Existe-t-il un FUTUR pour la FFR ? Analyse des idées reçues sur la FFR en 2017
Gilles RIOUFOL, François DERIMAY, Gérard FINET, Hôpital Cardiologique de Lyon
La mesure d’une sténose coronaire par guide pression endocoronaire (fractional flow reserve, FFR) existe en France depuis près de 20 ans et est remboursée depuis 2016. Elle bénéficie du niveau de recommandation IA par la Société européenne de cardiologie pour décider d’une revascularisation par angioplastie en cas d’absence de test non invasif et du niveau IIaB en cas de lésions coronaires pluritronculaires. La FFR est considérée comme le gold-standard pour évaluer l’ischémie myocardique et toutes les nouvelles techniques se comparent désormais à elle... Pourtant, en dépit de ces éléments factuels basés sur des niveaux de preuve scientifiques très élevés, la FFR apparaît en France en 2017, critiquée, dénaturée et contestée sur des arguments parfois plus émotionnels que factuels. Si la critique objective et constructive est un moteur fondamental du progrès scientifique et médical en particulier, les idées reçues ou les convictions personnelles doivent être combattues et pondérées pour tendre vers une prise en charge rationnelle des patients coronariens.
C’est en ce sens que cet article a été construit afin d’apporter ou rappeler un certain nombre de clés de réflexion, nous l’espérons utiles, sur la FFR en 2017 afin de mieux positionnner sa place dans la gestion des coronaropathies. Nous verrons que comme le dit le proverbe « la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a », mais les connaissances évoluant, l’histoire de la FFR reste à écrire. Idée reçue numéro 1 La FFR n’est pas utile pour un angioplasticien confirmé Il a été montré notamment avec les travaux d’Hachamovitch sur la scintigraphie myocardique que le bénéfice de la revascularisation coronaire dépend de l’ischémie et de son étendue. Nos stratégies de revascularisation sont basées sur ce concept fondamental et en conséquence, c’est une lapalissade que de rechercher l’ischémie avant de revasculariser. L’anatomie est faiblement corrélée à l’ischémie myocardique et sur plusieurs milliers de patients, il est montré que le seuil de 50 % de sténose angiographique historiquement considéré comme significatif n’est pas associé à une ischémie myocardique dans au moins un tiers des cas. En présence d’une sténose estimée visuellement à 70-90 %, aucune ischémie myocardique n’y est associée dans 1 cas sur 5. Si l’on demande à un cardiologue expérimenté de juger de l’ischémie associée ou non à une lésion intermédiaire du tronc coronaire gauche celui-ci n’est pas d’accord avec un second expert dans un quart des cas et, en cas de concordance, ceux-ci n’ont une précision diagnostique que de 69 %. Ces éléments expliquent certainement en partie l’absence de bénéfice pronostique d’une revascularisation basée sur l’angiogramme par rapport à un traitement médical dans les études COURAGE ou BARI 2D. Parallèlement, chez des patients monotronculaires dans l’étude DEFER ou des patients pluritronculaires dans l’étude FAME, il a été montré que revasculariser uniquement les lésions avec FFR « positive » (c’est-à-dire FFR ≤ 0,80) apporte un bénéfice même après un suivi clinique de plusieurs années tout en diminuant de 30 % le nombre de stents implantés (donc probablement inutiles). Il semble donc déraisonnable en 2017 même avec les meilleures expériences et un bon sens clinique de se baser seulement sur l’analyse angiographique coronaire pour proposer une revascularisation chez des patients stables (figure 1). Figure 1. FFR versus angiographie dans l’angor stable (MACE). Idée reçue numéro 2 La FFR n’a pas de seuil fiable Les études expérimentales puis cliniques ont successivement défini le seuil de 0,75 comme ayant une spécificité de 100 % pour repérer un lésion coronaire associée à une ischémie myocardique. C’est-à-dire qu’une lésion coronaire capable de diminuer de 25 % l’hyperhémie myocardique du fait de l’obstacle qu’elle crée à l’étage épicardique est systématiquement associée à une ischémie myocardique. La poursuite de l’évaluation clinique de la FFR a montré que ce seuil de 0,75 avait une sensibilité de 88 %, certainement imparfait pour un usage clinique voulant correctement repérer un patient ischémique. Le seuil de 0,80, actuellement universellement accepté, permet ainsi d’obtenir une sensibilité diagnostique supérieure à 90 %. En routine, l’obtention d’une FFR dans la « zone grise de 0,75-0,80 » offre donc une opportunité importante pour pondérer la prise en charge clinique en intégrant les considérations cliniques et anatomiques de faisabilité d’une revascularisation. La FFR comme toute donnée physiologique est par essence une valeur continue qui peut varier de 1 (valeur obtenue sur une artère épicardique sans athérosclérose) à théoriquement zéro pour une lésion coronaire critique (en pratique les FFR minimales observées sont rarement inférieures à 0,40). Une information binaire (> ou à 0,80) est donc réductrice même si elle permet une réponse pragmatique validée cliniquement. Il a récemment été montré que la FFR en tant que valeur continue apporte en plus d’un seuil ischémique une information pronostique pertinente. Il existe une relation linéaire inverse entre valeur de FFR et risque d’événement clinique sévère (MACE) en absence de revascularisation. Il est particulièrement intéressant d’observer que le bénéfice d’une revascularisation apparaît pour une valeur de FFR se situant entre 0,75 et 0,79 selon les études, confortant cliniquement de façon récursive le seuil de sécurité de 0,80 (figure 2). Figure 2. Masse myocardique