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Complication

Publié le  Lecture 11 mins

Thrombocytémie essentielle : une situation difficile pour l’angioplasticien

P. HAINAUT, Polyclinique de la Providence, Poitiers

L’angioplastie coronaire dans le cadre d’un syndrome myéloprolifératif est une situation bien heureusement rare. L’enjeu principal concerne le risque de thrombose potentielle de stent compte tenu de l’hyperréactivité plaquettaire. Le traitement préalable, préinterventionnel, est mal codifié car le risque hémorragique doit également être pris en compte. Ce cas clinique illustre la complexité de cette pathologie, le plus souvent asymptomatique. Nous verrons quels sont les paramètres à prendre en compte dans la balance bénéfice/risque thrombotique.

Cas clinique M. G.C. a comme principal antécédent une thrombocytose dont le mécanisme n’a jamais été exploré. Le récent dosage retrouve un nombre de plaquettes à 721 000/mm 3. L’histoire clinique n’évoquait pas d’argument pour une complication artérielle ou veineuse de cette hyperplaquettose, jamais traitée par cytoréducteur. Ses facteurs de risque cardiovasculaires comportent un âge de 64 ans, une hypercholestérolémie traitée bien équilibrée (LDL à 0,7 g/l, HDL à 0,45 g/l), un tabagisme actif à 7 paquetsannées, occasionnel et surtout, fait remarquable, une hérédité cardiovasculaire précoce sévère chez sa mère ayant présenté 3 IDM avant le décès à 58 ans. Le patient présente depuis peu une blockpnée. L’échocardiographie retrouvait une fonction VG préservée avec FE à 69 %, des dimensions cavitaires normales et une cinétique homogène du VG y compris en antérieur. L’épreuve d’effort démaquillée maximale (89 % de la FMT pour 120 watts) est négative sur le plan clinique et bien que le ST demeure stable, on note l’apparition d’une tachycardie ventriculaire (TV) de type retard droit à l’effort nécessitant l’arrêt avec bigéminisme en récupération. La coronarographie retrouve une seule lésion de l’IVA proximale englobant la 1 re diagonale avec lésion sub-occlusive de l’IVA moyenne et flux TIMI 1 à 2 (figure 1). Le reste du réseau coronaire est sain. Figure 1. Lésion débutant sur lʼIVA proximale et constituant une sténose sub-occlusive après le départ de la diagonale. Devant cette lésion instable et après avis hématologique, l’angioplastie est réalisée avec une dose de charge d’Hydrea ® (hydroxycarbamide). La procédure est réalisée par voie fémorale droite, avec un désilet 6 F et sous protocole associant héparine 4 000 unités, Plavix ® 75 mg (8 cp) la veille et Kardégic ® (160 mg/j). La procédure débute par une prédilatation par ballon VOYAGER™ (figure 2). Figure 2. Résultat après prédilatation au ballon. Puis un stent nu VISION ® 3,5 mm x 18 mm est positionné puis inflaté à 14 atm (figure 3). Le contrôle angiographique poststenting immédiat est initialement rassurant (figure 4) mais se dégrade rapidement avec apparition d’un thrombus antérograde et rétrograde remontant dans le tronc commun (figure 5) . Figure 3. Positionnement du stent. Figure 4. Résultat après implantation du stent. Image lacunaire sur lʼostium de la diagonale. Figure 5. Thrombus antérograde et rétrograde sur lʼIVA. Un bolus de 2 500 U d’héparine complémentaire est réalisé ainsi qu’un traitement par Agrastat ® (tirofiban) en bolus. Il est alors décidé de procéder à un kissing. Le résultat angiographique du kissing est bon avec cependant la migration d’une partie du thrombus en distalité de la diagonale et un thrombus plus extensif dans l’IVA distale. Devant un flux TIMI 3 préservé dans l’IVA, la procédure est stoppée. L’anticoagulation efficace et l’anti- GPIIb/IIIa sont maintenus en perfusion pendant 48 heures. L’évolution clinique est simple avec un taux de troponine à 8 ng/ml, des CPK normales et une reperméabilisation de l’IVA. La scintigraphie myocardique de contrôle retrouve une perfusion homogène du radiotraceur à 6 mois avec une évolution clinique favorable sans blockpnée récidivante. Sur le plan biologique avant angioplastie, les plaquettes oscillaient entre 574 000 et 721 000/mm 3, les leucocytes étaient toujours normaux, de même que la CRP. L’index du VASP, en postprocédure était à 61 % témoin d’une résistance au clopidogrel. Le test du PFA-100 retrouvait une cartouche collagène/épinéphrine > 274 sec (N = 70-120 sec) et une cartouche collagène/ADP normale. L’ensemble du bilan hématologique permet d’exclure une thrombocytémie liée à une autre cause et finalement, une mutation JAK2 V617F sera retrouvée. La thrombocytémie essentielle La thrombocytémie essentielle est une entité mal connue du cardiologue interventionnel. Il s’agit d’un syndrome myéloprolifératif dont les critères diagnostiques ont profondément changé et dont la prise en charge, concernant le risque thrombotique, reste en devenir. Cependant, depuis quelques années, un certain nombre d’études, certes monocentriques à faibles effectifs, ont eu le mérite de tenter d’appréhender au mieux ce risque. Définition et physiopathologie La thrombocytémie essentielle (TE) se définit actuellement selon les critères de l’OMS revus en 2008. Elle est souvent asymptomatique et est caractérisée par une élévation primaire chronique du taux de plaquettes ≥ 600 000/mm 3 sur deux examens successifs séparés de 1 mois. La biopsie ostéomédullaire confirme une moelle normale ou riche en cellules, sans ou avec faible fibrose médullaire. On y note