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La lettre du GACI

Publié le  Lecture 13 mins

Entretien avec le Pr Michel Bertrand

Propos recueillis par Flavien VINCENT, chef de clinique en cardiologie interventionnelle, CHU de Lille

Retracer le parcours du Pr Michel Bertrand, c’est retracer 40 ans d’histoire de la cardiologie interventionnelle.

Pourquoi avez-vous décidé de faire médecine, alors que vous étiez étudiant en classe préparatoire (math-sup) ? Pr Michel Bertrand : Je suis natif de Lille et j’ai réalisé toute ma scolarité au Lycée Faidherbe de Lille. J’ai acquis dans cet établissement une formation scientifique de bon niveau qui me fut très utile pour la suite de ma carrière. J’ai effectué le certificat de physique-chimie-biologie (PCB) pour accéder à la 1 re année de médecine. Reçu 6 e je ne suis pas parti en vacances d’été pendant lesquelles je me suis familiarisé avec l’ostéologie et la myo­logie en disséquant des pièces anatomiques. Ayant acquis ces connaissances, je pus, simultanément aux cours de 1 re année, m’inscrire dans une conférence d’externat. En fin de 1 re année, j’ai présenté le concours d’externat qui comprenait des épreuves de chirurgie, anatomie et médecine. L’externat était la condition nécessaire pour aller à l’hôpital et approcher les malades. Reçu second, j’ai pu accéder aux stages hospitaliers de 6 mois en neurochirurgie, puis urologie et chirurgie générale. En chirurgie générale, le chef de service étant malade, les chefs de cliniques absents et les internes (qui opéraient seuls) étaient débordés : j’ai été autorisé à effectuer des petits gestes chirurgicaux ce qui serait impensable aujourd’hui ! J’avais un tempérament très chirurgical et je pensais vrai­ment à devenir chirurgien. En fin de 3 e année de médecine, j’ai été reçu major au concours d’internat (écrit + oral + épreuve clinique). J’ai finalement choisi la médecine, un peu sur un coup de tête – alors que je n’avais réalisé aucun stage de médecine pendant l’externat – influencé par mes amis et mon entourage qui m’expliquaient que c’était une voie plus intellectuelle, avec plus de réflexion et de raisonnement que la chirurgie. Et c’était un choix sans retour ! Quand avez-vous choisi de devenir cardiologue ? J’ai commencé à m’intéresser à la cardiologie très tôt puisque j’ai effectué une grande partie de mon internat dans le service de clinique médicale à orientation cardiologique du Pr Henri Warembourg. J’ai entamé un travail de thèse expérimentale passionnant, pour lequel pendant de nombreux mois, j’ai élevé des lapins dyslipidémiques. Je leur grattais l’aorte et les plaques d’athérome pour analyser les acides gras par technique de chromatographie gazeuse. Pendant ce temps, mon patron me demanda de prendre en charge l’épuration extrarénale par rein artificiel. J’ai été envoyé à Paris auprès du Pr Jean Hamburger afin d’apprendre la technique du rein artificiel. Outre l’apprentissage de l’épuration extrarénale, j’ai acquis dans le service du Pr Hamburger des connaissances en anatomopathologie rénale. Après un bref stage à Lyon chez le Pr Jules Traeger, j’ai débuté un programme d’hémodialyse chronique à Lille. J’étais de garde un jour sur deux et les cathéters de dialyse en téflon se thrombosaient très souvent et il a fallu attendre l’avènement des fistules A-V pour que l’hémodialyse des insuffisants rénaux chroniques prenne l’essor qu’elle connaît aujourd’hui. Toutefois, la néphrologie lilloise fut confiée à un autre service et je me suis donc reporté sur la cardiologie. Je n’avais jamais cessé de m’intéresser à la cardiologie depuis mon travail sur le modèle d’athérosclérose animale. Je pratiquais déjà le cathétérisme cardiaque dans le service d’hémodynamique de l’hôpital. À cette époque en cardiologie, il y avait les « bons » qui faisaient de la cardiologie non invasive (phonocardiographie, carotidogrammes, tracés synchrones) et les « méchants » qui faisaient du cathétérisme. Je faisais partie des « méchants ». J’ai voulu débuter la coronarographie mais j’ai hérité d’une salle qui ne fonctionnait abso­lument pas avec des appareils chaotiques non compatibles les uns avec les autres et qui délivraient des doses massives de rayonnement. Je n’avais qu’un radiocinéma de 16 mm alors qu’il fallait du 35 mm. On utilisait des plans-film. Les conditions étaient épouvantables, et les images étaient d’une qualité catastrophique. Par exemple, j’ai réalisé la technique de corona rographie selon Nordenström qui consiste à injecter une dose importante de produit de contraste (250 cm 3) dans l’aorte ascendante chez un patient intubé, sous anesthésie générale. Le principe était de créer une hyperpression bronchique qui supprime le retour veineux créant une hypotension, une bradycardie et quasiment un arrêt cardiaque afin que le produit injecté simultanément puisse pénétrer dans les coronaires. Nous prenions les clichés en oblique antérieure gauche avec un chargeur Elema Schönander, pour voir simultanément la coronaire droite, la circonflexe et l’interventriculaire antérieure moyenne et distale. Toutefois, on ne visualisait pas bien le tronc commun ni l’IVA proximale dans cette incidence. La principale complication était le