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Thérapeutique

Publié le  Lecture 13 mins

Complications cardiaques de la radiothérapie - Le point de vue du radiothérapeute

Emmanuel KAMMERER*, Jennifer LE GUÉVELOU*, Juliette THARIAT**, *service de radiothérapie, Centre François Baclesse, Caen, **Professeur universitaire, service de radiothérapie, Centre François Baclesse, Caen

La radiothérapie s’est imposée dans les standards de prise en charge de nombreux cancers thoraciques. Du fait de l’anatomie, le cœur est un organe à risque, critique. Des études récentes ont mis en évidence un sur-risque cardiovasculaire post-irradiation cardiaque. Cet article présente les principales indications de radiothérapie thoracique, les complications cardiaques associées, et les perspectives de dépistage et de prévention primaire. Une coopération rapprochée entre radiothérapeutes et cardiologues semble nécessaire pour améliorer les prises en charge.

La radiothérapie est actuellement un standard de prise en charge de nombreux cancers de la région thoracique (sein, poumon, Hodgkin...). Elle apporte généralement une nette amélioration du contrôle tumoral local et général. Avec l’amélioration de la prise en charge carcinologique et l’amélioration générale de la survie de ces patients, des cohortes de longs survivants existent. Les complications cardiaques, volontiers tardives (survenant des années après la radiothérapie) sont actuellement un réel enjeu de prise en charge. Le taux de décès par cardiopathie radio-induite post-radiothérapie adjuvante dans les cancers du sein a été estimé à 125 cas pour 100 000 patientes-années, soit 0,1 % patiente-année (1). La part réelle de la cardiotoxicité radio-induite reste cependant difficile à établir du fait des traitements systémiques régulièrement associés (chimiothérapie, thérapies ciblées, hormonothérapie). Le principal paramètre dosimétrique utilisé actuellement pour évaluer la probabilité de cardiotoxicité radio-induite est la dose moyenne cardiaque, en particulier en sénologie (2). D’autres paramètres dosimétriques (notamment le volume physique recevant X Gy) sont en cours d’évaluation, concernant le cœur dans son ensemble ou des sous-structures (notamment les artères coronaires). Indications de radiothérapie du thorax Cancers mammaires Le nombre annuel de nouveaux cancers mammaires invasifs est actuellement de 50 000 cas par an en France, avec une survie nette à 5 ans de 86 % (en 2012). La prise en charge d’un cancer du sein localisé repose en premier lieu sur la chirurgie, soit par mastectomie, soit par tumorectomie (chez 2 patientes sur 3). La tumorectomie est suivie d’une radiothérapie adjuvante de 50 Gy sur le sein restant, avec souvent un complément de 16 Gy supplémentaires au niveau du lit tumoral. Historiquement réalisée sans autre traitement adjuvant, cette radiothérapie adjuvante permettait de réduire le risque de décès à 15 ans (35,9 vs 30,5 %, p 0,0002) (3). Dans les cancers du sein gauche, cette radiothérapie adjuvante post-tumorectomie gauche conduit cependant à une irradiation cardiaque. Il existe deux techniques différentes : la radiothérapie 3D dite « classique » (RT3D) et la radiothérapie conformationnelle en modulation d’intensité (RCMI). La RT3D emploie 2 faisceaux obliques tangentiels, placés en dosimétrie directe (figure 1), de manière à irradier la totalité du sein. La dose maximale reçue par le cœur peut parfois atteindre 50 Gy focalement dans la partie postérieure des faisceaux tangentiels. Celle-ci couvre assez souvent une minime frange de la partie antérieure du cœur incluant notamment l’interventriculaire antérieure. La dose moyenne au cœur est généralement basse, autour de 3 Gy (vu que 80 % du volume cardiaque est totalement épargné). Cette technique reste la plus employée pour les irradiations de sein seul. La RCMI multiplie les portes d’entrée des faisceaux et module les faisceaux (figure 1) de manière à respecter des contraintes fournies a priori par le radiothérapeute. Elle induit généralement une irradiation cardiaque plus importante en volume que la RT3D, mais permet d’éviter les points chauds (forte dose focale) (figure 2). La dose moyenne peut atteindre 8-10 Gy (vu qu’un volume plus important de cœur est irradié à faibles doses). Figure 1. Comparaison entre dosimétrie directe et dosimétrie indirecte. Figure 2. Comparaison de dosimétrie projetée sur scanner de simulation, chez 2 patientes irradiées au niveau du sein gauche exclusivement. En haut, traitement réalisé en radiothérapie conformationnelle (RT3D). En bas, traitement réalisé en radiothérapie conformationnelle avec modulation d’intensité (RCMI). La RCMI est le standard actuel des irradiations adjuvantes incluant des aires ganglionnaires au vu de la meilleure couverture du volume-cible qu’elle permet d’obtenir, et compte tenu de publications récentes suggérant que l’irradiation de la chaîne mammaire interne augmente la survie liée au cancer du sein. Par ailleurs, certains cancers du sein en situation adjuvante (qui présentent des surexpressions du récepteur au facteur de croissance épidermique) sont traités avec du trastuzumab, connu pour sa cardiotoxicité propre. L’essai HERA (4), évaluant le trastuzumab en situation adjuvante dans les cancers du sein a récemment fait l’objet de critiques concernant la cardiotoxicité rapportée. En effet, la cardiotoxicité était évaluée de manière globale dans cet essai, via la baisse de la fraction d’éjection et était imputée au trastuzumab, sans