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L’incontournable physiologie coronaire
Patrick DUPOUY, PCVI Hôpital Privé d’Antony ; Clinique les Fontaines, Melun

La FFR (fractional Flow Reserve ou fraction de réserve coronaire) a mis plus de 20 ans pour gagner ses lettres de noblesse et être admise dans les salles de cathétérisme. Le succès en est tel que de nombreux concurrents sont apparus et tentent de détrôner la reine FFR. Nous allons essayer de comprendre comment ils pourraient y arriver et ce qu’il faut en penser.
Pour cela, il n’est pas inintéressant de se rappeler le cheminement de la réflexion qui a conduit à faire de la FFR la référence de l’évaluation du retentissement des lésions coronaires. Les publications princeps sur la FFR se sont attachées à transformer un paramètre purement hémodynamique en un paramètre d’évaluation de l’ischémie myocardique induite par des lésions intermédiaires. Les comparateurs étaient les tests fonctionnels traditionnels, essentiellement scintigraphie, épreuve d’effort et échographie de stress. La valeur seuil de 0,75 au-dessus de laquelle il n’y avait pas d’ischémie mise en évidence est devenue une référence. Il s’agissait à l’époque de comparer une nouvelle méthode par rapport à des références dont on connaissait pourtant les imprécisions diagnostiques. Sur cette base là il est peu de dire que la FFR n’a pas enthousiasmé les foules interventionnelles, en dehors de quelques jeunes passionnés (dont votre serviteur) qui ont eu les plus grandes difficultés à faire passer le message : la FFR était peut-être plus appropriée que le sacro-saint réflexe oculosténotique, référence absolue de l’époque. Il a fallu les revers de l’étude COURAGE (et plus récemment ISCHEMIA) et les quelques thromboses des premiers stents actifs pour que la communauté cardiologique interventionnelle ressente la nécessité de valider l’indication de revascularisation retenue et commence à naturellement se tourner vers un concept intellectuellement et techniquement simple, la mesure de FFR en hyperhémie par guide pression. Entre temps, le concept de FFR avait progressivement évolué d’un statut de marqueur d’ischémie vers un statut de marqueur pronostique des patients. D’abord dans l’étude DEFER avec une valeur seuil de 0,75, qui montrait que le stenting d’une lésion coronaire avec une FFR 0,75 avait un meilleur pronostic que le traitement médical, ou même que le stenting d’une lésion coronaire > 0,75, puis avec l’étude FAME (1) qui montrait que le choix des lésions à revasculariser sur la foi d’une FFR 0,80 chez un patient pluritronculaire était bénéfique. Enfin l’étude FAME-2 confirmait le statut d’indicateur pronostique en montrant que de ne pas traiter une lésion 0,80 était délétère. L’intégration de la FFR dans la pratique quotidienne s’est faite avec les résultats des études DEFER, FAME-1 et FAME-2 (2) qui ont transformé un paramètre hémodynamique en un paramètre pronostique, sans plus passer par la case ischémie. Il a fallu 15 ans pour en arriver là, puis encore 5 pour que la FFR obtienne un niveau IA dans les recommandations de l’ESC 2014 (3). Les concurrents sont allés beaucoup plus vite Force est de constater que malgré un niveau de recommandation élevé et une prise en charge économique du guide pression, l’utilisation de la FFR se situe aux alentours de 6-10 % des examens invasifs. Plusieurs raisons peuvent être évoquées comme la mauvaise tolérance de l’adénosine que ce soit en perfusion continue (douleurs thoraciques, dyspnée, BAV) ou en bolus (essentiellement BAV, toujours transitoires mais parfois stressants et parfois douleurs throraciques), le coût de l’adénosine, les manipulations et le temps nécessaire aux mesures en particulier sur des lésions pluritronculaires avec éventuel changement de cathéter. Sur un plan plus physiologique, nombreux sont les collègues qui se posent des questions sur les incertitudes concernant la dose d’adénosine à utiliser en bolus ou la valeur seuil. Par ailleurs, il a été montré par PET que l’hyperhémie pharmacologique n’était pas homogène en fonction du caractère plus ou moins sténosant de la lésion étudiée, avec une nette diminution de l’hyperhémie induite pour les sténoses les plus serrées (4). Ce qui est embêtant puisque le rôle de l’adénosine est de stabiliser les résistances distales, seule condition à la linéarité de la relation pression/débit, base théorique de la mesure de la FFR. L’index de repos D’où l’idée d’un index de repos, par définition plus « physiologique » et respectant le débit coronaire au dépend de la pression de perfusion distale à la lésion par autorégulation et diminution des résistance s microvasculaires. Comme on le sait, la circulation coronaire est phasique avec en systole des ondes de flux antagonistes venant d’une part de l’aorte et d’autre part de la microvascularisation distale (contraction myocardique et baisse du débit coronaire). En diastole, ces ondes de flux antagonistes disparaissent et les résistances microvasculaires sont minimales et surtout stables, autorisant l’utilisation de la linéarité de la relation pression/débit. C’est à partir de ces constatations et de la mesure du ratio Pd/Pa pendant cette wave free period qu’ont été développés les index diastoliques de repos dont l’iFr est le