Quantification échographique de l'insuffisance mitrale
D. MESSIKA-ZEITOUN, Hôpital Bichat, Paris et J.-F. AVIERINOS, Hôpital de la Timone, Marseille
La prise en charge d’un patient présentant une insuffisance mitrale (IM) repose sur une évaluation précise de la sévérité du vice valvulaire et de son retentissement, en particulier ventriculaire gauche. Pendant longtemps cette évaluation a principalement été semi quantitative ; nous disposons actuellement de méthodes quantitatives non seulement précises et reproductibles mais qui ont montré leur supériorité en termes de pronostic aussi bien dans l’IM organique que fonctionnelle. Dans cet article, nous présentons les principales méthodes d’évaluation des régurgitations valvulaires mitrales.
Mécanisme de la fuite Sans rentrer dans l’anatomie valvulaire, détaillée dans un autre article, le mécanisme de la fuite permet une orientation rapide sur la sévérité de la fuite. Ainsi, les prolapsus étendus par rupture de cordage (flails des Anglo-Saxons) sont associés dans leur grande majorité à des fuites importantes (figure 1). Certaines fuites sont associées à un défaut complet de coaptation et le caractère sévère de la fuite est souvent évident. Figure 1. Exemples d'insuffisance mitrale sévère. Méthodes semi quantitatives Extension couleur L’extension de la fuite en Doppler couleur est la méthode la plus simple et la plus répandue pour la quantification des fuites mitrales. Cette méthode fiable pour la détection des fuites valvulaires permet une évaluation semi quantitative relativement aisée. Elle peut être exprimée de manière absolue (surface du jet couleur) ou indexée (à la surface de l’oreillette gauche). C’est la méthode de première intention, une extension couleur minime correspond le plus souvent, surtout si la fuite est centrale, à une fuite minime, une extension importante à une fuite importante (figure 1). Les critères classiques de fuite sévère sont une surface de plus de 10 cm 2 ou de plus de 40 % de la surface auriculaire gauche. • Cette méthode comporte toutefois d'importantes limites. La première est le repérage de la fuite. Il est très important de « balayer » tout l’orifice mitral et l’oreillette gauche pour ne pas passer à côté d’un jet excentré dont l’extension serait sous-estimée, non par la méthode elle-même mais par l’opérateur. La seconde limitation est d’ordre méthodologique. La comparaison avec les méthodes quantitatives a bien montré que l’évaluation de l’extension du jet en Doppler couleur sous-estime la sévérité des fuites excentrées et surestime celle des fuites centrales. Reflux dans les veines pulmonaires Le flux veineux pulmonaire normal comprend deux composantes positives S et D et une composante négative A, correspondant à la systole auriculaire. En cas d’IM importante, on note une abrasion (vitesse S 30 cm/s) ou mieux une inversion du flux S. L’inversion de flux systolique est relativement spécifique mais peu sensible. Notons que l’abrasion du flux pulmonaire est fonction de la sévérité de la fuite mais également des caractéristiques du jet (excentré ou non, dirigé vers telle veine pulmonaire, etc.) et des pressions de remplissage et du volume de l’oreillette gauche. Sa précision est similaire en échographie transthoracique et transœsophagienne. Vena contracta Le jet de régurgitation mitral comporte trois parties (figure 2, à gauche) : – la zone de convergence (zone d’accélération du flux) située au niveau du ventricule gauche ; – une zone d’étranglement correspondant à l’orifice régurgitant au niveau de laquelle les vitesses sont maximales ; – le jet divergent intra-auriculaire gauche. Figure 2. Mesure de la vena contracta. La vena contracta correspond au diamètre du jet au niveau de l’orifice. Elle doit être mesurée perpendiculairement au jet du fait des limitations de la résolution latérale de l’échographie soit le plus souvent en parasternal grand axe mais parfois en apical dans les jets très excentrés. Il est très important de bien visualiser les trois composantes du jet et, au niveau de la zone de convergence, l’aspect bleu-noir-rouge. Le bleu correspond à la partie du jet régurgitant s’éloignant du capteur, la zone noire à celle perpendiculaire au capteur et la zone rouge à celle dirigée vers le capteur (figure 2, à droite). Malgré ces précautions, la mesure de la vena contracta au niveau mitral n’est pas toujours aisée (contrairement à celle effectuée au niveau aortique) et doit être utilisée de manière semi quantitative : une vena contracta 3 mm définit une fuite minime et une vena contracta > 7 mm une fuite sévère. Entre ces deux valeurs existe une zone d’ombre pouvant correspondre à des fuites de degré variable. Méthodes quantitatives L’évaluation de la sévérité des régurgitations par les méthodes quantitatives repose sur deux paramètres : la surface de l’orifice régurgitant (SOR), qui traduit la sévérité des lésions anatomiques, et le volume régurgitant, qui traduit la surcharge de volume. La fraction de régurgitation peut aussi être calculée mais est moins utilisée en pratique. Trois méthodes peuvent être utilisées pour calculer ces paramètres, la plus utilisée étant la PISA. Zone de convergence ou PISA ( proximal isovelocity surface area) La PISA repose sur le principe de conservation du flux : le flux au niveau de la zone de convergence (1) est égal au flux au niveau de l’orifice (2) : S1V1 = S2V2 (figure 