donnée concernant la radiothérapie adjuvante. La cardiotoxicité post-traitement adjuvant semble au minimum additive, voire supra-additive. Localisations pulmonaires La radio-chimiothérapie constitue la prise en charge initiale des cancers pulmonaires localement avancés inopérables. Du fait de la proximité du cœur avec les aires ganglionnaires ciblées, la partie cardiaque postérieure est généralement irradiée à relativement forte dose (la partie antérieure pouvant se retrouver irradiée en cas de proximité avec la tumeur initiale). La radiothérapie stéréotaxique peut être utilisée à visée curative dans les tumeurs pulmonaires primitives de petite taille (5), ou dans les oligométastases pulmonaires. La dose délivrée est alors beaucoup plus forte, via quelques centaines de mini-faisceaux non coplanaires. L’épargne cardiaque peut être difficile à obtenir en cas de proximité avec le volume tumoral mais la dose moyenne est en générale faible. Lymphomes hodgkiniens La radiothérapie a longtemps été un standard de prise en charge initiale dans les lymphomes médiastinaux. Dans les lymphomes hodgkiniens, elle est actuellement surtout employée en clôture (post-chimiothérapie), où elle permet d’obtenir un bon contrôle tumoral. L’importance du volume à irradier, volontiers médiastinal, impose la recherche d’un compromis couverture-épargne cardiaque. • De nombreux cancers de la région thoracique sont traités par radiothérapie, induisant une irradiation cardiaque non souhaitée, chez plusieurs dizaines de milliers de patients annuellement en France. • Les nouvelles techniques de radiothérapie peuvent parfois permettre de délivrer des doses moins élevées au cœur, au prix d’une augmentation de la dose moyenne. Optimisation cardiaque en radiothérapie Contrôle de la position cardiaque De manière à diminuer la dose reçue par le cœur, la radiothérapie (particulièrement en sénologie) peut être délivrée en inspiration bloquée. L’apnée permet de s’affranchir des mouvements respiratoires. L’inspiration profonde permet d’augmenter l’espace entre le cœur et le volume traité, réduisant les doses délivrées au cœur. Plusieurs études ont montré une diminution de la dose moyenne cardiaque post-irradiation mammaire (- 50 %), quelle que soit la technique de radiothérapie utilisée (6,7). De même, la dose délivrée à l’interventriculaire antérieure est réduite (-10 % environ) (8). Mast et coll. (9) ont montré, dans une étude prospective, que l’asservissement respiratoire était associé à une moindre augmentation de la charge calcique à distance de la radiothérapie. De la même manière, toujours en sénologie, la radiothérapie peut être également délivrée en décubitus latéral ou même ventral (10), avec des résultats plus modestes en termes d’épargne cardiaque. Optimisation technologique : proton-thérapie Les protons ont l’avantage balistique d’avoir une décroissance rapide de la dose délivrée en fin de parcours, plus nettement que les photons. En sénologie, cet avantage permet d’arrêter le volume irradié à forte dose au niveau de la paroi postérieure du sein gauche, en évitant le cœur. Peu répandus actuellement, ils nécessitent un appareillage technique plus complexe. Plusieurs études ont montré une meilleure épargne cardiaque dans les irradiations mammaires adjuvantes (11-13), avec une dose moyenne de l’ordre de quelques centiGy. Complications cardiaques postradiothérapie Physiopathologie Les photons arrivant dans les cellules irradiées induisent une radiolyse de l’eau, produisant des radicaux OH· intracellulaires. Ces radicaux vont induire un stress oxydatif à l’échelle cellulaire, et des cassures d’ADN à l’origine d’un effet antitumoral. L’inflammation résultante de ce stress cellulaire et de la réparation de l’ADN va générer une réaction inflammatoire (à l’échelle du myocarde). Le recrutement capillaire de cellules inflammatoires et des cytokines (TNF, IL-1, IL-6, IL-8) va alors activer localement la coagulation, associée à des lésions endovasculaires (14,15). À court terme, ces deux mécanismes (lésions endovasculaires et coagulation) vont être responsables des effets indésirables dits aigus, survenant jusqu’à 3 mois après la radiothérapie, généralement réversibles. Ils associent myopéricardite « sèche » (par inflammation des feuillets péricardiques sans trouble de résorption), angor (par ischémie locale d’origine capillaire), troubles du rythme par hyperexcitabilité (par inflammation). À long terme, l’association de lésions capillaires (radio-induites), des lésions ischémiques myocardiques résultantes, et de l’atteinte de la fonction coronaire (athérosclérose accélérée) peut causer les effets indésirables tardifs (figure 3). Les effets indésirables tardifs (au-delà de 3 mois post-radiothérapie, généralement plus tard) peuvent alors apparaître : péricardite exsudative (la fibrose péricardique diminuant la résorption) ou constrictive (par fibrose péricardique), infarctus segmentaire (par déstabilisation de plaques d’athérome coronaires), valvulopathies (par distension lente), et rythmopathies (par destruction ischémique lente des voies de conduction ou des nœuds). Figure 3. Physiopathologie des effets cardiotoxiques d’une irradiation cardiaque. Complications coronaires Les complications coronaires sont actuellement les complications cardiaques les plus décrites et les mieux connues. Volontiers tardives, elles peuvent survenir des années après irradiation. L’étude rétrospective de

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