ischémique et FFR comme valeurs continues de risque. Idée reçue numéro 3 La FFR n’a pas besoin d’hyperhémie La FFR est l’approximation d’un débit coronaire trans-sténotique normalisé. La relation entre débit (actuellement encore non mesurable en clinique durant la coronarographie) et pression est possible si les résistances myocardiques sont minimales et considérées comme négligeables. Cette situation est observée en situation d’hyperhémie, facilement inductible par injection d’adénosine. Il a été montré qu’une hyperhémie incomplète surestime la valeur de FFR et donc sous-estime la sévérité de la lésion explorée. Cela peut conduire à un défaut de revascularisation et à un risque clinique significatif. Par exemple, il est connu depuis le début de la coronarographie que les produits de contraste induisent un certain degré d’hyperhémie et la tentation d’utiliser les injections lors des angiographies pour mesurer la FFR a pu être parfois évoquée. Il est maintenant démontré qu’une injection intracoronaire de produit de contraste n’induit qu’une hyperhémie de 60 %, largement insuffisante pour correctement évaluer fonctionnellement une lésion coronaire. L’analyse doit être plus pondérée si on évoque l’iFR qui est un ratio de pression trans-sténotique (comme la FFR) partant du postulat qu’une partie de la diastole a des résistances myocardiques relativement basses et stables autorisant une mesure sans induction d’hyperhémie. Le seuil d’ischémie de l’iFR a été défini à 0,89 en comparaison directe avec la FFR. Les différentes comparaisons FFR et iFR ont donné lieu à des polémiques multiples sur leurs précisions diagnostiques relatives. Il semble raisonnable de penser que l’iFR est probablement moins précise mais, de façon pragmatique, deux études cliniques comparant iFR et FFR concluent à une non-infériorité de l’iFR en termes de MACE pour décider ou non de revasculariser une lésion coronaire intermédiaire. Les études DEFINE-FLAIR et SWEDEHEART sont des études de non-infériorité, toutes deux publiées très récemment. Elles ont randomisé entre FFR et iFR respectivement 2 492 et 2 037 patients à relativement bas risque et essentiellement monotronculaires pour décider d’une revascularisation par stent actif. Avec un suivi de 1 an, il n’y a pas eu de différence de MACE entre les groupes FFR et iFR dans ces deux études (7,0 % vs 6,8 % et 6,1 % vs 6,7 % respectivement). Même si l’on oppose des choix de bornes de non-infériorité très larges (toutes deux avec un odd ratio à 1,40), un faible risque global des populations et un suivi clinique court, l’iFR apparaît dorénavant comme une alternative à la FFR pour des patients de type « DEFER ». Ainsi, il pourrait être imaginable que l’information apportée par l’iFR, en dépit d’une pertinence physiologique peut-être moins robuste, puisse être suffisante d’un point de vue clinique pour stratifier la revascularisation chez des patients à faible risque. Il faudra néanmoins noter dans ces 2 études que les taux d’infarctus et de décès sont à chaque fois plus élevés dans le groupe iFR (iFR : 2,5 % et 3,7 % vs FFR : 1,3 % et 2,9 %). Des études complémentaires avec des suivis plus longs pour des populations à risque plus élevé seront les bienvenues (figure 3). Figure 3. FFR versus iFR dans l’angor stable (MACE à 1 an). Idée reçue numéro 4 La FFR n’est utile que pour la coronaropathie stable La FFR est basée sur l’hyperhémie et donc la lésion coupable d’un STEMI n’est pas adaptée à ce type d’analyse car la part thrombotique de la lésion peut évoluer et par ailleurs une sidération microcirculatoire existe à la phase aiguë et disparaît en quelques semaines concourant à surestimer les mesures de FFR. Il n’est donc pas logique ni recommandé d’utiliser la FFR sur une lésion athérothrombotique pour laquelle d’ailleurs nous avons de robustes données cliniques en faveur d’une revascularisation. En revanche, les lésions non coupables découvertes à la faveur d’un SCA (qui peuvent représenter jusqu’à la moitié des patients) et la décision de les revasculariser sont des questions cliniquement importantes. La mesure de FFR sur des lésions non coupables a été montrée comme valide et reproductible (r = 0,91) lorsqu’elle est re-mesurée à distance du SCA. Les études DANAMI-PRIMULTI et COMPARE-ACUTE évaluant une revascularisation complète guidée par FFR en phase aiguë ou hospitalière d’un STEMI ont montré une supériorité en termes de MACE par rapport à une angioplastie primaire unique de la lésion coupable. Le bénéfice clinique apparaît dans des proportions très comparables à celui d’une stratégie de revascularisation systématique de toute lésion non coupable, tout en évitant 30 à 45 % de revascularisations (FFR > 0,80) (figure 4). Figure 4. Culprit versus revascularisation complète dans le STEMI (MACE). La question de l’évolutivité future d’une lésion non coupable FFR > 0,80 dans un contexte de SCA reste néanmoins débattue. En effet, la FFR apporte une information de type « hydraulique » et ne préjuge pas de l’évolutivité athérothrombotique qui est du domaine de la vulnérabilité de plaque en général. Dans un contexte de SCA, une lésion non coupable pourra évoluer plus vite que dans une situation d’angor stable. Certains registres évoquent un taux d’événements (principalement revascularisation) de 5 % par an pour des lésions FFR > 0,80 (principalement en cas de FFR proche de 0,80) avec un rôle important joué par les facteurs de risque habituels dans ce domaine (tabagisme actif, statut tritronculaire notamment). Dans l’étude FAME, le sous-groupe des patients avec SCA a
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