3). Figure 3. Principe de l'estimation de la surface de l'orifice régurgitant par la zone de convergence du flux mitral (PISA). – S1 : surface de la zone de convergence – V1 : vitesse au niveau de la zone de convergence – S2 : surface de l’orifice régurgitant – V2 : vitesse au niveau de l’orifice régurgitant La zone de convergence est composée de zones d’isovélocité de vitesses croissantes au fur et à mesure que l’on s’approche de l’orifice régurgitant (la vitesse est maximale au niveau de l’orifice régurgitant). L’application de la PISA repose sur le postulat que ces zones d’isovélocité sont hémisphériques à « proximité » de l’orifice. Ce postulat est en grande partie vérifié si l’on choisit des vitesses (V1) de l’ordre de 10 % de celle de la vitesse maximale du jet d’IM (V2). La vitesse V1 est déterminée par l’opérateur en déplaçant la ligne de base vers le bas (dans le sens du jet, donc l’inverse en transœsophagien). La limite de Nyquist V1 correspond donc à la vitesse d’aliasing. Au niveau de cette zone de convergence, le rayon R de l’hémisphère est mesuré. Le flux 1 est obtenu en multipliant la vitesse d’aliasing par la surface de l’hémisphère correspondante (2pR2). La vitesse V2 est la vitesse du jet d’IM mesurée en Doppler continu. Le quatrième terme de l’équation est la surface de l’orifice régurgitant que l’on cherche à déterminer (figure 4). Il est important de préciser qu’il s’agit d’un orifice régurgitant « instantané » car rayon et vitesse varient tout au long de la systole. Ces deux paramètres doivent donc impérativement être mesurés, sinon instantanément (impossible actuellement), au même temps du cycle. Il a été montré qu’on peut calculer une surface d’orifice régurgitant « moyen », reflétant la sévérité de la fuite, en effectuant les mesures en mésosystole. Le volume régurgitant est obtenu en multipliant la surface de l’orifice régurgitant ainsi calculé par l’intégrale temps-vitesse du jet d’IM (figure 5). Figure 4. Estimation échocardiographique de la surface de l'orifice régurgitant (PISA). Figure 5. Estimation échocardiographique du volume régurgitant par la PISA. • La PISA dans l’insuffisance mitrale en pratique • Déterminer l’incidence dans laquelle l’origine du jet est la mieux visualisée, maximale et parallèle aux ultrasons (en général l’incidence apicale 4 cavités, parfois la parasternale grand axe dans les jets très excentrés). Il faut insister sur un balayage rigoureux de la valve mitrale dans les différentes incidences. • Placer la fenêtre couleur au niveau de la valve mitrale. • Déplacer la ligne de base vers le bas (sens du flux). Point majeur, il ne faut pas baisser les vitesses générales (classiquement -60 cm/s à + 60 cm/s), mais baisser la vitesse d’aliasing, l’intervalle de vitesse restant inchangé (120 cm/s). La vitesse d’aliasing doit être comprise entre 5 et 10 % de la vitesse maximale, soit habituellement entre 25 et 50 cm/s. La vitesse est déterminée de manière à obtenir une zone de convergence hémisphérique. En pratique, la vitesse est d’autant plus basse que la fuite est petite. À titre de guide, on peut proposer les vitesses suivantes : - 30 cm/s pour les fuites minimes, - 40 cm/s pour les modérées à moyennes, - 45 à 60 cm/s pour les sévères. • Zoomer au niveau de la zone de convergence (il est impératif d’utiliser une très fort zoom pour minimiser les erreurs de mesures (portées au carré) et augmenter la cadence image) • Mesurer le rayon de la zone de convergence (distance entre l’orifice et le dernier aliasing qui est la zone de passage du bleu au jaune). La mesure du rayon doit se faire au niveau de l’onde T de l’ECG. Il faut, en effet mesurer vitesse et rayon au même moment du cycle en mésosystole. Le pic de vitesse du jet d’IM en Doppler continu correspond à l’onde T à l’ECG en Doppler couleur du fait du délai nécessaire à la formation de l’image couleur bidimensionnelle. Dans notre pratique, nous ne supprimons pas la couleur pour déterminer la limite inférieure du rayon (niveau de la vena contracta) car cette zone est difficile à préciser du fait de la structure tridimensionnelle de la valve. Nous recommandons de repérer en dynamique la zone d’étranglement correspondant à la vena contracta, puis d’effectuer la mesure à ce niveau sur image fixe. • Mesurer le pic vitesse et l’intégrale temps-vitesse du jet d’IM en Doppler continu. Quelques limites et remarques sur la PISA sont importantes à connaître. En cas de jet confiné, avec un orifice en entonnoir, la zone de convergence n’est pas une hémisphère mais une fraction d’hémisphère et la PISA surestime la sévérité de la fuite. Une correction d’angle est possible mais rend la PISA complexe. De même, dans les fuites méso-télésystoliques, la PISA n’est pas valide car elle surestime le degré de la fuite. En effet, l’orifice calculé est un orifice moyen sur la systole alors que la fuite ne se produit que sur une partie de la systole. Une dernière limite est les jets en nappe, plus fréquemment rencontrés dans les fuites rhumatismales ou fonctionnelles. Dans ce cas, la zone de convergence n’est pas hémisphérique mais hémi-elliptique et la PISA, qui ne mesure qu’un rayon, sous-estime la régurgitation. En cas de jets multiples, il faut quantifier les deux jets et non pas faire la somme des rayons. La surface d’orifice régurgitant totale est la somme des orifices
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