Aller au contenu principal
TwitterFacebookLinkedinPartager

Polémique

Publié le  Lecture 15 mins

Les syndromes coronariens aigus sans sus-décalage ST - Une cuvée décevante ?

Jean-Pierre MONASSIER, ancien Président du GACI ; Hôpital Albert Schweitzer, Colmar

En médecine, la vérité est sans cesse remise en cause par l’évolution de la science dont on sait qu’elle n’est pas indemne d’erreurs. Les recommandations des sociétés savantes ont pour objectif de préciser la vérité du moment. Cette louable ambition est ancienne. Ainsi, le Royal College of Physicians a été fondé à Londres en 1518 par le roi Henri VIII pour répondre aux critiques qui souhaitaient des Guidelines pour homogénéiser la pratique médicale.

Depuis environ 30 ans, de nombreuses sociétés et collèges d’experts se sont attelés à la tâche. La Société française de cardiologie (SFC) a décidé au cours des années 1990 de faire siennes les recommandations européennes. Mais l’Europe est loin d’être homogène dans ses structures et sa pensée, et il faut en tenir compte en lisant les différents textes qui nous sont régulièrement proposés (et non pas imposés). Tout médecin et notamment ceux confrontés à l’urgence coronarienne – urge tistes, cardiologues interventionnels et chirurgiens – sont disposés à adapter leurs pratiques aux données les plus récentes de la connaissance en matière notamment de pathologie coronaire. Ils gardent cependant le droit de débattre voire de critiquer ! Certes « la critique est aisée alors que l’art est difficile » et c’est avec admiration pour l’immense travail accompli par les auteurs que des sujets de discussion seront mis en évidence ici. On ne peut que se réjouir que le texte récent concernant la prise en charge des syndromes coronariens aigus (SCA) non-ST+ ait pour premier auteur signataire un collègue français dont les travaux personnels sont reconnus et que d’autres, de plus en plus nombreux, y aient largement participé. Cela n’est qu’une confirmation de plus que la recherche cardiologique de notre pays est largement reconnue contrairement à ce que quelques illuminés ont pu clamer précédemment. On aurait toutefois pu trouver la place de rappeler à quel point les auteurs français sont à l’origine de la révolution antiplaquettaire après implantation de stents (Paul Barragan, Marie-Claude Morice et Jacques Benveniste) au cours des années 1990. Il n’est pas interdit de se poser la question de savoir si nous sommes face à la meilleure production du groupe de travail de l’ESC(1) – les plus grands compositeurs ont parfois produit des œuvres moins enthousiasmantes que les autres, même Mozart. La recherche de l’exhaustivité nuit évidemment à la clarté du propos et il faut de nombreuses relectures pour avoir l’impression de comprendre tous les messages des auteurs. Pourtant, et ce devrait être le cas pour un texte qui entend agir sur la pratique quotidienne : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » : le groupe de travail de l’ESC a à l’évidence rencontré des obstacles pour espérer répondre à cette affirmation de Boileau. Remarques préalables Le texte qui suit ne se veut pas polémique, car une telle attitude manquerait de modestie. Un débat amical est néanmoins nécessaire. Le défi était certes difficile et semé d’embuches mais je n’ose imaginer la situation d’un interne ou d’un chef de clinique recevant un patient SCA ST- et sortant ses fiches soigneusement rédigées avec l’aide de ses seniors, et résumant « les dernières Recos » qu’il faut bien entendu appliquer impérativement. Le long chapitre initial sur la démarche diagnostique et l’évaluation du niveau de gravité des patients aura certainement été utile à beaucoup de nostalgiques des questions d’internat. On aurait pu simplifier des évidences alors que le traitement antithrombotique dont il sera essentiellement question ici a été rapidement résumé en conseillant de se rapporter aux recommandations de 2017 (2). On aurait aimé que la réalisation d’une échocardiographie soit recommandée car connaître la fraction d’éjection est une donnée utile pour conduire l’angioplastie. Conseiller une revascularisation complète au cours d’un SCA ST- (contrairement au SCA ST+ en urgence hémodynamique), est une coquetterie dangereuse (source de complications de l’angioplastie des artères non coupables, d’insuffisance rénale et d’une irradiation excessive malgré les systèmes perfectionnés de protection... sans citer la fatigue des équipes) ! Ce dernier aspect devrait être une « Reco IA»! Le lien entre le texte et les tableaux établissant les « Recommandations » n’est pas toujours évident et comporte parfois des contradictions. On aurait pu faire une place plus importante aux diabétiques (et non pas seulement en conseillant d’éviter de les mettre en hypoglycémie, ce que, avouons-le, nous savions déjà. La prévalence du diabète de type 2 atteint désormais près de 30 %. Cela aurait été intéressant de savoir pourquoi le fossé se creuse ainsi avec les équipes chirurgicales. Les patients sont plus âgés, polyartériels et pluritronculaires : dans ce contexte, la meilleure garantie contre le risque hémorragique sous antithrombotiques au long cours reste une revascularisation chirurgicale avec une ou deux mammaires internes perméables. Le faible nombre d’indications de pontage est en lien direct avec les morts ultérieures par hémorragie. Je vous propose d’entrer dans le vif du sujet : comment résoudre la quadrature du cercle qui consiste à tenter d’éviter à la fois l’hémorragie et la thrombose, deux objectifs antagonistes ? Que nous en disent clairement (?) les recommandations ? 