de l’ECG et de l’échographie après retour au rythme sinusal est nécessaire. L’infarctus peut mimer un syndrome douloureux abdominal, voire un abdomen aigu chirurgical, notamment lorsque le maximum de la douleur est épigastrique et qu’il existe des signes vagaux d’accompagnement, responsables de nausées et de vomissements. Il s’agit d’un grand classique bien connu des chirurgiens urgentistes et anesthésistes. La réalisation d’un électrocardiogramme devant un « abdomen aigu » doit rester la règle sauf, bien sûr, lorsqu’un diagnostic d’appendicite aiguë est évident chez un patient d’une vingtaine d’années. Au-delà de l’électrocardiogramme, la suite de la démarche diagnostique dépendra bien sûr de l’enquête digestive. Si l’électrocardiogramme est normal ou subnormal, et si une pathologie abdominale a été clairement authentifiée, le doute est levé. Si par contre, l’enquête étiologique digestive reste infructueuse, la recherche d’un infarctus myocardique devra être accentuée avec dosage des marqueurs spécifiques, réalisation d’une échographie cardiaque et demande rapide d’un avis spécialisé en cardiologie. Préconiser le dosage systématique de la troponine devant tout syndrome douloureux abdominal n’est pas forcément une « bonne idée ». Le nombre de faux positifs retardant la prise en charge chirurgicale abdominale pouvant l’emporter sur les quelques infarctus myocardiques qui seraient plus précocement diagnostiqués. L’accident vasculaire cérébral à type de ramollissement, volontiers relativement sévère, est un mode non exceptionnel de révélation d’un infarctus indolore. Nous avons eu un exemple récent dans le service (figures 1,2 et 3). Le lien de cause à effet entre infarctus et AVC n’est pas univoque ; le plus souvent il s’agit de la migration cérébrale d’un thrombus mural sur un infarctus antéro-apical ; plus occasionnellement, il peut s’agir, sur une circulation cérébrale préalablement très altérée, des conséquences d’une hypotension, elle-même consécutive à un bas débit et/ou un trouble du rythme ou de la conduction. La pratique d’un ECG est elle aussi systématique à la phase aiguë des AVC. En revanche, son interprétation n’est pas univoque puisque les troubles de repolarisation parfois assez spectaculaires sont relativement fréquents dans les premières heures et premiers jours d’un accident vasculaire cérébral important. La limitation des troubles de repolarisation à un territoire coronaire précis, l’existence de signes en miroir, l’ébauche d’une onde Q orientent bien sûr le diagnostic vers un infarctus amenant à doser les marqueurs et à pratiquer l’échographie cardiaque. Parfois, ce n’est que quelques jours plus tard, dans le cadre du bilan étiologique de cet AVC comportant généralement une échographie cardiaque, que le diagnostic sera rétabli. Figure 1. Infarctus antéro-apical révélé par une hémiplégie. Figure 2. Scanner : ramollissement sylvien droit. Figure 3. Ventriculographie : akinésie antéro-apicale. Syncope et malaises vagaux : - La syncope isolée à l’emporte-pièce type Adams Stokes n’est que rarement révélatrice d’un infarctus du myocarde, indolore, correspondant alors soit à un trouble du rythme ventriculaire très rapide, soit à un BAV paroxystique. Cette éventualité est cependant relativement rare car ces deux complications de l’infarctus surviennent généralement sur des nécroses graves dont la tolérance hémodynamique est médiocre et dont la symptomatologie se limite rarement à une syncope isolée ; - Le malaise vagal sans douleur est par contre un mode de révélation relativement fréquent. Le tableau est généralement assez riche, comportant sueurs, nausées, vomissements et lipothymies plus fréquemment que syncope vraie. Ce syndrome vagal peut parfois s’enrichir de symptômes plus insolites mais devant mettre le clinicien en alerte, il s’agit du hoquet tenace et des bâillements incoercibles. Ces syndromes vagaux sévères correspondent généralement à des nécroses inférieures. L’électrocardiogramme peut objectiver en dehors des signes de l’infarctus en phase aiguë, un trouble supra-hissien de la conduction auriculo-ventriculaire ou une bradycardie
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