pneumothorax… J’ai été nommé professeur agrégé en 1969 et c’est seulement en 1973 que j’ai convaincu mon patron d’acquérir un équipement de qualité, avec un arceau et un radiocinéma 35 mm J’ai réalisé 300 coronarographies la première année et 600 la seconde année. À cette époque en cardiologie, il y avait les « bons » qui faisaient de la cardiologie non invasive (phonocardiographie, carotidogrammes, tracés synchrones) et les « méchants » qui faisaient du cathétérisme. Je faisais partie des « méchants ». Mes premiers travaux qui ont eu un retentissement concernaient le spasme coronaire. L’un des grands patrons de la cardiologie en France, le Pr Jean Lenègre, interdisait que l’on prononce ce mot. Il ne croyait pas du tout à son existence ! Pour lui, qui était un champion de la méthode anatomoclinique, les artères qu’il voyait à l’autopsie étaient calcifiées et ne pouvaient se spasmer… Pourtant, je voyais des modifications dynamiques des artères durant mes coronarographies, avec des artères qui se rétrécissaient ou se dilataient sous nitroglycérine. J’accumulais des cas et j’ai présenté mes images lors d’une communication à une séance de la Société française de cardiologie. Après ma présentation, en présence du Pr Lenègre, l’audience, dans un silence de mort, attendait sa réaction (probablement cinglante). À la surprise générale, il a reconnu qu’il fallait désormais réfléchir à la possibilité que le spasme coronaire existe. J’ai lancé les tests à l’ergonovine dans toutes les situations : angor stable, instable, patients valvulaires, pendant les infarctus. Ultérieurement j’ai pu publier dans Circulation la carte épidémiologique du spasme coronaire en rapportant les résultats de plus de mille tests à l’ergométrine. Quels ont été les débuts de l'angioplastie coronaire ? MB : Tout le mérite en revient, comme on le sait, à Andreas Gruentzig, né à Dresde en Allemagne de l’Est. Il avait fait des études de radiologie à Heidelberg puis s’était dirigé vers l’angiologie dans le service de l’hôpital universitaire de Zurich. Fasciné par les travaux de Charles Dotter sur l’angioplastie périphérique, il a eu l’idée de pratiquer l’angioplastie coronaire en miniaturisant des ballonnets. Aucune firme ne voulait l’aider dans ses travaux. Il a donc travaillé de manière artisanale en fabriquant ses ballonnets sur sa table de cuisine, le tout ayant été immortalisé par une photo devenue célèbre. Après une longue phase de mise au point chez l’animal, c’est aux États-Unis, à San Francisco, avec Richard Myler, qu’il a réalisé ses premiers cas d’angioplastie au ballon en peropératoire. En Suisse, il s’est heurté à la réticence de ses confrères qui ne souhaitaient pas lui confier des patients. C’est finalement Bernhard Meier qui va lui présenter un premier patient, un ingénieur de 37 ans c’est-à-dire du même âge que Gruentzig, qui refusait la chirurgie alors qu’il présentait un angor lié à une sténose de l’IVA proximale. Il a réalisé ainsi la première angioplastie percutanée le 16 septembre 1977 et le résultat s’est avéré satisfaisant angiographiquement. Puis, comme promis à son ami allemand le Pr Martin Kaltenbach, une deuxième procédure fut réalisée à Francfort . C’était une dilatation du tronc commun ! La troisième, une double revascularisation coronaire droite et tronc commun, s’est hélas compliquée et a nécessité un pontage en urgence. Il a présenté ses quatre premiers patients à l’AHA à Miami puis des séries plus importantes les années suivantes dans tous les congrès internationaux. Gruentzig a voulu diffuser sa technique et son matériel à la condition de suivre une formation (payante) à Zurich. Tous les grands noms de la cardiologie interventionnelle sont allés à Zurich afin d’obtenir un diplôme d’angioplastie coronaire Comment se déroulait une angioplastie en 1979 ? MB : Il faut en effet faire un petit retour en arrière et oublier le matériel actuel si facile à utiliser. On travaillait avec un cathéter guide 9 F (3 mm) et les ballons n’étaient pas montés sur guide. Ils étaient juste poussés dans la coronaire. Nous ne pouvions donc pas les diriger. Seuls les segments proximaux et non tortueux de l’IVA et la coronaire droite étaient accessibles. Et il était impossible d’opacifier simultanément les coronaires. Nous pouvions simplement mesurer un gradient de pression entre l’extrémité distale du ballon et l’aorte. C’était le seul indicateur de succès de l’angioplastie. Le ballon était gonflé par une seringue métallique remplie de produit de contraste et poussée par du carbogène. Lille a été l’un des premiers centres pratiquant les angioplasties coronaires en France. Comment avez-vous réussi à débuter ce programme ? MB : Nous étions quelques français à nous être rendus à Zurich, très rapidement, afin d’obtenir notre diplôme d’angioplastie. C’est Jean-Luc Germonprez en 1979, qui a été le premier à réaliser une angioplastie en France. Il n’a pas eu le droit de la réaliser dans son propre service. Il a dû faire cette intervention à l’hôpital de Versailles, sans couverture chirurgicale sur site ! Une équipe SMUR était présente, à la porte de la salle de cathétérisme, prête à transférer le

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