1. La phase préhospitalière Elle a été oubliée ! Sur quelles bases pourrons-nous discuter avec nos collègues du Samu qui, devant un accident coronarien aigu avec ECG modifié souhaitent mettre en œuvre une stratégie unique ? L’utilisation d’une dose de charge d’un anti-P2Y12 est reconnue dans le SCA ST+ car elle prépare à l’angioplastie primaire qui va suivre. Son efficacité a toutefois été remise en cause par l’étude ACCOAST (3) et soutenue par le registre européen MULTIPRAC (4) qui a montré l’utilité du prasugrel face au clopidogrel. Mais l’étude n’est pas randomisée. Nous verrons plus loin que dans le SCA ST- cette stratégie antiplaquettaire d’urgence pourrait être plutôt un obstacle pour le cardiologue de l’USIC et le cardiologue interventionnel. Elle est contraire aux données les plus récentes (en séparant bien SCA ST+ et ST-). Il faut établir un dialogue avec nos consœurs et confrères présents dans l’ambulance et proposer une attitude plus individualisée en fonction de la permanence ou non de la douleur et des informations électrocardiographiques. 2. La phase hospitalière précoronarographie Le diagnostic étant affirmé, les pathologies et comorbidités associées étant évaluées (diabète, insuffisance rénale, maladie polyartérielle, troubles du rythme – fibrillation auriculaire, prothèse valvulaire), nous ne pouvons qu’approuver le niveau IA de l’héparine (HNF ou HBPM) dont les avantages sont nombreux : efficacité biologique facile à vérifier et entrant dans la routine de toute USIC. Elle garantit l’absence de sur-risque hémorragique en cas de pontage urgent et sera poursuivie en salle de cathlab (voir En salle). On comprend moins bien le retour obstiné de la bivalirudine et du fondaparinux qui s’accrochent sans apporter de données incontestables. Ces évocations donnent au lecteur l’impression que comme au cours des grands sommets politiques européens, il est indispensable de faire plaisir à tout le monde. Les antiplaquettaires et notamment les anti-P2Y12 n’apportent rien à ce moment de l’évolution du SCA ST- voire augmentent le risque hémorragique immédiat au décours d’une stratégie invasive. La place de l’aspirine dès ce stade n’est pas clairement précisée. Pourquoi gênerait-elle ? C’est effectivement le cas lorsqu’une intervention chirurgicale de pontage en urgence est décidée. Si une complication hémorragique postangioplastie se produit, l’aspirine rend plus ardue la tâche de l’opérateur car elle inhibe massivement les plaquettes et le seul antidote est la transfusion massive de plaquettes : dommage ! 3. En salle Tous les cardiologues interventionnels et les anesthésistes sont en phase avec les « Recos » : il faut poursuivre l’héparine et exiger un ACT ≥ 250 s et y ajouter une dose de charge IV d’aspirine dès que l’anatomie coronaire est connue et qu’une angioplastie immédiate est décidée. La discussion sur le choix entre les voies radiale et fémorale présente un aspect moyenâgeux. Pourquoi ne pas dire « officiellement » (même si certains discutent encore ce point) que l’abord fémoral ne doit plus être utilisé qu’en recours et qu’il sera plus hémorragipare ? Lorsque l’opérateur a objectivé la (ou les) lésion(s) coupable(s) (figure 1) et le nombre de vaisseaux sténosés, il prend la décision de traiter la sténose responsable du SCA ( j’ai donné plus haut mon avis sur la revascularisation complète en un temps). Dans 10 % au moins des cas, le score Syntax est supérieur à 33, cut-off pour la chirurgie. Certes, dans cette étude, peu de SCA ont été inclus. Figure 1. Patient de 64 ans : SCA ST- troponine +, sténose trifocale de l’IVA. Il faudra alors distinguer la lésion menaçante à très court terme et la traiter avec un stent. Pour d’autres sténoses – je pense à un SCA ST- sur une coronaire droite mais en présence d’une IVA proximale peu « sympathique » avec ou sans CX ou marginale volumineuse –, qui peuvent attendre 24 à 48 heures, il faut reprendre l’ensemble du dossier clinique et savoir céder la place au chirurgien sans inonder le patient d’antiplaquettaires, et ainsi lui garantir l’absence d’ennuis dus aux protocoles antithrombotiques. Si un thrombus volumineux ou fragile et emboligène est présent, il reste une place pour la thrombectomie, éliminée de ces recommandations, et l’utilisation in situ des anti-GPIIa-IIIb. Le cangrélor, biologiquement intéressant, a fait le forcing et a fini par convaincre les rédacteurs (5). La Haute Autorité de Santé française, tant décriée, ne lui accorde aucune « amélioration du service rendu ». C’est alors que le retour d’expérience de la part des labos interventionnels serait utile. 4. Première année après l'angioplastie La lésion coupable est traitée (figure 2). Ce patient sera à plus haut risque ischémique et pourra justifier d’un traitement antithrombotique prolongé (voir plus loin). Cette affirmation

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Articles sur le même thème