Prise en charge de l'hypertension artérielle chez le patient en insuffisance rénale chronique
J. RIBSTEIN, hôpital Lapeyronie, Montpellier
XVIes Journées européennes de la SFC
La relation entre hypertension artérielle et maladie rénale peut être considérée selon un triple point de vue :
- une hypertension artérielle apparemment essentielle peut être liée à une néphroangiosclérose et se compliquer secondairement d’une insuffisance rénale chronique ;
- une hypertension artérielle peut être le signe et la complication d’une néphropathie parenchymateuse ;
- une néphropathie ischémique peut être la cause à la fois d’une hypertension artérielle et d’une insuffisance rénale chronique. L’origine de cette hypertension artérielle peut être expliquée sur la base de plusieurs mécanismes :
anomalie de la balance sodée, sécrétion rénale ou extrarénale de substances vasoconstrictrices (rénine, endothéline, endogenous digitalic-like factor, rénalase), stimulation du système nerveux sympathique, déficit en substances vasodilatatrices (prostaglandines, kallicréine, oxyde nitrique).
Certains de ces mécanismes sont éventuellement mis en œuvre au titre d’une réponse « adaptative » à la réduction de la masse fonctionnelle rénale.
Rappel historique La primauté de l’origine rénale de l’hypertension artérielle est non seulement statistique — il s’agit de la plus fréquente des hypertensions « secondaires » — mais aussi historique. Ainsi, en 1837, Richard Bright suggérait, sur la base de données autopsiques, qu’un « pouls dur », le substitut d’une tension élevée, pouvait expliquer l’association d’un cœur « élargi » et d’un rein « contracté ». Cent ans plus tard, Harry Goldblatt mettait au point le premier modèle expérimental reproductible d’hypertension en montrant que le rétrécissement d’une artère rénale, ou des deux, provoque une hypertension artérielle persistante ; jeune interne, il avait été marqué par la prise en charge d’une jeune femme restée normotendue après être devenue anéphrique à la suite de l’ablation malencontreuse d’un rein en fer à cheval, et en avait déduit « pas de rein, pas d’HTA ». Dans l’intervalle entre ces deux dates, deux pistes mécanistiques avaient été ouvertes au tournant du siècle par le Suédois Robert Tigersted – qui avait isolé dans un extrait de rein une substance à effet vasoconstricteur, baptisée rénine – et par le Français Léo Ambard – qui avait montré le rôle du sel dans l’élévation de pression artérielle. L’éventualité d’une revascularisation « curative » de l’élévation tensionnelle, voire de l’altération fonctionnelle rénale, a fait de la maladie rénovasculaire un paradigme dominant de l’hypertension artérielle rénale. Mais, en l’absence de possibilité de revascularisation, la prise en charge de l’hypertension des néphropathies vasculaires est pratiquement identique à celle des néphropathies parenchymateuses, qu’elles soient glomérulaires, tubulo-interstitielles ou kystiques. Par ailleurs, le cadre des néphropathies vasculaires déborde celui de la sténose des artères rénales, et inclut notamment la néphroangiosclérose « bénigne », qui tend à être interprétée moins comme une lésion d’organe cible que comme une atteinte primitive, associée inconstamment à une hypertension. Objectif de la prise en charge : réduire les risques rénal et cardiovasculaire Protéger le rein victime de l’hypertension artérielle L’hypertension est un déterminant majeur de la progression d’une néphropathie vers l’insuffisance rénale chronique. Plusieurs études de suivi de cohortes, sélectionnées ou issues de la population générale, montrent que le niveau de pression artérielle est un prédicteur de la survenue ultérieure d’une insuffisance rénale. Plus important encore, en cas de maladie rénale avérée, le traitement antihypertenseur est, en dehors d’un traitement éventuellement spécifique (immunosuppresseur par exemple), le principal moyen de ralentir la progression d’une détérioration fonctionnelle. Il y a plus de dix ans, l’étude MDRD comparait l’impact de deux niveaux de pression artérielle sur l’évolution de différentes néphropathies parenchymateuses. Le maintien d’une pression artérielle moyenne à moins de 92 mmHg (c’est-à-dire aux alentours de 125/75 mmHg) réduisait significativement la vitesse de dégradation fonctionnelle par rapport à un niveau moins abaissé (pression moyenne 107 mmHg, c’est-à-dire aux alentours de 140/90 mmHg), du moins dans le sous-groupe des patients avec protéinurie significative (> 1g/24 h). Une réduction de l’incidence d’insuffisance rénale terminale n’était notée qu’après extension du suivi de 2,2 ans à 6,2 ans. La valeur de ces cibles a été en partie confirmée par les études ultérieures menées chez des sujets afro-américains avec néphroangiosclérose (AASK), européens avec néphropathie protéinurique non diabétique (REIN-2), et surtout diabétiques de tous types (voir plus loin). Le degré de protéinurie est un prédicteur du risque de survenue d’une insuffisance rénale dans la population générale et un marqueur d’évolutivité chez les patients ayant une maladie rénale avérée. À l’inverse, la réduction de protéinurie obtenue par le traitement antihypertenseur – et ce, dès l’instauration de ce traitement – est corrélée avec le ralentissement à terme de la dégradation de fonction. Le degré d’excrétion urinaire d’albumine est donc à la fois un moyen de dépistage et de surveillance des néphropathies potentiellement évolutives. Objectifs thérapeutiques en cas de maladie rénale - pression artérielle systolique :130 mmHg - protéinurie mesurée sur une collection de 24 heures : 0,5 g/24h sinon sur une miction : - pour les femmes : 50 mg/mmol de créatinine (0,4 g/g de créatinine) - pour les hommes : 35 mg/mmol de créatinine (0,3 g/g de créatinine) Réduire le risque cardiovasculaire du patient insuffisant rénal Il est notoire, en milieu néphrologique, que la survenue d’un accident cardiovasculaire est la première cause de mortalité des patients parvenus au stade ultime de l’insuffisance rénale. Une analyse post hoc des données de ALLHAT montre aussi que, pour un sujet à fonction rénale franchement altérée, mais non dialysé, le risque de souffrir d’un événement coronarien est supérieur à celui de progresser vers l’insuffisance rénale terminale. De fait, il a été montré ces dernières années qu’une réduction, même modérée, de la filtration glomérulaire et une augmentation, même modeste, de l’excrétion urinaire d’albumine sont des facteurs de risque cardiovasculaire indépendants des facteurs majeurs (âge, élévation de la pression artérielle, de la cholestérolémie, de la glycémie, etc.). Une analyse systématique suggère que le risque cardiovasculaire est progressivement majoré pour des valeurs de clairance calculée à partir de la créatininémie 75 ml/min. Les mécanismes de ce surcroît de risque ne sont pas parfaitement compris. La simple agrégation des facteurs de risque « traditionnels » amène souvent à classer le malade en insuffisance rénale dans une catégorie à haut risque cardiovasculaire, et le poids de ces facteurs semble suffire pour expliquer l’essentiel du risque. Il est aussi possible que l’impact de certains facteurs de risque (HDL-cholestérol, anémie, etc.) soit amplifié avec le degré d’insuffisance rénale, et éventuellement qu’il existe des facteurs « nouveaux », plus spécifiques de la maladie rénale. S’il est admis que le vieillissement « normal » est associé à une baisse du débit de filtration glomérulaire (de 0,5 à 1 ml/min/an à partir de 40 ans), il semble que le tabagisme, les dyslipidémies, l’intolérance au glucose, l’obésité – c’est-à-dire les principaux facteurs de risque cardiovasculaire – puissent accélérer ce déclin, et représentent des facteurs de risque vis-à-vis de la survenue d’une insuffisance rénale. Dans un contexte de maladie rénale, l’enjeu de la prise en charge de l’hypertension artérielle est donc à la fois de ralentir l’évolution vers le stade ultime de l’insuffisance rénale et de réduire un risque cardiovasculaire global qui s’avère majeur. Le contrôle du capital sodé Au stade ultime de l’insuffisance rénale chronique, quand la suppléance devient nécessaire, plus de quatre patients sur cinq sont hypertendus. Et l’hypertension artérielle est considérée comme « volodépendante », par opposition à « rénine-dépendante », chez plus de quatre patients sur cinq. L’expérience des premiers patients traités par dialyse chronique, tous hypertendus, a montré il y a 45 ans que la mise en route d’une ultrafiltration associée à une restriction sodée permet d’interrompre le traitement antihypertenseur trois fois sur quatre. Chez ces patients, la diminution de la pression artérielle est liée à l’obtention et au maintien d’un juste poids, considéré comme le témoin d’un état d’équilibre du capital sodé de l’organisme. L’obtention de ce « poids sec » précède habituellement la réduction de la pression artérielle de plusieurs semaines, un délai qui suggère qu’il n’y a pas de relation simple et directe entre volémie et pression artérielle. L’expérience montre que le maintien d’un temps de dialyse suffisant et la maîtrise des apports sodés (et hydriques, généralement parallèles) sont une condition nécessaire à la normalisation de la tension artérielle. De plus, la survie sans accident cardiovasculaire des patients traités de la sorte est bien supérieure à celle des patients dialysés dans des centres moins exigeants. À un stade moins avancé d’insuffisance rénale, une néphropathie vasculaire ou glomérulaire (notamment diabétique) est plus souvent associée à une hypertension qu’une néphropathie tubulaire ou interstitielle, même kystique. Mais en dehors de la maladie rénovasculaire, la pression artérielle s’avère particulièrement « sensible au sodium ». De fait, toute réduction de la masse fonctionnelle rénale est associée à une modification de la pente liant la variation de pression artérielle et la variation de balance sodée : la pression tend à augmenter et diminuer parallèlement à l’apport en sodium. Une restriction sodée conséquente, ou plus communément l’administration de diurétiques associée à une limitation relative des apports sodés, permet ainsi d’abaisser la pression. À l’inverse, un excès d’apport sodé atténue ou annule l’effet de la plupart des médicaments antihypertenseurs – et en particulier celui des inhibiteurs du système rénine – en termes de pression artérielle aussi bien que de protéinurie. Il est actuellement recommandé un apport sodé 100 mmol sodium, soit environ 6 g chlorure de sodium. Les diurétiques thiazidiques sont utilisables lorsque les valeurs de clairance de la créatinine sont entre 90 et 60 ml/min, avec une efficacité aléatoire pour des valeurs entre 60 et 30 ml/min. Les diurétiques de l’anse restent utilisables jusqu’aux valeurs les plus basses de filtration glomérulaire, à condition d’adapter (à la hausse) les posologies. Il est important de noter qu’un excès d’apport sodé majore l’impact de la pression artérielle sur les organes cibles de l’hypertension artérielle, et notamment le rein, et qu’il augmente la vitesse de dégradation de la fonction rénale, indépendamment de toute modification de la pression artérielle. Plusieurs études expérimentales montrent que la
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