surtout une hyperplasie mégacaryocytaire. Les mégacaryocytes, dystrophiques, y sont de grande taille, géants, en amas, à noyaux plurisegmentés, plurilobés « en corne de cerf ». Le diagnostic ne peut être porté qu’après élimination des pathologies listées dans l’encadré. Récemment, une mutation dans le gène Janus kinase 2 (JAK2) a été découverte dans un nombre significatif de TE (57 %) et dans près de 95 % des polyglobulies de Vaquez. En l’absence de la mutation JAK2 et d’arguments pour un autre syndrome myéloprolifératif, le diagnostic de TE demeure un diagnostic d’élimination après exclusion des autres causes. JAK2, couplée au récepteur membranaire, est une tyrosine kinase ayant un rôle clé dans la transduction du signal médié par les récepteurs membranaires des facteurs de croissance hématopoïétiques et des cytokines : EPO, thrombopoïétine (TPO), hormone de croissance, prolactine, IL3 et 5, GM-CSF. Une mutation guanine-thymine de JAK2 (codant pour une phénylalanine à la place d’une valine) est à l’origine d’une hypersensibilité des récepteurs aux facteurs de croissance des cellules progénitrices hématopoïétiques, d’une augmentation des récepteurs à la TPO. Un changement structurel responsable d’une autophosphorylation constitutive de JAK2 puis du récepteur associé, active les voies de signalisation JAK2/STAT5 mais également PI3K, MAPK à l’origine d’une survie et d’une prolifération cellulaires non contrôlées. Cette mutation est à l’origine d’une activation spontanée de ces récepteurs et de cette voie de signalisation. Les STAT5 phosphorylés jouent le rôle de facteurs de transcription intranucléaires des séquences régulatrices des gènes cibles des facteurs de croissance cellulaires. Cette mutation n’est pas décrite dans la LMC et le syndrome d’hyperéosinophilie. Troubles fonctionnels plaquettaires dans la TE La dysfonction plaquettaire peut être également impliquée. Une hyperactivation plaquettaire in vivo a été notée dans la TE, matérialisée par une augmentation de P-sélectine ou par la thrombospondine. La sécrétion urinaire de métabolites du TXA2 se trouve nettement augmentée. Un risque thrombotique mais aussi hémorragique L’essentiel des complications est constitué des thromboses artérielles intéressant la microcirculation (microthrombose cutanée, AIT régressif, angor mésentérique) et la macrocirculation (artères coronaires, cérébrales, périphériques) voire veineuses (veines hépatiques, thrombose portale). Contrairement aux idées reçues, le risque de saignement est plus rare ( 10 %). Il est augmenté pour des thrombocytoses extrêmes (plaquettes ≥ 1 000 000 à 1 500 000/mm 3) surtout en cas de prise d’antiagrégants. Ceci est dû à une maladie de von Willebrand acquise par consommation par les plaquettes des hauts polymères de facteurs von Willebrand (1-3). Comment évaluer le risque avant une angioplastie ? Le risque de thrombose n’est pas proportionnel au degré de l’hyperplaquettose et reste important tant que celle-ci est supérieure aux chiffres normaux. Les patients porteurs d’une TE avec mutation JAK2 ont des taux de plaquettes plus bas avec des taux d’hémoglobine et de leucocytes plus élevés, pour certains (4). Il semblerait que la mutation JAK2 produise une activation plaquettaire plus importante (il en est de même pour les leucocytes dont l’activité est augmentée). La physiopathologie des TE mutées serait à distinguer des TE non mutées se rapprochant plus de la polyglobulie de Vaquez. Il est donc important de rechercher cette mutation afin de faire un diagnostic mais aussi dans la stratification pronostique. Il existe un très probable continuum entre ces pathologies (plus de transformation vers la polyglobulie ou la myélofibrose en cas de mutation JAK2) (4-6). Bien que les résultats d’études monocentriques et hétérogènes soient controversés, de nombreux arguments plaident en faveur d’une augmentation du risque thrombotique en cas de mutation JAK2. Une méta-analyse regroupant 2 905 patients avec TE et 778 avec thromboses a montré un risque 2 fois plus important de thrombose si la mutation JAK2 est présente. De plus, des thromboses veineuses , notamment splanchniques, ont été rattachées à cette mutation. K. Lata (7) rapporte le cas dʼun homme de 45 ans présentant un SCA ST + antérieur (thrombus de lʼIVA initiale) avec mutation JAK2 et plaquettes peu élevées (529 000/mm 3) dont l’occlusion d’un stent actif, immédiate, en post-largage a abouti au décès du patient. Il note, par ailleurs, en post-stenting immédiat la survenue de thrombus dans la CX et le tronc commun. Le risque de thrombose dépend de divers paramètres dont, en premier lieu, l’âge et les antécédents de thrombose. L’indice d’événements thrombotiques s’élève à 15,1 % événements par patient/année au-delà de 40 ans contre 1,7 % avant. C’est l’âge avancé au-delà de 60 ans qui ressort comme facteur de risque notable. Parallèlement, l’incidence d’un nouvel épisode est plus élevée en cas d’antécédents thrombotiques préalables (31,4 % par patient contre 3,4 %). Les facteurs de risque cardiovasculaire conventionnels sont suspectés de participer à un sur-risque thrombotique (HTA, tabagisme, hypercholestérolémie, diabète). Trois études rétrospectives ont démontré l’implication des facteurs de risque cardiovasculaire (8-10) tels l’hypercholestérolémie, l’hypertension et le tabagisme dans la thrombose. L

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