Resynchronisation : écho ou ECG ? Quelle est, et quelle sera la méthode de sélection des patients ?
E. SALOUX, A. PELLISSIER, F. LABOMBARDA et P. SCANU, Service de cardiologie CHU de Caen
La resynchronisation cardiaque améliore le statut fonctionnel des patients insuffisants cardiaques mais également, comme l’a récemment montré l’étude CARE-HF, la mortalité à 18 mois. Les indications retenues par les grandes études randomisées (tableau 1) et adoptées par les sociétés savantes, reposent sur trois critères principaux :
• une altération du statut fonctionnel du patient (stade III – IV de la NYHA) et ce, malgré un traitement médical bien conduit,
• une altération franche de la fonction systolique,
• un asynchronisme défini électriquement sous la forme d’un élargissement du QRS (> 120 ms).
Sur la base de ces critères, près de 30 % des sujets implantés restent non répondeurs à la stimulation multisite (SMS). L’échocardiographie devrait permettre d’affiner les critères.
La proportion d’échecs de la resynchronisation, que l’on peut considérer comme significative, nécessite une réflexion, ce d’autant que les coûts engagés, les risques encourus et les alternatives thérapeutiques existent pour ce type de patients. Parmi les facteurs qui modulent le nombre de répondeurs à la stimulation multisite nous pouvons évoquer : • le potentiel de réversibilité ou la sévérité de l’atteinte cardiaque, • la présence d’un asynchronisme, • la définition répondeur/non répondeur. La technique de routine utilisée pour sélectionner nos patients devra répondre au mieux à ces questions : ECG ou écho-Doppler ? Le potentiel de réversibilité de l’atteinte cardiaque La largeur du QRS, isolée du contexte de la sévérité de la cardiopathie sous-jacente, ne peut constituer le seul marqueur prédictif de récupération, et l’on peut évoquer des situations myocardiques très différentes pour une même largeur du complexe QRS. Des études récentes ont montré qu’un certain nombre de paramètres pouvaient être, avant toute recherche d’un asynchronisme électrique et/ou mécanique, des critères d’une non-réponse à la resynchronisation. Parmi ces critères, on peut citer l’absence d’amélioration du débit cardiaque sous faible dose de dobutamine, l’extension des zones de nécrose transmurale dans la région inféro-latérale, l’importance du remodelage ventriculaire et l’aspect restrictif persistant du flux transmitral. L’échocardiographie est la technique de choix pour identifier le potentiel de réversibilité de l’atteinte myocardique : écho-dobutamine faible dose, flux restrictif transmitral, extension d’une nécrose. Présence d’un asynchronisme La présence d’un asynchronisme entre les couplages électro-mécaniques des différentes régions du myocarde est à la base même de la technique de SMS. La difficulté tient actuellement aux techniques et aux définitions utilisées pour la mettre en évidence. Deux grands principes s’opposent : • le principe du tout électrique où la largeur du QRS traduirait au-delà d’un certain seuil un inévitable déphasage des couplages (donc des contractions), • le principe du tout mécanique reposant sur un dépistage échocardiographique des désordres de contractions et de leurs conséquences hémodynamiques. Cependant, les recommandations actuelles restent fondées sur l’asynchronisme électrique. Asynchronisme électrique Le concept de l’asynchronisme électrique Le concept de l’asynchronisme électrique est relativement simple ; il repose sur la présence de retards de conduction variables de l’influx électrique au sein des différentes parois ventriculaires. Ces retards conduisent à une perte de l’enchaînement harmonieux de la contraction ; certaines régions sont ainsi activées précocement, d’autres plus tardivement avec finalement une inévitable perte de performance ventriculaire. Il a été proposé d’appréhender cette dispersion de l’influx électrique par l’ECG de surface qui a l’avantage d’être un outil simple, peu cher et à la portée de tout un chacun. La largeur du QRS sur l’ECG de surface constitue la référence actuelle de l’asynchronisme cardiaque. Signification électrophysiologique du QRS et de sa durée Le QRS représente la somme vectorielle des forces électriques générées par les masses musculaires dépolarisées au cours du temps. L’activation électrique normale est caractérisée par une onde de dépolarisation qui se propage rapidement et de manière homogène au travers des branches droite et gauche du faisceau de His et du réseau de Purkinje en 0,06 et 0,10 ms. Sur l’ECG de surface, la durée du QRS en millisecondes représente le temps nécessaire à l’activation des deux ventricules. Au cours des cardiopathies ischémiques ou non ischémiques avec altération sévère de la fraction d’éjection et remodelage, il existe une profonde désorganisation de la propagation de cette onde de dépolarisation et de profondes modifications de l’ECG de surface. Ces modifications affectent non seulement la durée du QRS mais également son aspect. Un allongement du QRS est retrouvé chez environ 30 % des sujets insuffisants cardiaques, le bloc de branche gauche (BBG) étant plus fréquemment retrouvé que le bloc droit (25 à 36 % versus 4 à 6 %). Les limites de la mesure de la durée du QRS Il existe une incidence variable de l’allongement du QRS dans la littérature en raison de la non-uniformité de la méthodologie utilisée. Les mesures peuvent être réalisées sur 1, 3 ou 12 dérivations ; la valeur retenue peut être la moyenne ou le maximum des différentes mesures ; enfin, la mesure