précurseur. Dans un premier temps le jeu a consisté à se comparer à la référence FFR. La première publication est l’étude ADVISE (5) en 2012 qui a montré une bonne corrélation entre l’iFR et la FFR (r = 0,9) et une excellente reproductibilité de la mesure. Bonne corrélation pas toujours retrouvée dans toutes les études, ce qui a longtemps entretenu une suspicion sur la valeur de la iFR. La valeur seuil retenue pour la iFR était de 0,83 dans ces premières études. Il a aussi été montré que les résistances microvasculaires étaient égales en hyperhémie pharmacologique et en période diastolique sans onde de flux. En fait, toutes ces comparaisons sont « empêchées » parce qu’il n’y pas de référence absolue en termes de test d’ischémie myocardique. Une autre approche physiologique a donc été de comparer iFR et FFR aux résistances sténotiques en hyperhémie (marqueur historique de l’ischémie myocardique décrit par Gould en 1978). Les deux types de mesure se sont révélées strictement identiques avec 92 % de précision diagnostique. Une autre étude a comparé iFR et FFR à la positivité des résistances sténotiques et au résultat d’une scintigraphie myocardique. Là encore les deux types de mesure ont fait match nul. Mêmes résultats par rapport à une évaluation de l’ischémie par PET ou par rapport à la mesure de réserve coronaire. Très rapidement, la comparaison entre les deux techniques s’est déplacée sur l’aspect pronostique avec les études DEFINEFLAIR et SWEDEHEART (6,7), regroupant 4 500 patients à elles 2, randomisés entre FFR et iFR. Études de non-infériorité avec comme valeur seuil retenues, 0,80 pour la FFR et 0,89 pour la iFR. Les deux études ont validé la non-infériorité de la iFR par rapport à la FFR pour les MACE (réintervention, décès, infarctus) à 1 an et à 2 ans pour les deux études. À noter qu’il y avait moins de revascularisation dans le groupe iFR (-5 % vs FFR) dans DEFINE-FLAIR. Parmi les critères secondaires, la longueur de la procédure était significativement plus courte avec la iFR et les patients avaient significativement moins d’effets secondaires. À partir des résultats de ces deux études, confirmés par le registre SWEDEHEART et d’autres publications dont une métaanalyse qui confirment que FFR et iFR permettent de guider la décision d’angioplastie avec la même sécurité sur le pronostic des patients, les index diastoliques ont obtenu une recommandation IA en 2018, au même titre et sur la même ligne que la FFR, soit 6 ans après la première publication du concept. Alors FFR ou IFR ? On l’a vu, tout est question de comparateur. Le comparateur absolu n’existant pas en ce qui concerne l’ischémie myocardique (si ce n’est l’occlusion de l’artère), il faut certainement étudier plus en détail les finesses physiologiques de deux concepts qui ont validé un même intérêt pronostique dans la décision de revascularisation d’une lésion coronaire. Chacun a ses partisans et ses détracteurs. Les afficionados de la FFR argumentent que la wave free period n’existe pas et que les index diastoliques ne sont qu’un Pd/Pa de repos. À l’inverse, on peut aussi souligner que la FFR mesurée sur l’ensemble du cycle cardiaque intègre des résistances microvasculaires variables entre la systole et la diastole, malgré l’hyperhémie pharmacologique utilisée ce qui tendrait à mettre à mal le postulat de la linéarité de la relation pression/débit. Pourtant quand on compare la dispersion des mesures de FFR, iFR ou Pd/Pa sur les mêmes lésions, la dispersion des valeurs est identique pour la FFR et la iFR et bien plus concentrée pour la Pd/Pa traduisant une potentialité de différenciation des lésions moindre pour la Pd/Pa (figure 1). Figure 1. A : Le débit coronaire de repos est préservé jusqu’à des sténoses pré-occlusives. Pour maintenir un débit de perfusion stable, il faut une vasodilatation de la microcirculation qui se fait au dépend d’une chute de la pression distale. La pression distale de repos est un indicateur du degré de sténose sur un territoire myocardique donné. B : Pour une même série de sténoses, la dispersion des mesures de la Pd/Pa est insuffisante pour discriminer les degrés de sténose. La iFR et la FFR ont à peu près le même pouvoir discriminant. (D’après Sukhjinder S et al., Circ J 2015 ; 79: 1172 et Park JJ et al. Int J Cardiol 2013 ; 168 : 4070) Ce qui est sûr, c’est que l’une et l’autre technique sont supérieures à la coronarographie même quantitative et permettent de différencier l’impact physiologique de lésions anatomiques avec un pronostic global meilleur, ou plus adapté. Ceci a été démontré par les études R3F (8), POST-IT pour la FFR, et des sous-études de DEFINE-FLAIR, SWEDEHEART pour la iFR selon lesquelles les 40 à 50 % des lésions évaluées qui n’étaient pas revascularisées sur l’argument physiologique, avaient le pronostic clinique identique et excellent avec les deux méthodes. Comment interpréter les discordances FFR, IFR et qu'en faire ? La tentation est grande pour « l’accro » à la physiologie coronaire de faire les deux types de mesure et la désillusion est aussi grande quand les résultats ne concordent pas, ce qui survient dans environ 20 % des cas, plus souvent sur des lésions proximales, chez les femmes, ou en cas de diabète. Faut-il donc
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