peut être réalisée manuellement ou automatiquement. Il existe également des différences dans les seuils retenus (120 vs 150 ms). Implication fonctionnelle de l’élargissement du QRS Il est difficile de transposer directement la notion d’asynchronisme électrique du bloc de branche gauche avec FEVG subnormale à celle des troubles de conductions hétérogènes rencontrés au cours des cardiomyopathies avec altération sévère de la fraction d’éjection. Ces deux formes présentent cependant des similitudes sur le plan mécanique et peuvent, dans certains cas, être liées (remodelage défavorable secondaire au BBG). Sur le plan mécanique, le BBG entraîne une diminution de la participation du septum à la fraction d’éjection globale, un allongement des phases de contraction et de relaxation isovolumiques aux dépens des phases d’éjection et de remplissage, et un déphasage éjectionnel entre les ventricules. Plusieurs études ont montré en aigu une amélioration de la performance ventriculaire gauche lors d’une modification de la séquence d’activation septale. Ces constatations ont justifié la réalisation des premières études sur la CRT. Cependant, la corrélation entre la durée du QRS et la réponse mécanique en aigu (on/off) reste lâche (r2 = 0,6). Ces résultats mitigés s’expliquent par le fait que s’il est logique de s’attendre à un certain degré d’asynchronisme mécanique en présence d’un QRS large, la complexité des séquences d’activations électriques endocavitaires n’est pas toujours traduite par l’ECG de surface. La largeur du QRS serait plus en rapport avec la séquence d’activation inter-ventriculaire qu’intraventriculaire. Par ailleurs, le temps d’activation de la paroi la plus tardive (la paroi latérale en général), mieux corrélée en aigu à l’amélioration de la performance et à l’index mécanique d’asynchronisme évalué en Doppler tissulaire n’est pas accessible sur l’ECG de surface et est indépendant de la largeur du QRS (QRSd). La mise en évidence d’un asynchronisme mécanique en présence de complexes QRS fins (QRS 120 ms) avec réponse favorable à la SMS conforte ces constatations. La largeur du QRS sur l’ECG de surface traduit imparfaitement la complexité des retards d’activation inter- et intraventriculaires, et ne permet pas d’isoler la paroi activée le plus tardivement. Asynchronisme électrique et pronostic De nombreuses études sur de larges populations ont établi le caractère péjoratif de l’élargissement du QRS chez les patients insuffisants cardiaques. Il existe dans cette population une augmentation significative de l’incidence de la mort subite par rapport aux insuffisants cardiaques à QRS de durée normale. Pour Kalra, un QRS ≥ 120 ms dans cette population est associé à une multiplication par trois du risque combiné « mort subite ou greffe cardiaque ». À cinq ans, la survie de ces patients est significativement abaissée par rapport aux patients à QRS fins (47 vs 84 % p 0,0001). L’aspect du QRS, qu’il soit de type bloc de branche gauche ou trouble de conduction intraventriculaire non spécifique, est associé à une surmortalité dans cette population. Largeur du QRS et réponse à la resynchronisation L’apport de la mesure de la largeur du QRS pour prédire une réponse à la resynchronisation cardiaque doit être évalué en tenant compte des différentes périodes de prise en charge du patient : sélection, implantation et suivi du patient. La largeur du QRS pour la sélection des patients a montré ses limites puisque l’on sait actuellement, grâce aux grandes études randomisées, que près de 30 % des patients implantés avec un QRS ≥ 150 ms ne répondent pas favorablement à la thérapie électrique. Par ailleurs, les études sur de plus petites séries, couplant à l’ECG de surface une échographie détaillée, ont régulièrement montré l’absence de corrélation significative entre la largeur du QRS avant implantation et une réponse positive à long terme qu’elle soit déterminée cliniquement (NYHA) ou échographiquement (paramètres fonctionnels et/ou remodelage). L’affinement du QRS est également mal corrélé avec l’évolution à long terme des patients implantés. Cependant, une étude récente a montré que le seul paramètre indépendant de réponse à la resynchonisation était l’affinement du QRS après implantation (DQRS). Dans cette étude, l’affinement moyen du QRS était de 37 ± 23 ms en cas de réponse positive contre 11 ± 23 ms en cas de réponse négative (P 0,001). La largeur du QRS avant implantation était supérieure dans le groupe répondeurs versus non répondeurs (192 ± 27 vs 180 ± 29 ms ; p = 0,018). Cette étude ne détaillait pas les critères d’asynchronisme mécanique et le taux de répondeurs était de 30 %, comparable à celui des autres études. Les retombées cliniques attendues restent modestes, car il n’est pas retrouvé de valeur seuil, et l’évolution de la largeur du QRS pour chaque patient est totalement imprévisible après implantation. Il semble donc important d’obtenir cet affinement au moment de l’implantation des sondes. S’il existe un consensus général pour la position de la sonde gauche (paroi latérale), ce n’est pas le cas pour la sonde droite. Positionner la sonde droite là où l’on obtient le raccourcissement maximal de la durée du QRS peut constituer une démarche intéressante. L’asynchronisme électrique est un médiocre marqueur de réponse favorable à la SMS. L’affinement du QRS lors de la mise en place des sondes de stimulation est un indicateur controversé d’amélioration clinique au
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